Hier a eu lieu le colloque en hommage à Jean-Claude Colliard, organisé par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et par l’AFDC (Association française de droit constitutionnel) sous l’impulsion de Julie Benetti. Vous trouverez ci-dessous des notes personnelles prises pendant le colloque mais qui, je l’espère, constituent un compte-rendu très rapide mais plutôt fidèle de l’essentiel des échanges qui se sont tenus au cours de cette journée, et qui furent extrêmement intéressants.
Hommages
Le colloque a bien entendu débuté par un hommage rendu à Jean-Claude Colliard par Anne Levade, Dominique Rousseau et Pierre Avril, qui ont chacun insisté sur la brillante carrière universitaire et extra-universitaire du Professeur Colliard, sur l’importance de la conception du droit constitutionnel, proche de la science politique, qu’il avait adopté et sur le caractère central des partis politiques dans ses travaux. Le choix du sujet, le droit interne des partis politiques, ne pouvait être plus adapté, autant eu égard à sa proximité avec l’auteur honoré qu’au regard de son actualité.
De la liberté des partis politiques
La liberté d’organisation des partis politiques, Daniel Gaxie, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
On constate une tendance récente à l’affirmation plus explicite du principe de la liberté des partis, au niveau national (article 4 de la Constitution en France), mais aussi au niveau européen. Cependant, ce principe entre en tension avec un nombre croissant de principes concurrents et il y a par conséquent de plus en plus de restrictions à cette liberté, cette tension trouvant son origine entre la vision normative, officielle, des partis, et la manière dont ils sont perçus dans la société civile. Dans la version officielle, les partis constituent un élément clé de la participation des citoyens et donc une composante indispensable du pluralisme politique, garantissant un choix réel aux citoyens, s’assurant de l’information des citoyens et du recrutement politique. Mais dans le même temps, les partis sont de plus en plus mal perçus par les citoyens, qui les considèrent comme des organisations au service d’une élite politique bien définie, au service de la capture du pouvoir, non représentatives (recul des adhésions, recul des loyautés électorales) : les partis connaissent une crise. Cela aboutit alors à un aménagement voire à une restriction de la liberté d’organisation des partis : par exemple en matière de financement. Aujourd’hui il y a une activité croissante législative dans les différents Etats européens et au niveau international (CEDH, OFCE, Commission de Venise).
La liberté des partis est protégée par la liberté d’association. Ils peuvent obtenir des privilèges légaux notamment dans le domaine du financement politique et dans l’accès aux ressources médiatiques publiques. Cette liberté est ancienne et bien établie.
La nouveauté est l’apparition d’un nombre croissant de principes concurrents. Certains sont anciens : la République, la non-violence avec l’interdiction d’entretenir des milices. Mais il existe de nouveaux principes. C’est le cas notamment du principe de non-discrimination et de la représentation paritaire des hommes et des femmes : selon les autorités européennes, des mesures en faveur des femmes ou des minorités ethniques sont possibles, et en France cela se fait essentiellement par l’intermédiaire des règles du droit électoral. Les autres principes sont la transparence et l’égalité des chances en matière électorale, notamment pour ce qui concerne le financement public ou l’accès aux médias publics.
Le droit peut aussi cacher une volonté de prendre la main sur les partis. Ainsi, le problème posé par le financement public est l’autonomisation et la professionnalisation des partis qui en résultent, car c’est aussi une manière pour l’Etat de s’immiscer dans les affaires des partis. Certains auteurs pensent que l’intervention de l’Etat pourrait justifier un encadrement croissant des partis, par exemple qu’en échange du financement public des partis, ou pourrait leur imposer un certain nombre d’obligations fondamentales. Cependant, la réglementation croissante des partis pourrait alors avoir pour effet paradoxal de renforcer l’autonomie des partis vis-à-vis de la société civile et l’effet pervers de leur professionnalisation.
La liberté idéologique des partis politiques, Thomas Hochmann, Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne
La liberté idéologique des partis politiques est la liberté pour les partis de choisir les idées qu’ils entendent défendre. Cette question est difficile à traiter du point de vue du droit interne des partis politiques. Le plus intéressant est les limites de la liberté idéologique, qui ne sont pas internes aux partis politiques mais qui sont des limites externes au parti : cependant, cette question touche au droit interne des partis politiques dans la mesure où elle a bien sûr un effet sur les idées portées par le parti.
