Après quelques jours d’interruption, la commission des sondages a mis en ligne son tout nouveau site internet : http://www.commission-des-sondages.fr/ !
Ce nouveau site internet fait suite à la modification de la loi n°77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, opérée par la loi ordinaire, du paquet de modernisation électorale récemment adopté, c’est à dire la loi organique n°2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle modifiant, en application de l’article 6 de la Constitution, la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, et la loi n°2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections. Pour l’analyse de ce paquet et des décisions du Conseil constitutionnel qui l’ont accompagné, nous renvoyons à nos articles précédents.
Nous concentrerons ici nos analyses sur l’impact de cette réforme sur le droit des sondages électoraux.
La réforme des sondages électoraux : un invité surprise du paquet de modernisation électorale
Le paquet de modernisation électorale comprend un invité surprise : la réforme du droit des sondages électoraux. La proposition de loi ordinaire ne la prévoyait pas et, sans pouvoir entrer dans les détails, c’est l’insistance des sénateurs qui conduisit à son adoption.
En effet, le Sénat adopta les amendements soutenus par Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur consistant à intégrer dans la proposition de loi en débat les dispositions substantielles de la proposition de loi de réforme de la loi du 19 juillet 1977 qu’ils avaient déposée en 2010 et que le Sénat avait adoptée à l’unanimité en 2011, dans la version modifiée par la commission des lois de l’Assemblée Nationale mais qui n’avait jamais été inscrite à l’ordre du jour de la séance, expurgée cependant des dispositions relatives à la modification de la composition de la commission des sondages (Sénat, Rapport d’information de MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission des lois, n° 54, 20 octobre 2010 ; proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral, n° 276, 25 octobre 2010 ; AN, proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat électoral, texte de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, n°3502, 1er juin 2011).
Malgré l’opposition du gouvernement et les volte-face de l’Assemblée (rapport Pochon, p. 49 ; rapport Pochon n°2), un amendement fut adopté en séance en dernière lecture réinsérant la réforme de la loi de 1977 dans la loi (amendement n°1). C’est donc au prix d’un combat parlementaire que la réforme des sondages électoraux a eu lieu.
Elle était absolument indispensable, en tant que conséquence de la consécration de la démocratie continue en général et de la reconnaissance du rôle central des sondages dans la régulation des temps de parole en particulier (Rapport Béchu, pp. 52-55). La nouvelle loi modifie ainsi en profondeur la loi n°77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion en vue d’élargir le champ des sondages contrôlés, de renforcer la transparence et l’effectivité des sanctions (art. 6).
La redéfinition du sondage électoral
En premier lieu, l’article 1er portant sur la définition du sondage contrôlé est modifié. Jusqu’à présent, la loi visait « la publication et la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu’avec l’élection des représentants au Parlement européen ». C’est au « cas par cas » que la commission des sondages détermine ce qu’est un sondage ayant un rapport suffisant avec l’élection (commission des sondages, la commission des sondages face aux élections municipales de 2008 et aux élections européennes de 2009, pp. 13-14).
La nouvelle loi procède à un élargissement de la définition de sondage électoral, considérant que « sont régis par la présente loi, les sondages publiés, diffusés ou rendus publics sur le territoire national, portant sur des sujets liés, de manière directe ou indirecte, au débat électoral ». Cette disposition devrait conduire la commission à augmenter le nombre de sondages contrôlés sans toutefois que cela ne la conduise à contrôler les sondages qui présentent un caractère politique mais non un caractère électoral (Pierre Huet, « Le contrôle des sondages d’opinion en matière électorale », EDCE, 1979-1980, n°31, pp. 105-110 ; Jean-Michel Galabert, « La Commission des sondages : une expérience de régulation », in Études en l’honneur de Gérard Timsit, Bruylant, 2004, p. 310). Elle devra donc établir une doctrine et des critères pour déterminer ce qui relève du « débat électoral ».
Opportunément, le Conseil d’État a rendu le 4 avril 2016 un arrêt de principe sur cette question : un sondage relève du débat électoral eu égard à son objet et dès lors que sa proximité temporelle avec l’élection est suffisante (CE, Camelo Cassan, 4 avril 2016, n°393863). Eu égard à la réforme de l’élection présidentielle, la borne temporelle minimale à retenir par la commission devra être au moins le début du contrôle par le CSA des temps de parole, soit le 1er janvier de l’année. De façon plus générale, le CSA et la commission des sondages devront se coordonner étroitement pour que les sondages utilisés par l’un soient contrôlés l’autre.
Le renforcement de la transparence
En deuxième lieu, la loi cherche à mieux garantir la transparence, qui est la principale faiblesse du système aujourd’hui.
D’une part, elle complète les mentions obligatoires devant accompagner les sondages en vertu de l’article 2 de la loi : elle prévoit que doivent désormais figurer le nom du commanditaire et de l’acheteur s’il est différent, le texte intégral des questions posées, l’existence et l’étendue de la marge d’erreur, ainsi qu’une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice, qui existe déjà en droit positif mais est peu respectée. Il sera possible, pour le texte intégral des questions posées et la marge d’erreur, de se contenter de renvoyer au site internet de l’institut pour la consultation de ces informations (nouvel art. 2 de la loi de 1977).
