L’association française de droit constitutionnel (AFDC) organise son XI Congrès à Toulon du 15 au 17 juin 2023. Un événement attendu par l’ensemble des constitutionnalistes de France, celui-ci en particulier car il fait suite à longue attente suite à la période du Covid-19 ! Vous trouverez toutes les informations sur ce congrès sur le site dédié.
Comme toujours, le congrès de l’AFDC propose des ateliers. Il y en a 7 : « Constitution, pouvoirs et contre-pouvoirs » (n°1), « Constitution, pouvoirs locaux et démocratie locale » (n°2), « Droit constitutionnel, histoire et théorie du droit » (n°3), « Ordres constitutionnel, international et européen » (n°4), « Garanties juridictionnelles des droits et libertés fondamentaux » (n°5), « Mutations de la démocratie » (n°6), et Évolutions constitutionnelles en Méditerranée » (n°7). Il est de coutume, à l’AFDC, de se balader d’un atelier à l’autre pour écouter les différentes interventions et s’enrichir des contributions des collègues.
L’équipe du projet JADE (voir ici sur le blog du droit électoral la présentation du projet) a le plaisir de vous faire savoir que Romain Rambaud et Alya Hafsaoui feront une présentation du projet JADE dans le cadre de l’atelier n°3.
Cet atelier ouvre trois pistes de réflexion :
1 – La première est dédiée à la place de l’histoire dans la théorisation du droit constitutionnel et aux questions classiques qu’elle soulève.
La théorie peut-elle se passer de l’histoire ? Comment s’articulent la théorie de l’histoire et la théorie dans l’histoire ? La sémantique inhérente à la théorie de l’histoire est-elle conciliable avec celle de la théorie du droit constitutionnel ? Y a-t-il une « historicité » des concepts et des « significations » juridiques en droit constitutionnel ? Est-il possible de théoriser les évènements propres au droit constitutionnel ? Comment s’élabore la vérité d’un récit historique et cette construction de la vérité est-elle compatible avec la théorie du droit constitutionnel ?
2 – La seconde porte sur la posture du constitutionnaliste et la légitimité scientifique de sa production.
La distinction entre le droit comme objet et le discours réalisé par le chercheur sur le droit est-elle tenable en droit constitutionnel ? Est-il possible d’envisager une logique des normes en droit constitutionnel ? Est-il temps de repenser les théories de la norme à l’aune de la pratique des normes constitutionnelles ? L’atelier portera notamment sur la place du constitutionnaliste dans l’espace public – et dans la construction de celui-ci.
3 – Enfin, seront examinées les voies qui permettent au constitutionnaliste, en sus du regard théorique, d’échapper aux pièges épistémologiques auxquels il peut s’exposer en privilégiant une approche purement empirique ou descriptive.
Plusieurs voies mériteront une attention spécifique parmi lesquelles, notamment, figureront l’apport du droit politique, l’approche comparatiste et la méthode sociologique.
Dans ce cadre, le projet JADE sera présenté et donnera, nous l’espérons, lieu à d’intéressantes discussions.
En effet, le développement des recherches fondamentales concernant l’intelligence artificielle et ses champs d’application, dans une perspective interdisciplinaire, constitue une priorité scientifique aujourd’hui. Du point de vue des sciences juridiques, l’un des axes de ces recherches concerne l’utilisation de l’IA en matière de justice. Le projet interdisciplinaire « Justice algorithmique des élections » (JADE), porté par l’Université Grenoble-Alpes via le Centre de recherches juridiques (CRJ), le Laboratoire Jean Kuntzmann (LJK), le laboratoire d’informatique de Grenoble (LIG), avec le soutien de PACTE et de la chaire de société algorithmique du MIAI (Multidisciplinary Institute in Artificial intelligence), a pour objet d’utiliser des méthodes de mathématiques appliquées et d’IA à un objet juridique pour lequel elles n’ont jamais été utilisées et présentent un intérêt particulier, le contentieux des élections politiques. Il a été déposé début 2022 dans le cadre de l’IDEX de l’Université Grenoble Alpes consacré aux investissements d’avenir et a obtenu une réponse positive en juillet 2022. Ce projet dure sur la période 2022-2025. Dirigé par Romain Rambaud, construit autour d’une équipe d’une quinzaine de personnes, il finance notamment une allocation de recherche sur 3 ans, obtenue par Mme Alya Hafsaoui, dont la thèse porte sur « Les méthodologies de la justice algorithmique. L’exemple du contentieux des élections politiques ». La présente contribution serait donc présentée à la fois par Romain Rambaud et Alya Hafsaoui.