Du point de vue interne, la liberté idéologique du parti peut concerner le droit disciplinaire : un parti peut choisir d’exclure certains de ses membres défendant des idées contraires à sa philosophie. Le parti traduit aussi son idéologie en choisissant ses candidats, ce qui constitue un privilège important, même si la primaire ouverte a tendance à porter atteinte à cette liberté idéologique aujourd’hui : les partis peuvent alors prévoir des garde-fous pour préserver leur liberté et leur cohérence idéologique (engagement en faveur de certaines valeurs, paiement d’une somme d’argent, etc.). Cependant, on constate qu’il n’y a pas d’exigences fortes dans les partis pour les candidats à la primaire eux-mêmes du point de vue idéologique, si ce n’est l’obligation de soutenir le candidat finalement choisi (au contraire de ce qui est déjà arrivé aux Etats-Unis avec l’interdiction de candidater à la primaire républicaine d’un homme politique suprémaciste blanc).
Du point de vue externe, il existe des limites indirectes et directes à la liberté idéologique des partis politiques. Pour ce qui est indirect, on peut citer les principes qui visent les adhérents comme l’interdiction à la discrimination raciale, qui ne vise pas le parti directement car cette infraction ne s’applique pas aux personnes morales en France et donc aux partis politiques sauf exceptions (ce qui est critiquable au regard de la jurisprudence constitutionnelle qui ne donne pas de droits particuliers aux partis politiques en matière de presse). Il existe aussi des limites directes, interdisant aux partis de défendre certaines idées. Aux Etats-Unis, aujourd’hui, l’expression est très libre et on ne réprime que si une infraction va être commise ; au contraire, en Allemagne, l’article 21 de la loi fondamentale autorise la dissolution de partis qui veulent renverser par leur but ou leur action la République. Cet article est souvent présenté comme l’inspiration de l’article 4 de la Constitution, lequel pourtant ne prévoit pas, notamment, de procédure de dissolution des partis contrairement à l’article 21 de la loi fondamentale allemande. Cependant, en France, il existe des dispositions législatives qui permettent de dissoudre une association : notamment la loi du 10 janvier 1936, qui vise l’hostilité à la forme républicaine du gouvernement, l’apologie de la collaboration ou de la discrimination, la propagation d’idées ou de théories racistes. Ce qui ne pose pas de problème de constitutionnalité car cette législation peut être perçue au contraire comme une concrétisation de l’article 4 de la Constitution, notamment du principe de démocratie et de souveraineté nationale que les partis sont censés respectés, au point qu’on pourrait même envisager qu’elle serve de fondement à la dissolution du Front National.
La liberté d’adhésion aux partis politiques, Richard Ghevontian, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Par définition, l’adhésion à une association de 1901 est libre. S’agissant des limites à la liberté d’adhésion, elles ne posent pas de problèmes particuliers : un arrêt du 14 mars 1927 de la Cour de cassation a posé le principe selon lequel une association peut mettre des limites à l’adhésion. Il existe ainsi certaines limites extrêmes d’adhésion, ainsi pour les militaires, sous réserve des dispositions de l’article L4121-3 du Code de la défense. Il y a eu une décision de la CEDH relative aux policiers, qui a accepté l’interdiction d’adhésion afin de garantir que les policiers soient neutres vis-à-vis des citoyens, notamment au regard du passé totalitaire de la Hongrie. Il existe également des limites relatives, comme l’âge par exemple, la nationalité aussi : le Modem prévoit deux procédures distinctes. Les partis peuvent prévoir aussi l’adhésion à une charte éthique, l’interdiction d’être inscrit dans un autre parti politique, etc. Enfin l’adhésion doit aussi respecter des procédures particulières.
Il est donc facile de rejoindre un parti politique. Et pourtant, dans l’ensemble des formations politiques, le nombre de militants se réduit. Ce phénomène doit nous interroger. Il est sans doute lié au désintérêt ou à la méfiance des citoyens vis-à-vis des hommes politiques. Pourtant ce sont les partis politiques qui font vivre la démocratie. Il faut donc chercher à progresser sur cette question politique et démocratique fondamentale.
Le droit disciplinaire des partis politiques, Yves Poirmeur, Professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Les partis sont-ils en train de se doter d’un droit disciplinaire commun respectueux d’un droit disciplinaire commun à toutes les institutions ? C’est à laquelle on peut essayer de répondre.
