« Les mécanismes sont variés. La lutte est unique ! » Ainsi twittait récemment Jesús Torrealba, secrétaire exécutif du parti anti-Maduro et de la majorité parlementaire, la Mesa de la Unidad Democrática (MUD), concernant la demande de destitution du président Maduro. Notons que ce dernier a clairement fait savoir que personne ne le fera partir du pouvoir… la lutte est engagée.
Quelques jours après la troisième année du décès du Comandante Chávez, et trois semaines après notre premier billet sur la même thématique, les choses avancent au Venezuela. Nous avions évoqué les différents scénarii de sortie de crise, sans en mentionner un : l’activation de plusieurs processus en même temps, qui est train de se réaliser.
Il y a quelques jours, la MUD a présenté sa Feuille de Route Démocratique 2016, dans laquelle sont exposées les démarches qui seront entreprises. Du point de vue du rapport de force politique, le parti de la majorité parlementaire appelle à la mobilisation de tous afin de « parvenir à une solution politique, électorale, constitutionnelle et pacifique ». La MUD entend promouvoir une mobilisation populaire, pacifique et démocratique, pour exiger la démission de Maduro.
Du point de vue juridique, deux outils vont être mobilisés.
D’une part, débuter le processus de référendum révocatoire et, pour garantir sa convocation et sa réalisation, approuver la Loi Organique des Référendums, afin d’éviter le blocage ou le ralentissement de ce mécanisme constitutionnel.
D’autre part, l’approbation d’un amendement à la Constitution, qui doit être « voté et défendu par le peuple », pour réduire la durée du mandat présidentiel et permettre la tenue d’élections présidentielles cette année.
Cependant, la tâche de l’Assemblée Nationale ne sera pas aisée.
L’hypothèse du referendum révocatoire
La Constitution du Venezuela consacre dans son chapitre V du Titre V « le pouvoir électoral ». L’article 293 dénombre dix fonctions du pouvoir électoral, parmi lesquelles réglementer les lois électorales et résoudre les doutes et les vides suscités ou contenus par celles-ci, régir l’organisation, l’administration, la direction et la surveillance de tous les actes relatifs à l’élection à des charges de représentation populaire des pouvoirs publics, ainsi que des référendums.
L’article 292 définit les organes du pouvoir électoral, que sont le Conseil National Electoral (CNE), le Conseil Electoral National (Junta Electoral Nacional), la Commission du Registre Civil et Electoral, et la Commission de Participation Politique et Financement, les trois derniers organes étant subordonnés au premier, renvoyant pour les questions d’organisation et de fonctionnement à la loi organique du pouvoir électoral.
Les organes du pouvoir électoral garantissent l’égalité, la fiabilité, l’impartialité, la transparence et l’efficacité des processus électoraux, tout comme l’application du caractère personnel du suffrage et la représentation proportionnelle. L’article 297 dispose que la juridiction compétente en matière de contentieux électoral est la Chambre Electorale du Tribunal Suprême de Justice, et les autres tribunaux déterminés par la loi.
Par sa résolution n°070327-341 du 27 mars 2007, le CNE, en application des prérogatives que lui confère la Constitution et les articles que nous venons de citer, a établi la norme qui régit le fonctionnement des referenda révocatoires, pour palier la carence de l’Assemblée Nationale, qui n’avait jusqu’ alors pas promulgué la loi qui régule la réalisation des referenda révocatoires. Cette norme prévoit dans son article 2 que le CNE doit approuver, lors du dernier trimestre de chaque année, l’agenda de l’organisation des référendums révocatoires pour l’année suivante.
En suivant cette réglementation, la révocation de Maduro ne pourrait être soumise à référendum qu’en avril 2017, si toutefois le CNE avalise l’organisation du référendum lors du premier jour du dernier trimestre de l’année 2016. Or, les délais fixés par la Constitution jouent contre l’opposition. En effet, l’article 233 établit que s’il y a vacance de la présidence de la République durant les quatre premières années du mandat, de nouvelles élections ont lieu, tandis que si la vacance a lieu au cours des deux dernières années, le Vice-Président, nommé par le Président, assume les fonctions jusqu’à la fin du mandat. Or, Maduro célèbrera ses quatre années à la présidence le 10 janvier 2017. Un autre scénario apparait alors : Maduro destitué après le 10 janvier 2017, remplacé par le Vice-Président qu’il aura choisi (comme il fut choisi par Chavez en son temps)…
Consciente de ces difficultés entourant la mise en oeuvre du référendum révocatoire, le Parlement a voté en première lecture cette semaine une loi ayant un caractère organique organisant les référendums révocatoires, faisant fi de la norme édictée par le Pouvoir Electoral, et établissant des délais plus favorables. Cependant, une loi organique doit se soumettre au contrôle de constitutionnalité et le Tribunal Suprême de Justice n’embrasse pas la cause de la Mesa de la Unidad Democrática (MUD)…
De plus, les délais ne sont pas le seul fait de l’Assemblée, le Pouvoir Electoral et le Pouvoir Judiciaire pouvant retarder la tenue du référendum, en invalidant les signatures, comme ce fut le cas en 2004 lorsqu’il fut question de la révocation de Chavez.