D’autre part, la loi cherche à renforcer la notice du sondage déposée auprès de la commission. En effet, la transparence avait été mise à mal par rapport à la lettre de la loi de 1977, du fait du développement para legem de la pratique malheureuse de la double notice par la commission des sondages : celle-ci disposait d’une notice complète mais les tiers, ayant pourtant le droit d’accéder à la notice complète en vertu de la loi de 1977, ne disposaient que d’une notice réduite aux informations minimales, pratique qui avait pourtant été validée par le Conseil d’Etat au nom du secret des affaires (CE, Mélenchon, 8 février 2012, n°353357, R. Rambaud, RFDA, 2012, 520).
La présente loi vise à corriger ces dérives : elle reprend comme éléments devant figurer dans la notice les mentions précédentes et ajoute la méthode de choix de l’échantillon et d’interrogation, la proportion de non-répondants, l’existence de gratifications, les critères de redressement des résultats bruts du sondage. La loi prend soin de préciser que dès la publication ou la diffusion du sondage toute personne a le droit de consulter cette notice et que la commission des sondages met en ligne la notice sur son site internet (nouvel art. 3 de la loi de 1977). Cependant, le texte est édulcoré par rapport à la version proposée initialement par le Sénat, qui prévoyait notamment qu’il fallait faire figurer les critères « précis » de redressement, de sorte qu’une nouvelle fois c’est surtout l’application concrète de la loi qui importera… et le résultat des futurs contentieux.
Sur ce point, l’examen des notices désormais accessibles sur le site de la commission des sondages est fondamental. Sur ce point il semble que les « secrets de cuisines » ne soient pas développés : en effet si figurent toutes les mentions prévues ainsi que le redressement socio-démographique, le redressement politique ne figure pas dans la notice publiée en ligne ! C’est sur ce point que se jouera le secret des affaires…, sur la base de la solution dégagée par l’arrêt Mélenchon. Si on le regretter, il reste que cette loi apporte donc un progrès à la transparence par l’accès plus facile et plus complet qu’auparavant aux notices.
Le renforcement des pouvoirs de la commission des sondages
En troisième lieu, les pouvoirs de la Commission des sondages sont renforcés.
Tous les documents sur la base desquels le sondage a été publié devront être remis à la commission même si elle n’en fait pas la demande (nouvel art. 4) et la commission a « tout pouvoir pour vérifier les sondages ont été commandés, réalisés, publiés ou diffusés conformément à la présente loi et aux textes applicables » (nouvel art. 5), ce qui constitue une modernisation de l’ancien article 8.
La commission peut ordonner que les mentions prévues à l’article 2 soient publiées à tout moment si cela n’a pas été le cas et peut ordonner la publication d’une mise au point, laquelle doit désormais avoir une audience équivalente à celle du sondage en dehors même de la période électorale, alors qu’auparavant une telle audience était limitée à la période électorale seulement.
En outre, lorsque le sondage a été publié dans la semaine précédant le scrutin, les sociétés nationales de télévision programment et diffusent sans délai sur demande écrite de la commission des sondages la mise au point (nouvel art. 9). La mise au point se trouve donc renforcée, cependant ici aussi l’efficacité de la réforme dépendra de sa mise en œuvre pratique. En effet aujourd’hui le problème posé par les mises au point est moins leur manque d’audience, même s’il existe, que le caractère très abscons de leur formulation qui les rend incompréhensibles pour le lecteur.
En quatrième lieu, l’interdiction de publier des sondages la veille et le jour du scrutin jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain est maintenue avec une rédaction modernisée (nouvel art. 11), notamment pour prendre en compte les problèmes de décalage horaire outre-mer et pour poser le principe selon lequel cette interdiction n’est pas applicable aux députés des français de l’étranger et des députés de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et des îles Wallis et Futuna (nouvel art. 14).
En cinquième lieu enfin, la loi cherche à renforcer l’efficacité du dispositif en renforçant la sanction pénale de 75000 euros : non-respect de la loi et non-respect des mises au point bien sûr, mais aussi mauvaise utilisation du terme « sondage » ou création d’un délit d’entrave vis-à-vis des pouvoirs de la commission des sondages, l’ensemble étant augmenté d’une publication de la décision de la justice par les mêmes moyens que ceux par lesquels il a été fait état du sondage publié en violation de la loi de 1977 (nouvel art. 12). Cependant, c’est aussi de l’application concrète de la loi que dépendra son efficacité or on peut être sceptique puisqu’ aujourd’hui les sanctions pénales ne sont jamais appliquées.
Conclusion
C’est donc à un véritable modernisation de la loi de 1977 que procède le paquet de modernisation électorale. Celle-ci était indispensable eu égard à l’évolution de notre droit électoral vers la démocratie continue qui implique une importance toujours plus grande du contrôle et surtout de la transparence des sondages d’opinion. C’est une belle réforme qu’il faut saluer. Le progrès dépendra cependant beaucoup de ce que les acteurs et la société en feront.
A suivre donc, comme d’habitude !
Romain Rambaud