Un retour en arrière. La décision annoncée par le gouvernement le 6 mars dernier de suspendre le vote électronique pour les prochaines élections législatives pour les français établis hors de France, mise en oeuvre par un arrêté du 17 mars 2107, marque un recul.
La possibilité du vote par internet avait été ouverte par la loi n°2003-277 du 28 mars 2003. A titre expérimental les français établis aux Etats-Unis en 2003 avaient pu voter par internet pour l’élection des représentants au Conseil Supérieur des Français de l’étranger. En 2006 cette expérimentation fut étendue aux circonscriptions d’Europe, d’Asie et du Levant. Le décret n°2009-525 du 11 mai 2009 a pérennisé le vote électronique pour les élections à l’Assemblée des Français de l’étranger. Aujourd’hui, le vote pour l’élection des conseillers consulaires peut s’effectuer par voie électronique ainsi que l’autorise l’article 22 de la loi du 22 juillet 2013 et l’article 14 du décret n°2014-290 du 4 mars 2014. La possibilité de voter par Internet pour les législatives a, elle, été inscrite en 2009 à l’article L330-13 du Code électoral. En revanche, l’article L330-13 n’ayant pas été rendu applicable à l’élection présidentielle par la loi organique du 6 novembre 1962, il ne s’applique pas pour cette dernière, pour laquelle au demeurant les risques de piratage ont été soulignés par la CNCCEP.
Le vote par correspondance électronique est donc le fruit d’une évolution progressive visant à prendre en compte les spécificités irréductibles des français établis hors de France. En raison du ressort géographique parfois extraordinairement étendu (la 11e circonscription pour seul exemple s’étend de l’Arménie… aux îles Tonga) le vote par internet peut apparaître comme une solution visant à faciliter la mobilisation électorale, voir comme une nécessité. Matthias Fekl a cependant annoncé devant l’Assemblée des Français de l’étranger que le vote par voie de correspondance électronique était supprimé pour les élections législatives de juin prochain. Les conditions de cette annonce, ses motivations et ses conséquences font peser sur cette décision un certain nombre d’incertitudes.
Un fondement incertain
La première incertitude concerne la compétence pour prendre une telle décision relative aux modalités du vote. L’expression générique de « vote électronique » recouvre deux modalités de participation au scrutin : le recours aux machines à voter ou le vote par internet. En matière de machines à voter, ce sont essentiellement des circulaires qui prévoient les modalités de recours à ce moyen de vote (Voir : G. Koubi, « Les circulaires relatives à l’utilisation des machines à voter lors des scrutins politiques », JCP A 8 fevr 2010, n°6). Concernant le vote par correspondance électronique qui seul nous intéresse ici, la possibilité d’y avoir recours est ouverte par la loi (article L330-13 du Code électoral). Le débat porte sur le fait de savoir si la loi impose cette modalité de vote ou n’en offre que la possibilité. L’article L330-13 du Code électoral dispose que les électeurs « votent » à l’urne alors qu’ils « peuvent » voter par correspondance électronique dont les modalités sont prévues par un décret en Conseil d’Etat. Le législateur n’impose donc pas le vote par internet. Cela autorise t-il pour autant le gouvernement à supprimer purement et simplement cette option pour les électeurs sans méconnaître la loi ? Il est permis d’en douter. Ce sont avant tout des considérations pragmatiques qui plaident pour la négation de la compétence législative en la matière… la session parlementaire ayant pris fin le 24 février 2017.
Des motivations incertaines
L’incertitude est également relative aux motivations de cette décision. La raison invoquée par le secrétaire d’Etat est le « niveau extrêmement élevé de cyberattaques ». Ce risque a été identifié par l’agence nationale de sécurité des systèmes informatiques au terme de deux expérimentations infructueuses réalisées récemment. Sans contester aucunement l’existence de ce risque, deux interrogations peuvent être soulevées quant aux conséquences qui en sont tirées, à savoir la suppression de la faculté de voter par voie électronique.