La voie du référendum révocatoire apparaît donc bien incertaine.
L’hypothèse de l’amendement constitutionnel
Est-il constitutionnel de permettre à l’Assemblée Nationale de modifier par amendement la durée du mandat présidentiel ? L’amendement peut-il être ad nominem, celui-ci étant déjà renommé « Amendement Maduro » ? Car même si le nom de l’actuel président de la République n’apparait bien sûr pas dans le texte, il reste la cible première d’une telle manœuvre. Or, l’article 72 de la Constitution établit que le référendum est le seul moyen pour révoquer de façon légitime une personne ayant obtenu une charge publique à travers l’élection, le peuple étant seul compétent pour défaire ceux qu’il a élu.
L’adoption d’un amendement est une voie fort incertaine car le président de la République a la possibilité de déférer ce texte à la Chambre Constitutionnel du Tribunal Suprême de Justice, qui est pas acquis à la cause du pouvoir. En effet, avant l’installation de la nouvelle Assemblée Nationale, l’Assemblée encore chaviste a approuvé et officialisé la nomination de treize nouveaux magistrats, et vingt-et-un suppléants, du Tribunal Suprême de Justice. Ces nominations font l’objet d’une enquête par une commission ad hoc de l’Assemblée. Cependant, le juge constitutionnel du TSJ, dans une décision n°9 du 1er mars 2016, a considéré que l’Assemblée n’est pas légitime pour réviser, annuler, révoquer ou de quelque autre forme, laisser sans effet le processus inter-institutionnel de désignation des magistrats. Il est rajouté que le Parlement ne peut exercer de contrôle politique que sur le gouvernement et l’administration nationale, mais pas sur les autres pouvoirs, justifiant que l’Assemblée Nationale entrave le travail de l’exécutif national.
Voilà donc que l’Assemblée, si encline à faire bouger les choses, se retrouve confrontée à un Tribunal de Justice, désigné par l’article 335 comme étant l’interprète exclusif de la Constitution. Ne pas suivre ce que dit l’interprète de la Constitution peut paraitre contraire à l’intention du législateur d’obtenir le départ de Maduro par la voie légale.
Néanmoins, le rapport de force est engagé. L’Assemblée, à travers son président, a annoncé qu’elle ne reconnait pas cette décision. Elle a également émis la volonté de saisir le Secrétaire Général de l’Organisation des Etats Américains, en application de l’article 20 de la Charte Démocratique Interaméricaine, car cette décision est « une altération de l’ordre constitutionnel qui affecte gravement la démocratie ».
Autant dire que si le juge constitutionnel doit se prononcer sur l’amendement, au pire il le déclarera contraire à la Carta Magna, au mieux il reportera l’application de l’amendement au prochain mandat présidentiel, sous couvert de ne pas donner un caractère personnel à l’amendement. Permettre à l’Assemblée de réguler la durée du mandat présidentiel par voie d’amendement peut créer un précédent, fragilisant nous semble-t-il, l’équilibre entre les pouvoirs, une majorité autre que l’actuelle pouvant alors revenir sur le mandat de six ans, et ainsi de suite au gré des sensibilités politiques.
Pendant ce temps, la violence monte d’un cran
« On m’a cassé une bouteille sur la tête aux alentours de l’Assemblée et c’est la première agression sanglante au Parlement (…) Cela démontre que les escalades violence à l’Assemblée augmentent » C’est par ces propos que s’est exprimé le député Paparoni en faisant irruption jeudi dernier lors du débat de l’Assemblée sur le statut de la Banque Centrale, la tête en sang. Ce cas n’est pas isolé : le président de l’Assemblée déclare recevoir au moins deux rapports par jour faisant état d’agressions sur des députés de l’opposition.
La violence est aussi verbale, Maduro qualifiant l’opposition de « terroristes » à la solde des Etats-Unis, tandis que le président du pouvoir législatif a gratifié le président de la République de quelques noms d’oiseaux en discours de fermeture de la manifestation d’hier, samedi 12 mars.
Pour l’instant, les médias ne font pas état de répression violente des manifestations qui ont eu lieu cette fin de semaine, malgré des contre rassemblements à l’appel du président, pour protester officiellement contre le renouvellement par le président Obama de renouveler un décret qualifiant le Venezuela de « menace inhabituelle et extraordinaire contre la sécurité » des Etats-Unis, mais voulant également montrer la capacité mobilisatrice de l’exécutif.
Maduro a annoncé que débutera le 1er avril 2016 « un grand recensement des patriotes, des boliviens et des chavistes authentiques », car il estime qu’il est « temps que chaque chaviste soit identifié » par une carte bolivarienne qui contienne une « puce du XXIème siècle », afin de pouvoir recevoir des informations en temps réel pour préparer la « contre-attaque » contre l’opposition qui cherche à le destituer. Le clivage entre les « bolivariano-chavista-maduriens » et les « anti bolivariano-chavista-maduriens » ne sera que plus grand, et ne laisse rien présager de positif dans l’avancée du débat.
Le temps passe et, malheureusement, aucune solution ne se profile vraiment…
Ricardo Salas Rivera