Le pouvoir disciplinaire est particulièrement important pour les partis politiques : ce sont des entreprises spécialisées dans la conquête du pouvoir politique dont le but est de placer leurs chefs au pouvoir. Le militant a donc une place fondamentale dans ce système. La discipline est particulièrement nécessaire dans ces organisations et elle est très difficile à contrôler. C’est donc un pouvoir fondamental au sein d’un parti, qui tient selon les interprétations doctrinales soit du contrat soit de l’institution. Mais ce pouvoir ne se fait pas sans aucun contrôle, et les partis ont tendance à sécréter un droit disciplinaire dont Maurice Duverger avait commencé à décrire les différents éléments. Ce pouvoir disciplinaire a été reconnu comme consubstantiel aux partis politiques par la CEDH. Il y a aujourd’hui un double encadrement : par le parti en interne et en externe par des règles secrétées par l’Etat.
Cependant, il semblerait que ces principes soient peu appliqués en pratique : cet écart a été très souvent mis en évidence par les auteurs ayant travaillé sur cette question.
En réalité, le droit interne disciplinaire des partis est très éclaté, très peu homogène. On le constate sur tous les plans. Chaque parti a ses spécificités et la discipline ressort notamment de l’histoire : les infractions ne sont pas les mêmes, les sanctions ne le sont pas non plus (certains partis ont une gamme limitée, d’autres ont une gamme beaucoup plus forte) et la mise en œuvre des procédures disciplinaires est gouvernée en réalité par des considérations politiques, les procédures sont également très variables.
Cependant il y a en ce moment une évolution vers un droit commun du droit disciplinaire des partis, du fait de l’évolution vers la forme du parti cartel : le paiement des cotisations devient fondamental, les investitures sont très sensibles et leur non-respect entraîne une exclusion presque automatique, le droit disciplinaire des élus se standardise. Par ailleurs, il y a une adoption progressive des règles favorisées par les standards externes, notamment du fait des travaux du Conseil de l’Europe et notamment le code de bonne conduite en matière de partis politiques adoptés en 2009 qui suggère de se rapprocher d’un fonctionnement judiciaire.
Tout cela pose la question de la rédaction des statuts aujourd’hui : ils sont de plus en plus précis, ce qui alors pose la question de la liberté et de la flexibilité politique de ces partis.
Table-ronde sur les instances de contrôle et de déontologie des partis politiques, modérée par Julie Benetti
Anne Levade, Professeur à l’Université Paris-Est Créteil, Présidente de la Haute autorité du parti Les Républicains
Les hautes autorités des partis politiques ont une forte notoriété, on en parle beaucoup dans la presse, mais elles ont quelque chose de nébuleux, ce qui entraîne des confusions.
La Haute autorité des Républicains est différente de la Haute autorité des primaires. La Haute autorité du parti a une particularité : elle a pour objet de rompre avec ce qui existait au moment de l’élection de 2012, à savoir deux autorités, la COCUE et la Commission nationale des recours, qui était juge d’appel du contentieux électoral et instance disciplinaire. Désormais, depuis 2012, il existe la Haute autorité du parti compétente en matière électorale et une commission des recours compétente uniquement sur le volet disciplinaire. La déontologie et l’éthique relèvent d’une autre structure, le comité des sages. La composition est mixte, 9 membres, avec 4 membres extérieurs au parti dont le président, et 5 membres politiques. Elle est compétente pour l’élection du président des Républicains, pour toutes les élections et en tant que de besoin, pour d’autres opérations électorales.
La Haute autorité des primaires est extérieure aux partis, elle est composée exclusivement des 4 membres extérieurs de la Haute autorité des républicains. Une charte de la primaire a été mise en place, étant prévu que la composition pourrait changer si d’autres partis décideraient de se joindre à la primaire. Le contentieux électoral et la mobilisation de compétences juridiques sont fondamentaux pour faciliter le fonctionnement au sein du parti.
Jean-Pierre Mignard, Avocat, Président de la Haute autorité éthique du Parti socialiste
Ces autorités naissent alors que les partis sont en danger mortel. Les primaires correspondent finalement au vœu gaulliste et sont bonnes pour la démocratie, au niveau national comme au niveau local, comme ce fut le cas par exemple à Marseille. La Haute autorité était composée de trois membres, elle ne gérait pas contrairement à la Haute autorité des Républicains le budget de la campagne, mais elle édictait les formes (enregistre les candidatures, tranche les conflits), et veillait au respect de ces formes, contrôlait la régularité du scrutin, proclamait les résultats. L’objectif fondamental est de rassurer effectivement les électeurs.
