Faisant suite à notre précédente analyse de la future loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, il est proposé dans cet article une analyse du deuxième volet du paquet de modernisation électorale, à savoir la proposition de la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections. Cette loi a été transmise au Conseil constitutionnel par le Premier ministre en application de l’article 61 al. 2 de la Constitution (2016-730 DC) immédiatement après la transmission obligatoire de la loi organique.
Son sort est particulier, car de proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle elle est devenue une proposition de loi plus générale relative à l’ensemble des élections. On notera par ailleurs que la question des sondages électoraux est fondamentale dans cette loi qui vient modifier substantiellement la vénérable loi n°77-808 du 19 juillet 1977 : c’est officiel, notre ouvrage sur le droit des sondages électoraux devra être réécrit !
De la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle… à la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections
Au départ, cette proposition de loi était couplée à la proposition de loi organique relative à l’élection présidentielle et n’avait pas vocation à concerner l’ensemble des élections. Il s’agissait donc d’une proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Son objectif au départ était relativement restreint. Son article 1 visait à permettre à la CNCCFP de recruter des experts et son article 2 tendait à harmoniser, certes pour l’ensemble des élections, les sanctions pénales réprimant la divulgation prématurée les jours de vote de résultats partiels ou d’estimations réalisées par sondages.
Cependant, cette proposition de loi a été affectée de nombreux changements. Alors qu’au départ, la réduction du délai de contrôle des comptes des campagne à 6 mois (voir notre article précédent) était prévue dans la loi organique, elle a été insérée dans la loi ordinaire et étendue à toutes les élections, tandis que des dispositions sur les sondages ont commencé à être introduites – la proposition de loi Sueur et Portelli de 2010 avait, on s’en souvient, échoué. Au Sénat, ce sont les sondages qui ont pris le plus d’importance dans la mesure où les sénateurs ont profité du passage du texte pour ré-intégrer la plupart des dispositions de la proposition de loi Sueur et Portelli, tandis qu’ils ajoutaient également des dispositions pour accroître la transparence de la régulation des temps de parole par le CSA (alors que le Sénat s’opposait dans le cadre de la loi organique au changement sur la régulation des temps de parole). En deuxième lecture, c’est encore la question des sondages qui opposait l’Assemblée Nationale et le Sénat…. il faut croire que les sénateurs, qui avaient adopté la proposition de loi Sueur et Portelli à l’unanimité, y tenaient particulièrement. Finalement dans son texte définitif l’Assemblée Nationale préféra le compromis en acceptant que la réforme de la loi de 1977 figure dans le texte.
Dans la mesure où les dispositions en cause ne concernaient plus exclusivement l’élection présidentielle, le nom de la proposition de loi a été opportunément modifié.
Laissant ici de côté les quelques améliorations rédactionnelles qu’elle opère, cette loi a deux apports principaux, sur le contrôle des comptes de campagne et sur les sondages et estimations de résultats.
La réforme du contrôle des comptes de campagne
Cette loi a deux effets du point de vue du contrôle des comptes. D’une part, une réduction du délai de contrôle des dépenses électorales, d’autre part le renforcement des pouvoirs de la CNCCFP.
La plus importante modification apportée par la loi est sans doute celle qui résulte de son article 2 en vertu duquel au deuxième alinéa de l’article L. 52-4 du code électoral, les mots : « l’année » sont remplacés par les mots : « les six mois ». Le contrôle des comptes de campagne devrait donc demain, pour toutes les élections sauf la présidentielle, passer de 1 an à 6 mois. Cette disposition résulte directement d’une demande explicite de la CNCCFP qui dans son précédent rapport proposait de « raccourcir la période de prise en compte des dépenses électorales » :
« L’une des origines des mises en cause récurrentes d’élus, en particulier ceux des collectivités territoriales, portant sur l’utilisation de moyens publics par un candidat sortant, réside dans la longueur de la période de douze mois pendant laquelle les dépenses électorales doivent être recensées afin d’assurer l’exhaustivité du compte de campagne. En effet, le caractère éventuellement électoral des dépenses exposées dans les douze mois avant l’élection est souvent difficile à contrôler, alors que l’essentiel de la campagne se déroule en fait dans les trois à six derniers mois. La commission suggère ainsi que soit étudiée la possibilité de raccourcir la période de prise en compte des dépenses électorales à six ou huit mois, au sens de l’article L. 52-4 du code électoral ».
C’est donc cette revendication qui a été satisfaite, sauf pour l’élection présidentielle, et il est vrai qu’elle n’est pas choquante car pour une élection locale, les campagnes en général ne commencent pas avant 6 mois et la question de la séparation entre les fonctions officielles et les dépenses électorales est difficile pour une campagne locale. Cela aura par ailleurs pour effet bénéfique d’alléger la charge de travail de la CNCCFP et de contrôler moins pour contrôler mieux, ce qui semble semble nécessaire dans le contexte actuel. C’est donc une solution que l’on peut saluer d’un point de vue pratique.
Par ailleurs, l’article L. 52-14 du code électoral est complété par une disposition en vertu de laquelle la CNCCFP peut « recourir à des experts à même d’évaluer les coûts des services et des prestations retracés dans les comptes de campagne et de l’assister dans l’exercice de sa mission de contrôle mentionnée à l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ». Cette disposition permettra à la CNCCFP de mieux réaliser son contrôle.
Ces deux évolutions sont à saluer. Cependant, une analyse plus complète de la loi devra s’intéresser aussi à ce que la loi ne fait pas, notamment par rapport aux propositions du rapport Colas. L’avancée reste moindre que ce qu’elle aurait pu être, concernant notamment la question du contrôle des partis politiques.
La réforme des sondages et des estimations de résultats
Le deuxième volet de la réforme porte sur les sondages et la diffusion des résultats. Les évolutions étaient attendues depuis longtemps et elles sont bénéfiques. La réforme doit être saluée… même si l’on peut encore se poser des questions sur ses effets pratiques et douter de son efficacité.
D’une part, l’article 4 de la loi prévoit que la référence à l’article L. 52-2 du code électoral est supprimée à l’article L. 89 et que la référence à l’article L. 52-2 est ajoutée à l’article 90. Pour parler français, l’effet de cette rédaction est de faire passer de 3750 euros à 75000 euros d’amende le fait de diffuser avant la fermeture des derniers bureaux de vote des résultats ou des estimations de résultats, alignant le régime de la diffusion des résultats sur le régime de la diffusion de sondages. Cette disposition a pour objet de corriger une faille du dispositif réglementaire précédent révélée notamment lors de l' »affaire Royal » lors des élections législatives de 2012. Cela va dans le bon sens mais la sanction est si élevée que l’on peut craindre qu’elle ne soit pas appliquée en pratique, comme cela était le cas auparavant. Mais il est nécessaire que la dissuasion ait lieu.
D’autre part, la loi de 1977 est réformée ! C’est une excellente nouvelle, dans le sens où nous appelions à cette réforme depuis fort longtemps… Les sénateurs Sueur et Portelli auront donc enfin réussi à faire adopter leur proposition de loi ! Cette évolution semble d’autant plus nécessaire que la loi organique consacre désormais explicitement le rôle des enquêtes d’opinion dans la régulation des temps de parole…. Redéfinition de la définition des sondages, amélioration de la transparence, amélioration de la publicité des mises au point, etc.
Nous vous proposons d’écrire bientôt un article spécifiquement consacré à la question de la réforme de la loi de 1977… car elle mérite un traitement particulier au sein de ce qui était avant le blog du droit des sondages électoraux…
A suivre !
Romain Rambaud