En premier lieu, le calendrier de cette annonce peut interroger. Les doutes les plus sérieux sur la fiabilité du vote par correspondance électronique sont émis depuis un certain nombre d’années. La Commission nationale informatique et libertés avait ainsi fortement déconseillé le recours au vote par correspondance électronique pour les élections politiques, y voyant notamment un risque de divulgation du vote (avis n°2010-371 du 21 octobre 2010). Lors des élections législatives de 2012, un hacker avait révélé les insuffisances de la sécurité du système en démontrant que le vote de l’électeur pouvait être librement modifié après que celui-ci ait définitivement arrêté son choix (voir : G.-J. Guglielmi, « Le vote électronique saisi par le droit : le cas français, in Le vote électronique, dir. G.-J. Guglielmi et O. Ihl, LGDJ, 2015, p.131). Guillaume Poupard, directeur de l’ANSSI (agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques) a toujours été très prudent à propos du vote par correspondance électronique, rappelant que si en 2012 les opérations électorales s’étaient bien déroulées, l’ANSSI avait connu une journée particulièrement intense !! Le Conseil constitutionnel, s’il avait estimé que la sincérité du scrutin n’avait pas été altérée a listé un nombre importants de vice de légalité dans le déroulement du vote par correspondance électronique (Cons. Const., 15 févr. 2013, n°2012-4597/4626 AN, 4e circonscription des Français établis hors de France). L’étude d’impact de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des français établis hors de France avait émis de sérieuses réserves sur cette modalité de vote (Voir : B. Camguilhem, « La représentation politique des français établis hors de France, entre représentation nationale et représentation d’intérêts », RDP, 2015, p. 663). Un rapport d’information de la commission des lois du Sénat réalisé par MM. Alain Anziani et Antoine Lefèvre rappelait les risques insurmontables inhérents au vote par internet, notamment du fait des risques de divulgation du vote (A. Anziani et A. Lefèvre, Rapport d’information sur le vote électronique, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement d’administration générale, n°445, 9 avril 2014).
Les doutes sur la fiabilité du scrutin par voie électronique sont donc récurrents et anciens. L’incapacité de la société Scytl, choisie au terme d’une procédure d’appel d’offres, à réussir dernièrement les tests de sécurité de l’ANSSI, ainsi que les menaces de cyber attaques venues de Russie ont agi comme une goutte d’eau faisant déborder le vase des doutes sur la fiabilité du vote par internet. Toutefois, la proximité de cette annonce avec le scrutin fait légitimement douter des motivations réelles de cette décision. Comme souvent en matière d’élections concernant les français établis hors de France toute modification des règles est suspecte de manipulation électorale. En effet, on se souvient qu’au moment de la création, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de onze sièges de députés représentant les Français établis hors de France, de nombreux observateurs n’y avaient vu qu’une manipulation destinée à favoriser l’élection de députés favorables à l’exécutif de l’époque en vue de constituer une majorité pour la législature suivante (G. Carcassonne, La Constitution, Points, coll. Essais, 11e éd., 2013, p. 143). Il n’en a rien été, l’ancrage à droite supposé de cet électorat ne s’étant pas retrouvé dans les urnes qui, en mai 2012, envoyèrent au Palais Bourbon 7 députés socialistes sur les 11 représentant les Français établis hors de France. Cette fois encore, certaines voix ont vu dans cette décision ministérielle un simple calcul électoral, comme la sénatrice (LR) représentant les Français établis hors de France, Joëlle Garrigaud-Meylam. Axelle Lemaire, député des Français de l’étranger et ancienne secrétaire d’état des Français de l’étranger y a vu un « déni démocratique » et elle ajoutait, sur son compte twitter que « modifier les conditions d’un scrutin à trois mois de la tenue du vote c’est digne des régimes dictatoriaux ». Pouria Amirshahi, député de la 9e circonscription des Français établis hors de France évoque lui une possible raison financière. On ignore s’il s’agit là d’une motivation cachée. Il n’en demeure pas moins que le vote par internet est particulièrement couteux. Dans leur rapport, les sénateurs Anziani et Lefèvre rappelent que le coût du seul vote électronique avait été de 2,8 millions d’euros pour les élections consulaires de 2014. La proximité de cette décision avec le scrutin est de nature à faire naître la suspicion. Cette défiance aurait pu être évitée en anticipant davantage car si le niveau de risque s’est peut être considérablement accru dernièrement il était déjà élevé et aurait pu justifier, bien en amont une décision équivalente.