Puis depuis la fin des primaires une deuxième autorité a été créée, une Haute autorité éthique compétente en matière éthique et en matière électorale, qui donne des avis pour modifier les statuts du parti et en améliorer le fonctionnement. La Haute autorité éthique s’est entourée de nombreux experts, notamment de professeurs de droit. Le parti politique commence à partager ses pouvoirs avec la société civile, les membres du parti socialiste étant minoritaires. Cela favorise les partis car lorsque ceux-ci adoptent des règles strictes, les électeurs acceptent de participer aux rendez-vous organisés par les partis politiques. Pour Marseille, il y avait 300 référents pour les élections internes, ce qui montre le partage du pouvoir avec la société civile. Les citoyens ne sont pas t rétifs aux partis politiques, ils sont rétifs à une certaine manière de faire de la politique. Ils reviendront à la politique si on fait de la politique correctement.
Julie Benetti à Alain Auffray, Journaliste à Libération
L’hypothèse de ces autorités est-elle viable ?
Alain Auffray, Journaliste à Libération
Ce n’est pas sûr, car ces autorités sont créées dans un climat de crise très violent, même s’il y a eu des progrès depuis l’élection de Jean-François Copé. Les affaires des primaires et la création des autorités indépendantes sont très liées en réalité. Cependant, même si on admet l’existence de ces autorités dans les partis, il y a un climat de méfiance très fort, vis-à-vis des autorités indépendantes dans les partis. Par exemple Henri Guaino et Nicolas Sarkozy ont fait part à plusieurs reprises de leur méfiance vis-à-vis de ces autorités.
Julie Benetti
Existe-t-il une tentation d’importer les règles de la présidentielle ?
Jean-Pierre Mignard
Ce sont les partis qui décident des règles, non les hautes autorités, dont le rôle est surtout de faire respecter les règles qui ont été décidées par le parti. Il est important de ne pas confondre ces différents niveaux, car les hautes autorités n’ont pas vocation à se substituer aux partis. Il ne faut pas leur en demander plus. Leur objectif est de faire respecter les règles et cela est absolument fondamental pour redonner confiance aux démocraties.
Anne Levade
Sans une once de désaccord avec Jean-Pierre Mignard, dans le cadre des Républicains, le regard est un peu différent car (Anne Levade) a d’abord travaillé à la rédaction des statuts et de la charte avant de venir président de la Haute autorité. Par ailleurs, il y avait aussi l’idée de travailler sur des règles et, par rapport à l’élection présidentielle, effectivement de s’inspirer du système de parrainage par des élus puisqu’il en faut 250 pour les républicains. En outre la Haute autorité rédige le guide électoral, qui peut donner lieu à interprétation. Par ailleurs il y aura des décisions rendues par l’autorité qui feront jurisprudence : par exemple, certaines erreurs lors du vote électronique constatées qui n’avaient pas altéré eu d’effet quantitatif sur le scrutin ont été considérées comme n’ayant pas altéré la sincérité du scrutin, comme l’aurait décidé n’importe quel juge électoral.
Alain Auffray
Il y quand même des doutes. La charte dit que lorsque le président du Parti se présente, il doit se retirer. Et c’est pour cela que Sarkozy est candidat aux primaires sans le dire : la question n’a pas été correctement tranchée de savoir quel est le statut du président du parti lorsqu’il est candidat. Cette question va empoisonner la primaire parce que la participation du président n’est pas clairement tranchée, pas clairement précisée.
Anne Levade
La charte est le résultat d’un compromis adopté en bureau politique, et la formule adoptée est un point d’accord intermédiaire. Par ailleurs, le droit ne pourra jamais tout prévoir, on ne peut pas être trop précis (par exemple en fixant une date obligatoire de retrait), car on peut prévoir l’évolution des choses. C’est un point sur lequel la Haute autorité pourrait être saisie. Par ailleurs il n’y a pas de règles hyper strictes sur le dépôt des candidatures. Le CSA aussi a des difficultés sur ces questions. On rejoint en réalité les préoccupations des autres autorités administratives indépendantes sur le phénomène particulier des primaires, comme on le voit notamment avec les propositions du CSA sur la régulation des temps de parole intervenues mi-septembre.
