Le blog du droit électoral ne cesse de s’enrichir de nouveaux auteurs, permettant à la recherche numérique de couvrir de mieux en mieux l’ensemble des champs d’une matière qui dépasse toutes les frontières disciplinaires. Après avoir accueilli Carole Teman en droit du travail avant le congé d’été, puis Philippe Flory ce mois d’octobre pour le droit international public, c’est avec une très grande joie que le blog du droit électoral accueille aujourd’hui un nouvel auteur que l’on souhaiterait régulier, M. Matthieu Sannet. M. Sannet a en effet une particularité : il est expert-comptable (stagiaire). En tant que tel, il dispose d’une compétence rare : celle de maîtriser le droit comptable. C’est donc un atout pour le blog du droit électoral que de pouvoir rendre compte d’une des zones d’ombre les plus sombres du droit électoral : le contrôle des partis politiques. Bonne lecture !
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La loi SAPIN II dont la discussion s’achève à l’Assemblée Nationale contient un article aussi important que méconnu : l’article 14. bis A… sur les comptes des partis politiques. S’agit-il d’un effet d’affichage ou d’un approfondissement réel du droit comptable en matière politique ?
I – Les partis politiques saisis par le droit comptable
Si la question du statut juridique des partis politiques demeure posée par la rédaction de l’art. 4 de la Constitution de 1958 (érigeant en principe leur liberté de création et d’administration), un véritable « droit des partis » s’est formé avec et depuis la loi n°88-227 du 11 mars 1988.
Rappelons la définition tautologique donnée par la jurisprudence concordante du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel : un parti politique est une association loi 1901 à but politique « se soumettant aux règles fixées par les articles 11 à 11-7 » de la loi de 1988. C’est-à-dire et notamment, « l’obligation de tenir une comptabilité [retraçant] tant les comptes du parti ou groupement politique que ceux de tous les organismes, sociétés ou entreprises dans lesquels le parti ou groupement détient la moitié du capital social ou des sièges de l’organe d’administration ou exerce un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion. »
Sans comptabilité fiable, comment en effet répondre aux exigences de transparence et de moralisation du législateur ?
Les commissaires aux comptes, dont la nomination est rendue impérative par l’art. 11-7 de la loi de 1988, expriment par leur certification « l’assurance raisonnable que les comptes, pris dans leur ensemble, ne comportent pas d’anomalie significative »[1]. La sincérité des comptes d’ensemble et leur conformité à un référentiel comptable ad hoc, l’avis CNC 95-02, sont ainsi attestés.
II – L’annexe aux comptes d’ensemble, perspectives d’évolution ouvertes par la loi Sapin II
Le projet de loi « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » (dit Sapin II), dans sa rédaction amendée avant lecture définitive à l’Assemblée Nationale, est une nouvelle illustration d’un droit dicté par l’actualité médiatique et judiciaire. Il vise notamment à améliorer la connaissance de la commission de contrôle sur un point particulier lié aux comptes des partis et aux comptes de campagne : la question des prêts. En effet, aujourd’hui, si les prêts sont mentionnés dans les comptes les détails de ces prêts ne sont pas fournis, ce qui peut laisser planer un doute sur la nature réelle du prêt : certains prêts ne sont-ils pas des dons déguisés ? En exigeant d’aller beaucoup plus loin dans la transparence, la nouvelle loi cherche à lutter contre cette lacune législative.
Ambitionnant « une démocratie exemplaire dans la lutte pour la transparence »[2] et s’appuyant notamment sur le rapport de la HATVP publié en janvier 2015 et le rapport d’information de R. Colas à l’Assemblée Nationale, son art. 14 bis A fait écho à des affaires récentes (les financements russes du Front National pour le volet emprunts ; les affaires Jeanne-Riwal et Bygmalion pour le volet flux financiers avec les comptes de campagne) :
« Les partis ou groupements transmettent […], dans les annexes [aux comptes d’ensemble], les montants et les conditions d’octroi des emprunts souscrits ou consentis par eux, ainsi que l’identité des prêteurs, les flux financiers entre partis et entre les partis et les candidats soumis aux exigences de l’article L. 52-12 du code électoral. Lors de la publication des comptes, la commission indique les montants consolidés des emprunts souscrits ventilés par catégories de prêteurs, types de prêts et par pays d’origine des prêteurs, ainsi que l’identité des différents prêteurs personnes morales, les flux financiers nets entre partis et entre les partis et les candidats. »
Pour mémoire, lesdites « annexes » aux comptes étaient jusqu’alors définies par l’avis CNC 95-02 :
« L’annexe des comptes d’ensemble doit comporter toute information susceptible d’influencer le jugement des destinataires de ces comptes et pour autant qu’elle a une importance significative par rapport aux données du bilan et du compte de résultat. […]
Pour l’établissement de l’annexe […], [les partis] s’inspirent des dispositions du Plan comptable général relatives aux documents de synthèse du système de base et aux documents de synthèse consolidés. Le CNC estime opportun que les partis et groupements politiques donnent notamment les informations suivantes […]»
Comme le rappelle l’art. L. 233-20 du Code de commerce, « les comptes consolidés comprennent le bilan et le compte de résultat consolidés ainsi qu’une annexe : ils forment un tout indissociable. »
L’expression d’assurance du commissaire aux comptes s’étend donc à l’annexe aux comptes.