Le projet JADE part de l’hypothèse qu’en raison de ses caractéristiques intrinsèques, le contentieux des élections politiques pourrait constituer un terrain favorable à la justice algorithmique. Le point focal de la problématique ici est l’analyse de la sincérité du scrutin : l’office principal du juge électoral n’est pas de sanctionner des irrégularités en tant que telles mais de vérifier si la sincérité du scrutin a été ou non altérée, ce qui le conduit à n’annuler une élection que s’il considère que des irrégularités ont eu un effet réel sur le résultat du scrutin. En pratique, l’un des principaux critères utilisés dans un cas d’espèce est l’écart de voix entre les candidats ou les listes, en rapport avec un certain nombre de griefs. Le projet JADE a pour objet d’utiliser des méthodes de mathématiques appliquées et d’IA à cet objet juridique, dans le droit fil de recherches précédentes mettant en avant une approche empirique (v. R. Rambaud, « Les « lois » de l’écart de voix », AJDA, 2020, p. 1596), afin de les améliorer scientifiquement, de mieux comprendre le contentieux électoral voire in fine de proposer une aide à la décision au juge. Ce travail requiert une collaboration très étroite entre les juristes experts du contentieux électoral (CRJ et personnalité extérieures), les statisticiens (LJK), les informaticiens (LIG/MIAI), et ceux qui portent sur la justice prédictive une vue d’ensemble (PACTE/MIAI). Parmi les juristes, il suppose un travail commun entre universitaires, magistrats, documentalistes juridiques et avocats.
Les algorithmes de la justice algorithmique se décomposent en deux étapes, qui sont suivies par le projet : la mise en place des données et leur analyse par des logiciels afin d’obtenir la solution la plus probable. Une base de données informatisée du contentieux électoral est en cours de construction, sur la base des données disponibles aujourd’hui en open data en termes de contentieux électoral et d’élections, ainsi qu’une analyse juridique de celle-ci, d’abord partielle : nous nous sommes focalisés à ce stade sur le contentieux des protestations électorales législatives et sénatoriales devant le Conseil constitutionnel, et sur certains sous-échantillons en particulier, pour le moment les décisions rendues sur le fondement de l’article 38 al. 2 de 1958. Sur cette base seront développées des analyses statistiques et seront utilisés des logiciels d’annotation des décisions, de traitement automatique du langage afin d’engager une lecture automatique des décisions, et enfin d’analyse et d’exploration des données. Dans ce cadre les outils d’IA sont utilisés en parallèle de méthodes plus classiques sur le plan juridique ou informatique. Les premiers résultats de ces recherches seront publiés dans les prochaines semaines dans le cadre d’une étude rédigée par Romain Rambaud, Alya Hafsaoui et Caroline Bligny, dans l’AJDA.
Bien sûr, une telle démarche pourrait paraître à rebours de la problématique de l’atelier au sein duquel « seront examinées les voies qui permettent au constitutionnaliste, en sus du regard théorique, d’échapper aux pièges épistémologiques auxquels il peut s’exposer en privilégiant une approche purement empirique ou descriptive ». Mais l’utilisation concrète de méthodes empiriques de dernière génération peut au contraire s’avérer l’occasion rêvée de discuter de l’intérêt mais aussi des limites d’une telle approche. De l’expérience concrète émerge alors la réflexion épistémologique sur l’intérêt mais aussi les pièges que l’utilisation de l’IA peut poser et sur les manières d’articuler de la bonne manière les méthodes.
Au plaisir de vous retrouver à l’AFDC pour en discuter !
Romain Rambaud