Jean-Pierre Mignard
C’était aussi le cas avec la Commission des sondages qui a intégré les sondages de primaires ouvertes dans son contrôle. Le cas se pose aussi avec la campagne, les propos publics, et la question du propos public raisonnable en démocratie… questions qui sont régies dans une campagne externe, mais qu’on peut se poser aujourd’hui à l’intérieur même d’un parti politique : quel est le degré de courtoisie nécessaire à un débat politique ?
La question est aussi celle de l’intervention du législateur pour les primaires, car les primaires font désormais partie de la vie politique. Il faudra à un moment donné que la loi prenne le relais car ne nous sommes pour l’instant que des « bricoleurs héroïques ».
Anne Levade
Notre rôle en tant que Haute autorité est de trouver le juste équilibre entre les principes juridiques et l’acceptabilité politique. Il y a deux niveaux, un niveau juridique et un niveau politique pour avoir un accord. Il faut donc essayer d’obtenir un accord politique et s’il n’y en a pas avoir recours à des éléments juridiques qui peuvent être des éléments de solution.
Alain Auffray
La question se pose aussi de celle des moyens. Comment faire respecter le principe d’égalité du point de vue des moyens au niveau des primaires ? Le problème n’est pas résolu.
De la démocratie dans les partis politiques
L’aménagement des rapports entre parti politique et groupe parlementaire, Frédéric Sawicki et Damien Lecomte, Professeur de science politique et doctorant à Paris 1
Le contrat sur les rapports de pouvoirs et de disciplines relatifs au sujet n’a pas tout à fait été respecté : en effet, cela n’a aucun sens de traiter des groupes parlementaires sans parler du gouvernement, aujourd’hui le Parlement est un comité du cabinet, un comité de l’exécutif, et cela est rendu possible grâce à des partis politiques très structurés : le sujet sera traité à travers le prisme du parti socialiste seulement. Qu’est-ce qui explique qu’un parti aussi discipliné, rétif à la présidentialisation, ait pu accepter d’entrer dans la logique présidentialiste ? Quand est-ce que l’accord entre le gouvernement et le parti majoritaire ne fonctionne plus ?
Le quinquennat de François Hollande est caractérisé par une fronde parlementaire particulière car plusieurs conditions permettant la cohérence habituellement ne sont pas réunies. François Hollande n’était pas premier secrétaire du PS à l’époque, il n’a pas respecté ses promesses de campagne, il y a eu de très lourdes défaites électorales. Mais le parti socialiste en tant qu’il soutient le présidentialisme perd son pouvoir de nuisance vis-à-vis du groupe parlementaire : cela affaiblit le parti car le parti socialiste a été mis de côté au final. Cela a entraîné une autonomisation du groupe parlementaire : c’est au sein du groupe parlementaire, avec les frondeurs, davantage qu’au sein du parti, que les débats ont lieu. Pour autant le système tient : le parti continue à se positionner derrière le président. Mais cela tient mal, car cela se paie au prix fort du point de vue du nombre d’adhérents et du point de vue des résultats électoraux. Le groupe parlementaire reflète ces contradictions.
Les partis politiques peuvent-ils avoir un juge ? Jean-Pierre Camby, Professeur associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Le parti politique se caractérise par 4 critères cumulatifs : une association de nature politique, la structuration en double niveau, niveau national et niveaux locaux, la volonté d’exercer le pouvoir, et la recherche effective du soutien populaire. Les partis politiques bénéficient de la liberté absolue, le mieux est de lutter contre l’inflation législative. Ces partis n’ont pas un statut mais l’esquisse de quelque chose qui ressemble à un statut : ils ont été saisis par les lois sur le financement des partis et des campagnes électorales, la définition des partis résultant alors de la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Les partis politiques n’ont pas un juge. Il y a des juges. Et ces juges ne jugent pas des partis mais des statuts.