Il est à noter que le règlement CRC 99-02 applicable aux comptes consolidés prévoit la ventilation des emprunts et dettes financières « par nature […] ; par principales devises, par échéance (moins d’un an, plus d’un an et plus de cinq ans), par nature de taux (fixe, variable) » (art. 424). Néanmoins, ces informations n’ont pas été expressément reprises dans l’avis CNC 95-02 et n’ont jusqu’à présent pas fait l’objet d’une adaptation dans les jeux de comptes CNCCFP.
Indépendamment de leur traduction en annexe, commissaires aux comptes et CNCCFP sont d’ores et déjà amenés à contrôler les conditions d’octroi des emprunts, leur documentation (existence d’un contrat) et leur licéité (remboursement effectif). Par ailleurs, la notion de « flux financiers nets entre partis et entre partis et candidats » reste à préciser. Seuls les candidats déposant un compte de campagne sont visés. Comme souvent en la matière, la doctrine de la CNCCFP sera amenée à détailler les intentions du législateur (les concours en nature, la dévolution du solde du compte de campagne sont-ils des « flux financiers » ? Qu’est-ce qu’un flux financier net ? Les flux financiers devront-ils être individualisés dans l’annexe aux comptes d’ensemble par candidat soutenu ?).
III – Transparence et/ou efficacité pratique ?
L’art. 14 bis A tend en outre à améliorer l’information publiée au Journal Officiel. Ainsi,
« [La CNCCFP, à l’occasion de la publication des comptes de campagne] indique notamment les montants consolidés des emprunts souscrits par le candidat ou le candidat tête de liste pour financer cette campagne, ventilés par catégories de prêteurs, types de prêts et pays d’origine des prêteurs, ainsi que l’identité des différents prêteurs personnes morales. »
La publication conjointe de ces informations ayant trait aux comptes de campagne et aux comptes des partis est censée faciliter le recensement exhaustif des dépenses de campagne (donc l’appréciation de leur plafonnement) et dissuader l’enrichissement indu du parti (via le remboursement forfaitaire par l’Etat de dépenses de campagne surévaluées). Toutefois, les comptes d’ensemble des partis doivent être déposés à la CNCCFP « au cours du premier semestre de l’année suivant celle de l’exercice » (art. 11-7 de la loi n°88-227). Les comptes du parti ne sont donc pas nécessairement connus avant le dépôt des comptes de campagne (le 10ème vendredi suivant le premier tour) et vice versa. Dès lors, l’art. 14 bis A de la loi Sapin II n’est-il pas partiellement inopérant en ne rendant possible un contrôle de réciprocité qu’a posteriori ? Enfin, ne risque-t-on pas de décourager certains prêteurs en publiant leur identité et de nuire ainsi à l’équité politique ?
Conclusion
Si la volonté du législateur apparaît louable (mieux appréhender les financements politiques en luttant contre la fraude, sensibiliser les partis politiques au contrôle interne de leurs flux financiers), les nouvelles obligations de transparence susvisées se révèlent en partie d’affichage (ainsi qu’en témoigne le choix de la voie législative) alors même que le référentiel comptable applicable doit faire l’objet d’une refonte plus globale (dans le cadre d’une saisine en cours de l’Autorité des Normes Comptables).
Au final, la question posée au législateur comme à l’ANC est la suivante : les partis politiques méritent-ils un droit comptable d’exception ?
Matthieu Sannet
[1] Norme d’exercice professionnel (homologuée par arrêté du Garde des Sceaux) n°200 – Principes applicables à l’audit des comptes mis en œuvre dans le cadre de la certification des comptes
[2] Extrait du compte-rendu du conseil des ministres du 30/03/16