Nous avons donc appris ce matin qu’En Marche avait dénoncé une « action de piratage massive et coordonnée » d’informations « internes de nature diverse (mails, documents comptables, contrats…) » de sa campagne électorale ». Ce texte d’En marche ! a suivi la publication, plus tôt dans la soirée, de nombreux documents présentés comme des #MacronLeaks sur les réseaux sociaux. De nombreux personnes évoquent la possibilité que ce piratage massif vienne de la Russie : on se rappelle que la CNCCEP avait alerté sur ce risque au tout début de la campagne présidentielle. Et celle-ci a régi par deux communiqués de presse du 6 mai 2017.
La volonté de maintenir le silence républicain
S’il semble que rien de compromettant ne soit encore sorti (mais cela pourrait venir, par exemple sur ces fameux dons), cette fuite semble très problématique à la toute fin de l’élection présidentielle et pourrait poser de nombreux problèmes juridiques. En effet, nous sommes entrés, ce samedi, dans la période de silence républicain, laquelle est de plus en plus difficile à tenir (et l’information de ce matin constituera un nouveau crash test), comme nous l’avions déjà expliqué dans un article récent de ce blog auquel nous renvoyons : ce silence républicain va-t-il être respecté par les candidats, et que vont faire les médias face à cette situation, si des informations particulièrement compromettantes devaient être publiées et devaient donc faire l’objet d’une information voire d’un débat démocratique ? La CNCCEP a pris position par deux communiqués de presse publiés le 6 mai 2017.
Le premier, diffusé dans la nuit, était une recommandation aux médias suite à l’attaque informatique dont a été victime l’équipe de campagne de M. Macron, selon lequel « La Commission nationale de contrôle a été saisie vendredi soir par le mandataire de M. Macron à la suite d’une attaque informatique dont son mouvement a été l’objet, et qui a donné lieu à la diffusion sur les réseaux sociaux de données présentées comme issues des systèmes d’information du candidat, mais dont une partie est probablement constituée de faux. Dans l’immédiat, compte tenu de l’entrée dans la période de réserve depuis vendredi minuit, et dans l’attente de la réunion de la Commission qui interviendra dans les prochaines heures, son président appelle l’attention des médias sur le sens des responsabilités dont ils doivent faire preuve, alors que sont en jeu la libre expression du suffrage des électeurs et la sincérité du scrutin. Il demande donc aux organes de presse, et notamment à leurs sites internet, de ne pas rendre compte du contenu de ces données, en rappelant que la diffusion de fausses informations est susceptible de tomber sous le coup de la loi, notamment pénale ». La CNCCEP a donc demandé un embargo sur ces documents pour les deux jours de scrutin, y compris pour les médias et non pour les seuls candidats. C’était la seule solution possible : comment montrer ces documents liés directement à la campagne sans permettre aux candidats de répondre ?
Le deuxième communiqué, intitulé suites de l’attaque informatique qu’a subie l’équipe de campagne de M. Macron, a confirmé, brandissant la menace pénale : « la Commission souligne que la diffusion ou la rediffusion de telles données, obtenues frauduleusement, et auxquelles ont pu, selon toute vraisemblance, être mêlées de fausses informations, est susceptible de recevoir une qualification pénale à plusieurs titres et d’engager la responsabilité de ses auteurs. A la veille de l’échéance électorale la plus importante pour nos institutions, elle appelle l’ensemble des acteurs présents sur les sites internet et les réseaux sociaux, au premier chef les médias, mais également tous les citoyens, à faire preuve d’esprit de responsabilité et à ne pas relayer ces contenus, afin de ne pas altérer la sincérité du scrutin, de ne pas enfreindre les interdictions édictées par la loi et de ne pas s’exposer à la commission d’infractions pénales ». Il faudra suivre tout au long de la journée pour savoir si cet embargo est respecté… ce qui n’est pas évident, car jusqu’ici les menaces pénales n’ont jamais été vraiment mises à exécution.
D’éventuelles conséquences contentieuses ?
Cet événement pourrait-il avoir des conséquences contentieuses ? Ricardo Salas Rivera, sur le blog du droit électoral, a fait une étude de ce pourrait faire le Conseil constitutionnel en cas d’accident lors du premier tour, et nous avons nous-même répondu aux questions du club des juristes hier sur une potentielle annulation du scrutin présidentielle, en général et dans le cadre spécifique des « affaires ».
Alors que le Conseil constitutionnel a publié hier un communiqué disant qu’il proclamerait les résultats de l’élection du Président de la République mercredi 10 mai à 17h30, peut-il prendre en compte, avant de proclamer les résultats dans le cadre de son contentieux préventif, une violation du silence républicain voire des manœuvres qui seraient révélées par ces documents pour annuler l’élection ?
Comme nous l’avions dit au club des juristes, dans le cadre du contentieux présidentiel, la plupart des moyens sont des griefs relatifs aux opérations électorales (organisation des bureaux de vote, bulletins de vote, contrôle des délégués du Conseil constitutionnel, transmission des résultats, etc.), qui entraînent en général l’annulation des suffrages de bureaux de vote en entier ou de communes, mais jusqu’ici jamais au point de modifier les résultats du scrutin (c’est-à-dire affectant le passage au second tour ou l’élection du Président). Mais les irrégularités de propagande (interdiction de publicité commerciale, de diffusion de tracts la veille et le jour du scrutin, divulgation prématurée de résultats) sont peu effectives car il est impossible de démontrer que telle ou telle irrégularité a pu altérer la sincérité du scrutin au niveau national, hypothèse dans laquelle il faudrait au demeurant que l’écart des voix entre les candidats soit très faible (l’hypothèse avait pu être émise cette année pour le premier tour du fait du faible écart attendu entre les candidats). On trouve cependant parfois des cocasseries qui pourraient avoir un impact en l’espèce, comme l’annulation en 2002 des suffrages de la commune de Villemagne dans l’Aude parce que le maire avait fait installer au voisinage immédiat du bureau de vote « un dispositif symbolique de décontamination », ce qui avait été jugé par le Conseil constitutionnel comme incompatible « avec la dignité du scrutin » et « de nature à porter atteinte au secret du vote ainsi qu’à la liberté des électeurs » (décision n° 2002-111 PDR du 8 mai 2002).
Par conséquent, l’annulation de l’élection présidentielle et l’absence de proclamation des résultats est peu probable au moins à ce stade, parce qu’il faudrait des informations compromettantes, une violation du principe du silence républicain par les candidats et leurs équipes, et que cette violation soit considéré par le Conseil constitutionnel comme ayant eu une influence sur la sincérité du scrutin (ce qui supposerait un écart de voix faible entre les candidats ce qui n’est pas annoncé), ou sur sa dignité, ce qui est encore moins probable eu égard au peu d’utilisation de cette notion.
Mais… ne sait-on jamais… on ignore ce qu’il y a dans ces informations pour le moment. Et cette élection présidentielle n’a pas manqué de surprises.
A suivre !
Romain Rambaud