Les partis ont des juges. Il y a eu 402 partis en 2014. Faut-il légiférer sur ces organisations aussi différentes et diffuses ? Le statut de parti politique est en effet attractif pour des raisons financières, ce qui a multiplié les interventions du juge. Il y a le juge du financement, le juge des buts, le juge de la vie interne des partis. Concernant le juge du financement, il y a eu le juge constitutionnel en juillet 2015 (qui a validé le système actuel d’aide publique) ou le juge électoral, par exemple le juge administratif lorsqu’il apprécie la qualification d’une antenne locale pour savoir si celle-ci peut financer une campagne. Il y a aussi le juge des buts, comme le juge administratif en matière de dissolution avec l’article L. 212-1 CSI. Le juge interne du parti enfin est le juge judiciaire : contrôle des clauses statutaires, des sanctions, des exclusions qui en découlent (Jean-Marie Le Pen, CA de Versailles, avril 2015) mais le contrôle est timoré, banalisé, car ce sont des rapports de droit privé.
Il n’y a par ailleurs non pas un contrôle des partis politiques, mais un contrôle des éléments statutaires des partis : le juge est le juge des statuts et non le juge des partis. Il y a un contrôle d’abord sur la liberté d’agir, mais seulement en régularité, et jamais en opportunité, comme on le voit pour les litiges disciplinaires, même si l’action est parfois entravée par la transparence (avis CADA 4 mars 2004 qui considère que les comptes sont communicables). Il y a un respect de la liberté de candidature, le juge de l’élection n’appréciant pas la sincérité de l’adhésion d’un candidat aux idées du parti. Le juge respecte la vie interne des partis : le 24 septembre 2015, s’agissant du nom Les Républicains, le juge a considéré que les associations tierces ne sont pas fondées à saisir le juge pour faire valoir des éléments d’intérêt général. Dans des décisions récentes du juge judiciaire, sur l’UDI ou sur Jean-Marie Le Pen, le juge fait respecter les règles internes et se pose en juge de la légalité interne : il estime notamment que les voies de recours internes aux partis doivent être épuisées avant de pouvoir le saisir. Le juge préserve la liberté des partis et cela va dans le sens de l’article 4 de la Constitution.
Comment les primaires ouvertes sont-elles devenues possibles en France ? Remi Lefebvre, Professeur à l’université de Lille 2.
La primaire ouverte est processus de désignation plus inclusif visant les sympathisants et non plus les adhérents. Comment ce modèle s’est-il imposé en France, alors que pendant très longtemps il était considéré comme un repoussoir de l’américanisation de la vie politique ? Jean-Claude Colliard considérait lui-même dans un article ancien que les primaires ouvertes étaient impossibles et il doutait même de la possibilité de l’organisation de primaires fermées au parti socialiste, car à l’époque on considérait, s’agissait du choix de leur candidat, que les partis étaient plutôt dans un processus de légitimation que de sélection concurrentielle. On peut dégager trois modèles explicatifs de l’émergence des primaires : des variables lourdes, des variables conjoncturelles, et un processus d’imitation.
Concernant les facteurs structurels, les variables lourdes, on peut citer une série d’évolutions : démocratisation des partis, cartellisation, dé-crédibilisation des partis, personnalisation de la vie politique : au fond c’est une réponse à la crise de légitimité des partis. Les primaires sont aussi la manière de maximiser les chances des candidats, en ciblant l’électeur médian. Elles seraient conformes au nouvel esprit de la démocratie délibérative et participative.
Concernant les facteurs conjoncturels, ils sont plus intéressants : les primaires sont le résultat d’une stratégie politique, le résultat d’un jeu politique. Les primaires permettent alors de réguler une concurrence que les partis n’arrivent plus à gérer, alors que les fraudes ont rendu le vote interne tout à fait illégitime. Notamment on a de nouveaux acteurs, comme les think tank…Donc la primaire est simplement issue des luttes dans la conquête du pouvoir.
Il y a aussi un effet diffusionniste : le mimétisme est fort dans les situations de crise et on va chercher des modèles qui ont fait leur preuve précédemment. La primaire socialiste a eu effet de sidération très forte sur les dirigeants UMP, notamment en termes d’exposition médiatique.
Au final, les primaires sont issues de facteurs multiples, structurels, conjoncturels. Mais en réalité, c’est davantage dans les luttes internes aux partis politiques qu’il faut trouver la naissance des primaires que comme le résultat de facteurs exogènes.
Table-ronde : les partis politiques saisis par le droit, modérée par Dominique Rousseau
Dominique Rousseau, Professeur de droit à l’Université Paris 1
On constate que le droit saisit de plus en plus la politique et notamment le droit interne des partis politiques. Constatez-vous une pression croissante du droit sur la vie politique ? Si oui, est-ce bénéfique pour les partis, la démocratie, la société, la civilisation de nos relations politiques ou au contraire, est-ce que cela remet en cause le débat politique ?
