25/09/2014 : JT Sarkozy et rejet de la demande de Jégo par le CSA : entre solution attendue et fragilités juridiques

Ainsi que l’indique un nouvel article dans Le Figaro,  malgré un titre un peu trompeur  juridiquement (mais il est vrai plus sensationnel), le CSA vient de rejeter officiellement la demande de Y. Jégo s’agissant du temps de parole donné au président de la République lors du JT de dimanche soir de France 2.

Cette décision est intéressante du point de vue du droit de la régulation des temps de parole : si la solution sur Sarkozy était attendue (même si le CSA s’avère vigilant), le traitement qui est fait de la distribution des temps entre UMP et UDI est contestable dans les faits.

 

Le rejet attendu de la demande de Jégo pour ce qui concerne Sarkozy

Rappelant au début de sa lettre les principes posés par la pratique décisionnelle du CSA que nous avons restitués dans nos articles précédents (contrôle du pluralisme interne, contrôle de la répartition majorité-opposition-autre en dehors des périodes électorales, contrôle de l’équité pendant les périodes électorales ce qui n’est pas le cas ici), le CSA constate qu’il existe effectivement un déséquilibre des temps de parole : « Durant les deux premiers trimestres de l’année 2014, les représentants de l’UDI se sont exprimés pendant environ 13 heures et 30 minutes sur les antennes, contre environ 340 heures pour ceux de l’UMP ». Par contre, l’UDI a bénéficié de 9 heures de temps de parole pendant la campagne des élections européennes, ce qu’il a considéré comme conforme au principe de pluralisme interne (au regard du faisceau d’indices spécifique aux campagnes électorales).

Pour le CSA, à ce stade, ces chiffres ne révèlent pas une violation du pluralisme interne : notamment, ils ne révèlent pas un déséquilibre au détriment de l’« opposition parlementaire » : comme nous l’avions dit en effet, en dehors des périodes électorales, le seul décompte pertinent est le décompte majorité-opposition-autre, et par conséquent le décompte et l’appréciation de l’équilibre se fait dans le rapport majorité-opposition avant toute chose.

Cependant, le CSA précise que le déséquilibre vis-à-vis de l’opposition parlementaire pourrait se faire « notamment » vis-à-vis de l’UDI. Le CSA accepte donc de bien distinguer, à l’intérieur du bloc opposition, la situation de l’UDI et de l’UMP, ce qui est une avancée intéressante.

Cependant, c’est pour estimer que « pour ce concerne plus précisément France 2, le décompte provisoire des temps de parole ne traduit pas, à ce stade, de déséquilibre manifeste au regard de la représentativité respective de l’UDI et de l’UMP ». Notamment, le CSA indique, comme prévu, que la « réglementation du Conseil issue de la loi ne comporte pas la mise en oeuvre de mesures particulières s’agissant de la couverture médiatique des procédures internes de désignation des dirigeants des formations politiques ». Les principes classiques se trouvent donc confirmés (même si on peut les discuter), et le rejet du CSA pour ce qui concerne cet aspect est conforté : il aurait été étonnant, et sans doute très intrusif vis-à-vis de la liberté d’expression, que le CSA ne s’oppose à une émission telle que celle de France 2. Le CSA reconnaîtra d’ailleurs plus tard dans sa décision le caractère exceptionnel de l’émission en question.

Cependant, sans que cela n’aille jusqu’à entraîner une sanction, le CSA estime qu’en raison du caractère particulièrement exceptionnel de l’exception, il importe d’avertir France 2 sur le fait que cette pratique doit rester exceptionnelle. Effectivement elle l’était…

Mais la décision présente aussi des fragilités plus générales.

 

Les fragilités de la décision du CSA

Cependant, la lettre du CSA doit aussi retenir l’attention parce qu’elle présente une fragilité non pas du point de vue des principes, mais du point de vue de l’appréciation des faits et de l’application des principes aux faits.

