Par deux décisions rendues au fond, le Conseil d’Etat est venu clore le recours des Le Pen contre la décision de transmission de leur dossier au procureur de la République financier par la HATVP.
En effet, comme nous vous l’expliquions sur le blog du droit électoral, après avoir estimé qu’il existait un « doute sérieux quant à la l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité des déclarations [de patrimoine des Le Pen], du fait de la sous-évaluation manifeste de certains actifs immobiliers détenus en commun par M. Jean Marie Le Pen et Mme Marine Le Pen et, par ailleurs, de l’omissions de biens mobiliers par M. Jean Marie Le Pen », la HATVP avait décidé le 21 décembre 2015, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, de transmettre l’affaire au procureur de la République financier. Ces manquements étaient ainsi susceptibles de constituer l’infraction d’omission de déclaration d’une partie substantielle du patrimoine ou de son évaluation mensongère, prévue à l’article 26 de la loi sur la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013.
Marine et Jean-Marie Le Pen ont alors saisi le Conseil d’Etat contre cette décision de transmission, afin d’en demander le sursis à exécution, procédure remplacée depuis 2001 par la procédure de référé suspension. Le juge des référés du Conseil d’Etat avait rejeté ces demandes de suspension par deux ordonnances du 23 décembre 2015 au motif qu’elles ne présentaient par un caractère urgent, condition indispensable à la suspension d’une décision administrative. Romain Rambaud, sur le blog du droit électoral, nous expliquait alors toute l’ambiguïté de cette décision en estimant que le juge des référés aurait pu se contenter de rejeter la demande par ordonnance de tri pour motif d’incompétence de la juridiction administrative. En effet, il est de jurisprudence constante que la transmission au procureur de la République d’un dossier, par une autorité administrative, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, n’est pas dissociable de la procédure pénale.
Cette décision du juge des référés de ne pas soulever l’incompétence de la juridiction administrative, accompagnée d’un communiqué du Conseil d’Etat précisant que « Le Conseil d’Etat se prononcera ultérieurement sur le fond des affaires » nous laissait ainsi augurer d’un possible revirement de jurisprudence du juge administratif, ou à tout le moins, d’une volonté du juge des référés de laisser cette porte ouverte.
Or, en définitive, il n’en a rien été. Le Conseil d’Etat, le 4 mai 2016, a finalement rejeté les recours au fond de Marine et Jean-Marie Le Pen en arguant de l’incompétence de la juridiction administrative et confirmant ainsi sa jurisprudence classique. Le juge administratif relève que « l’avis donné par une autorité administrative au procureur de la République […] et la décision de transmettre les éléments s’y rapportant ne sont pas dissociables de l’appréciation que peut porter l’autorité judiciaire sur l’acte de poursuite ultérieur. Il n’appartient pas, dès lors, à la juridiction administrative d’en connaître ».
Un élément reste néanmoins obscur : pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il fait le choix de distinguer l’avis donné par l’autorité administrative d’une part, de la décision de transmettre les éléments du dossier au procureur d’autre part, alors même qu’il a considéré que ces deux éléments n’étaient pas dissociables de la procédure pénale ? Sans doute faut-il considérer que cette distinction permet au Conseil d’Etat de clore toute possibilité de recours contre le seul avis de l’autorité administrative et d’expliciter que celui-ci, dès lors qu’il était joint à une décision de transmission du dossier au parquet, devenait indissociable de la procédure pénale. Cette interprétation devra néanmoins être confirmée par la jurisprudence administrative future.
En conclusion, si les deux arrêts du 4 mai 2016 ne constituent probablement qu’une simple confirmation de la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat, ils ne sont malgré tout pas dénués d’importance puisqu’ils constituent la première pierre du régime contentieux des actes administratifs de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Il est désormais clair que ses décisions prises sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale relèvent du juge judiciaire, mais qu’en sera-t-il de ses appréciations, de ses avis, de ses injonctions, de ses recommandations ou encore de ses rapports, tels que prévus à l’article 18 de son règlement général ? La compétence de principe sera sans doute celle du juge administratif, mais quel sera le régime contentieux de ses différents actes ? Seront-ils tous susceptibles de recours ? Et surtout, quel sera le degré du contrôle exercé par le juge sur ces actes aux effets réputationnels potentiellement dévastateurs ?
Tous ces éléments constituent sans doute un beau chantier pour le blog du droit électoral.
Mehdi Taboui