Emmanuelle Cosse, Secrétaire nationale d’EELV
La réalité est que le parti a une forte capacité à créer une inflation législative interne énorme : c’est une organisation compliquée, fédérale, avec de nombreuses règles et de nombreuses instances. Et cela depuis longtemps. Ce qui a changé depuis quelques années de manière très forte, c’est que ce parti qui est quand même très bricolé, a connu une évolution forte avec les exigences de transparence. Cela change la donne fortement dans la vie juridique et comptable du parti, la CNCCFP demandant plus d’éléments qu’il y a quelques années. Il y a aussi des déstabilisations liées aux recours devant les tribunaux pour remettre en cause les investitures par exemple. Le parti reste dans une position particulière du point de vue du respect de la parité, du respect des minorités. Enfin, les partis sont dévorés par le droit de la Vème République et notamment la logique de la présidentielle, et le parti écologiste est moins préparé que d’autres à cette élection, ce qui pose des difficultés…
Il y a cependant une question politique : comment dépasser l’organe du parti politique en tant que tel ? Par exemple, le « coup politique » du référendum du PS peut être intéressant et il est assez étonnant paradoxalement… cela pose des questions sur l’avenir des partis.
Roger Karoutchi, Sénateur Les Républicains
La pression du droit est essentiellement financière, depuis 88, 93 et 95. A partir du moment où on a contraint par des lois le financement, on a changé le mode de fonctionnement et la première contrainte a été juridiquement financière.
La deuxième contrainte a été que progressivement les tribunaux se sont déclarés compétents pour résoudre des affaires internes aux partis politiques : désormais les juges remettent en cause les décisions des partis pour des raisons de procédure.
Aujourd’hui les partis politiques sont de plus en plus des associations classiques et de moins en moins des partis disposant de la liberté d’organisation au sens de l’article 4. Cela a-t-il des conséquences sur les formations politiques ? Oui, même si cela a peu de conséquences juridiques en pratique car le nombre de cas est rare, cela a des conséquences sur la façon dont les responsables réfléchissent : car les médias mettent la pression en permanence sur les partis politiques.
Le problème fondamental aujourd’hui est que d’une certaine manière le droit n’est pas adapté à l’opinion publique qui est tout le temps dans l’immédiateté, alors que le parti politique n’est pas adapté en termes de personnel à la juridicisation massive globale de la société : cela devient compliqué pour les partis politiques de suivre les exigences juridiques. Le défi est que le droit et la démocratie se retrouvent dans le temps, ce qui n’est pas le cas.
Jean-Jacques Urvoas, Député PS, Président de la commission des lois de l’Assemblée Nationale
Le fonctionnement des partis a subi la contagion de l’élection présidentielle, certes. Mais indépendamment de cela, aujourd’hui dans les partis politiques, on fait de plus en plus appel à l’outil du droit.
Tout d’abord, on fait appel du droit, notamment appel au juge, comme régulateur. Il y a de nombreux exemples : François Fillon dans le cadre de l’élection à la présidence de l’UMP demandant des mesures conservatoires, Rama Yade demandant l’annulation de l’élection et ayant été déboutée, la saisine du juge pour le nom des Républicains, la saisine du juge par Jean-Marie Le Pen, etc. Le juge est de plus en plus investi dans les rapports internes.
Ensuite, le droit devient un outil politique. Il y a une rhétorique de l’appel au juge comme menace dans le cadre des discours politiques, à la fois du juge civil et du juge pénal. Les tribunaux sont donc de plus en plus utilisés pour leur vertu mais c’est aussi un théâtre supplémentaire dans la démocratie d’opinion : le droit est utilisé comme un registre d’action, comme un registre de contestation politique. Les partis n’échappent pas au mouvement de la société vers la judiciarisation des rapports sociaux. Et le droit s’adapte aux mœurs.
Egalement, le droit vient donner une légitimité à la place de la légitimité politique, comme si la légitimité politique ne suffisait pas. Mais le droit est souvent instrumentalisé dans les négociations politiques, peu de gens vont finalement jusqu’au bout.
Enfin, cela montre malheureusement l’affaissement de la loyauté comme noyau dur de la politique. L’intervention du juge montre qu’on discute moins mais que l’on passe davantage à la victoire d’un camp sur un autre, il y a moins de consensus au sein des partis. Ce n’est pas un progrès.