En second lieu, il est possible de s’interroger sur le caractère nécessaire et proportionné de la mesure d’interdiction au regard des risques de cyber attaques. En effet, si une cyber attaque venait à survenir il est peu probable qu’elle touche l’ensemble des onze circonscriptions concernées. Une éventuelle annulation de l’élection ne concernerait donc que les circonscriptions concernées. A la différence de l’élection présidentielle, pour laquelle le vote par internet n’a jamais été possible, le risque d’annulation en cas de faillite informatique est circonscrit. Le risque d’un maintien du vote électronique était donc limité alors que ses conséquences demeurent incertaines.
Des conséquences incertaines
Les conséquences de cette suppression laissent également place aux incertitudes. Incertitudes sur le niveau de participation des électeurs lors du prochain scrutin législatif. En 2012, les français établis hors de France avaient eu recours à plus de 50% au vote électronique (57,4% au premier tour, 53,5 au second) sans que cela ne se traduise toutefois par une augmentation massive de la participation générale. Pour le scrutin législatif à venir la date pour faire la demande d’un vote par correspondance papier sous pli fermé a été repoussée du 1er au 31 mars afin de ne pas priver d’un seul coup les électeurs de deux des modalités possibles de vote. Cette possibilité est ouverte par l’article R 176-4 du code électoral. Elle n’est toutefois pas très bien connue des électeurs et n’existe d’ailleurs que pour les seules élections législatives. Les contraintes géographiques, qui rendent l’électeur parfois extrêmement éloigné du bureau de vote, imposent de prévoir pour ces élections des modalités de vote alternatives au vote à l’urne. Le vote des français établis hors de France a toujours été confronté à cette difficulté insurmontable tenant au hiatus entre l’objet français de l’élection et le lieu, étranger, de l’élection. Le vote par internet qui avait pu apparaître comme un élément permettant de surmonter cet obstacle n’a en réalité fait qu’en créer de nouveaux.
L’incertitude demeure également sur la portée de cette décision. S’agit-il seulement d’une « suspension » du vote par internet pour le seul prochain scrutin législatif ou cela vaut-il également pour tous les scrutins législatifs à venir ? Qu’en est-il des élections consulaires pour lesquelles le vote par internet est également possible et largement utilisé par les électeurs ? On ne pourrait en tout cas que souhaiter une remise à plat des différentes modalités de vote pour les élections concernant les Français établis hors de France et qui sont différentes selon les scrutins ce qui n’en facilite pas la compréhension pour les électeurs concernés (Voir : P. Verchère, Rapport sur la proposition de loi organique visant à instaurer le vote par voie électronique des français de l’étranger à l’élection présidentielle et à l’élection des représentants au Parlement européen, 1er octobre 2014, n°2235).
Conclusion
Le vote par correspondance électronique est au milieu du gué. Alors que les Etats comme les Pays-Bas qui avaient généralisé le vote par internet l’ont abandonné pour des raisons de sécurité pour les élections législatives de mars 2017, le candidat Emmanuel Macron propose au contraire dans son programme présidentiel de le généraliser, y voyant un facteur de modernité et d’économies. Des communes y ont également recours pour organiser des consultations (la commune de Fontenay le Fleury organise une consultation sur un projet urbain par vote électronique du 16 au 31 mars). Mais les menaces sur la sécurité des correspondances, et donc sur la sincérité du scrutin, qui justifient cette décision ponctuelle semblent au delà de cette seule élection, condamner le vote par internet. Il n’était apparu, avec les plus grandes réticences dans un pays où les rituels de vote sont fortement enracinés, que pour répondre au défi insurmontable qui est de considérer que l’ensemble de la surface du globe correspond à des circonscriptions électorales françaises. Une incongruité répondait à une autre incongruité. La première a sans doute disparu… avant la seconde ?
Benoit Camguilhem