Le point le plus important de la lettre du CSA est l’idée selon laquelle « le décompte provisoire des temps de parole ne traduit pas, à ce stade, de déséquilibre manifeste au regard de la représentativité respective de l’UDI et de l’UMP ». Si l’utilisation de la notion de représentativité n’est pas une nouveauté, c’est même le socle de la logique du CSA, son utilisation pour distinguer la place respective de l’UDI et de l’UMP au sein de l’opposition parlementaire est intéressante, même si le contrôle du CSA s’avère restreint puisqu’il n’examine que le « déséquilibre manifeste », soit le déséquilibre grossier.

Certes, on ne dispose pas des chiffres spécifiques pour France 2, mais justement, un point important est celui de l’absence de précision sur les critères utilisés pour déterminer cette « représentativité respective » des deux formations politiques.

En dehors des périodes électorales, il s’agit plutôt du nombre d’élus et des résultats des consultations électorales (alors qu’en période de campagne, le faisceau d’indices est plus large et plus orienté sur la démocratie continue, puisqu’il intègre la dynamique de la campagne, la notoriété du candidat, les résultats dans les enquêtes d’opinion, comme nous l’avions relevé dans un article de feu le blog du droit des sondages).

Dans ce cas, la décision du CSA est-elle soutenable ? Rappelons que le rapport entre UMP et UDI est de 13 contre 340, soit un rapport un rapport de 1 à 26, pour ce qui concerne les temps de parole généraux (en l’absence des temps pour France 2) ! Or, le calcul fait apparaître une distorsion forte : cette différenciation des temps de parole ne semble pas correspondre à une différenciation en termes de représentativité. 

Si l’on se réfère aux élus au Parlement (attention, les chiffres varient un peu selon les mises à jour), le groupe UDI compte 30 membres à l’Assemblée Nationale et 32 au Sénat, contre 185 à l’UMP pour l’Assemblée Nationale, et 130 au Sénat, soit 6 fois plus pour l’UMP à l’Assemblée Nationale et 4 fois plus au Sénat. On est encore loin, ici, du rapport de 1 à 26. Quant aux résultats des dernières élections municipales, ils ne font  pas apparaître un déséquilibre de 1 à 26, loin de là.

Ainsi, contrairement à ce qu’indique le CSA, si l’on s’en tient à ces seuls critères, le déséquilibre à l’intérieur de l’opposition parlementaire semble manifeste, au regard des indices classiquement utilisés par le CSA.

Celui-ci utilise-t-il alors d’autres indices, plus proches de ceux utilisés en période électorale, comme la dynamique de la campagne, la notoriété des candidats, ou les résultats des enquêtes d’opinion ?  Dans ce cas, ce serait une évolution de sa pratique, et son application au cas d’espèce resterait à justifier.

Si ce n’est pas le cas, comment le CSA raisonne-t-il pour déterminer qu’il n’y a pas de déséquilibre manifeste ? Comment fait-il pour appliquer sa « majeure » à sa « mineure », pour parler en juriste, et obtenir son « résultat » ? Sinon, quels sont les critères véritablement utilisés ?

Ces questions sont d’importance, car ce n’est pas la première fois que nous constatons, dans nos recherches, une certaine fragilité du CSA dans la mise en oeuvre de ses propres principes.

 

Conclusion

Alors, Yves Jégo pourrait-il faire un recours devant le Conseil d’Etat contre cette décision, non pas tant pour ce qui concerne l’émission de Sarkozy sur France 2, mais plus généralement sur le sort qui lui est réservé en dehors des périodes électorales ?

Juridiquement, cela se tente, même si le Conseil d’Etat se contenterait sans doute de veiller à l’absence d' »erreur manifeste du CSA ».

Outre le fait de veiller à la bonne répartition des temps de parole, une éventuelle décision du Conseil d’Etat permettait de faire avancer le droit électoral sur ce point, raison qui suffit à la souhaiter, scientifiquement.

 

Bonne journée !

Romain Rambaud