Slobodan Milacic, Professeur émérite de l’université de Bordeaux
Le statut des partis révèle des éléments fondamentaux de notre culture : or, aujourd’hui il y a de plus en plus de droit mais cela ne veut pas dire que le droit est meilleur. On retrouve dans les partis politiques la tension entre la liberté et l’égalité.
La question du statut du parti politique est déjà une question idéologique : pour les libéraux, il ne faut pas de statut car c’est déjà une immersion excessive dans la liberté politique. Or aujourd’hui, les partis politiques ne sont pas tant que cela saisis par le droit, en France, contrairement à l’Allemagne par exemple. En France on n’a jamais réussi à établir un statut des partis politiques car ce n’est pas évident politiquement.
Cependant, la démocratisation des partis politiques révèle leur dé-crédibilisation, ce qui révèle d’une tendance démocratique de l’évolution de la société.
Donc en réalité, derrière la question du droit des partis politiques se cachent des questions fondamentales de choix politiques. Nous vivons un moment historique très grave pour la démocratie, où les idéologises les plus diverses coexistent et sont finalement dépolitisées.
Patrick Roger, Journaliste au Monde
Spontanément, ce serait plutôt que les « partis saisis par le droit », « les partis politiques rattrapés par le droit ». Cela s’est produit à partir des années 80 et on continue de la même manière, au rythme des affaires… c’est vrai pour les partis politiques et c’est aussi vrai pour les groupes parlementaires. On ne peut pas se plaindre de cette évolution.
Le recours au droit montre la faiblesse actuelle des partis politiques. Cela rejoint la crise des partis et la tentative de retrouver du crédit par des techniques référendaires, plébiscitaires, mais ce sont des mécanismes petit-bras qui ne réussiront pas à re-créditer les partis politiques. Les hautes autorités ont été créées en sortie de crise… et les situations de crise en réalité ne sont pas résolues par les hautes autorités, mais par des règlements politiques. Peut-on croire dans les hautes autorités ? Mais c’est une façade, c’est pour les partis une garantie morale, mais aux yeux de l’opinion cela ne compte pas énormément.
Emmanuelle Cosse
De toute façon, le droit ne pourra pas répondre à la crise des partis politiques, seuls les partis politiques pourront le faire. Le droit peut permettre la transparence, la compréhension, mais il ne résoudra pas la crise du discrédit politique, qui est seulement liée à la noblesse ou non de la politique et du combat politique.
Pour travailler plus juridiquement sur les choses, il faudrait aussi donner plus de moyens, notamment à la CNCCFP, qui ne sait pas répondre à certaines questions en matière de dépenses et qui reste dans un flou juridique important sur beaucoup de questions de fond. La République n’anticipe pas assez l’évolution de la vie politique.
Jean-Jacques Urvoas
Oui, les hautes autorités visent à renforcer la crédibilité des partis car on ne s’adresse plus seulement aux adhérents mais à tous les citoyens, pour garantir la sincérité du vote de la façon la plus noble, la plus haute. Le droit permet de s’adapter à cette nouvelle donne, car on va au-delà des sympathisants. Ces hautes autorités ont la capacité d’améliorer le fonctionnement des partis politiques.
Roger Karoutchi
Les hautes autorités sont une bonne chose, certes, mais elles ne font pas adhérer. Depuis 20 ans, la confiance des citoyens dans l’action politique se réduit, et c’est cela la question fondamentale. La capacité à changer la société des politiques a diminué. Le droit ne pourra pas résoudre ce problème-là.
Anne Levade
La haute autorité ne contrôle pas les partis, elle sert à éviter des risques et des contestations et c’est un facteur d’apaisement.
Jean-Jacques Urvoas
Je ne comprends pas l’intérêt du débat sur une loi relative aux partis politiques. Une loi pour quoi ? A quoi servirait une telle loi ? Il faudrait plutôt toucher les fondations, tous les partis se sont dotés d’une fondation, il faudrait une loi sur les fondations, il y a beaucoup de questions en ce moment.
Emmanuelle Cosse
Effectivement cela pose des questions notamment en termes financiers sur les fondations. Aujourd’hui les militants demandent des comptes au parti : en ce sens, que les partis se dotent d’un droit interne transparent est une très bonne chose.
Romain Rambaud