Alors que le plan de lutte contre le Coronavirus est entré dans sa phase 2, la question se pose de savoir dans quelle mesure la diffusion du virus pourrait impacter les élections municipales qui doivent se tenir les 15 et 22 mars, alors que la campagne officielle débute le lundi 2 mars. D’après le ministre de la santé, Olivier Véran, « à ce stade » les élections municipales des 15 et 22 mars sont bien maintenues.
Vous trouverez ci-dessous notre interview au JT de France 3 du 2 mars 2020 sur ce sujet, et, en dessous, notre analyse écrite.
L’hypothèse du report des élections municipales
Si une épidémie survenait, avec l’enclenchement du stade 3 du plan gouvernemental, que se passerait-il ? L’hypothèse d’un report des élections municipales a été évoquée la semaine dernière mais a été écartée par la porte-parole du Gouvernement Sibeth Ndiaye, solution confirmée par la ministre Jacqueline Gourault et Olivier Véran. Le report serait-il possible ?
Sur le plan juridique, il serait probablement compliqué à mettre en oeuvre, mais pas impossible. Le report d’une élection par une simple loi est tout à fait possible, dans la mesure où ce que la Constitution protège est la périodicité du suffrage, qui ne serait pas remise en cause par le report de quelques semaines, voire quelques mois, des élections municipales. Cependant, la difficulté tient ici au fait que nous sommes à deux semaines du scrutin et qu’il serait difficile, a fortiori dans le contexte parlementaire de l’article 49 al. 3 qui vient désormais, d’adopter une loi d’ici le 15 mars.
Cependant, cela ne serait pas inenvisageable, si tous les groupes tombaient d’accord. Comme le relève Audrey de Montis dans sa thèse « La rénovation de la séance publique du Parlement français », il y a des précédents dans l’histoire, qui sont rares. Ainsi, un projet de loi portant amnistie des infractions commises dans les universités a été déposé le 21 mai 1968, distribué et adopté par le Parlement le lendemain, et publié au Journal Officiel le 23. Le projet de loi relatif à l’exonération des droits de mutation sur la succession du Général de Gaulle a été promulgué quatorze jours après son dépôt, en 1970.
Plus récemment, la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales, réponse du Président de la République à la crise des gilets jaunes, a été adoptée en quelques jours.
Reste une difficulté de taille : tous les groupes politiques seraient-ils d’accord pour une telle solution, alors que le Gouvernement est déjà accusé cette semaine de malmener la démocratie ? Nous sommes encore loi de cette situation de consensus politique de « temps de crise ».
En l’absence de loi, la question se poserait de savoir dans quelle mesure un nouveau décret de convocation des électeurs pourrait être pris (en conseil des ministres), repoussant les élections de quelques mois, mais il se heurterait dans ce cas au calendrier électoral déjà prévu, la fin du mandat des conseillers municipaux élus en 2014 étant prévue pour le 30 mars. Pourrait-il reporter les élections municipales et prolonger les mandats des élus locaux en place ? La légalité de ce décret pourrait être mise en doute, dans la mesure où l’article L. 227 du code électoral dispose que « Les conseillers municipaux sont élus pour six ans. Lors même qu’ils ont été élus dans l’intervalle, ils sont renouvelés intégralement au mois de mars à une date fixée au moins trois mois auparavant par décret pris en Conseil des ministres. Ce décret convoque en outre les électeurs ».
Toutefois, dans ce cas de figure le juge administratif pourrait probablement retenir la théorie des « circonstances exceptionnelles » (CE, 28 juin 1918, Heyriès). Il faudrait certes pour cela que l’épidémie soit beaucoup plus grave qu’actuellement. Cependant, les recherches montrent que la théorie des circonstances exceptionnelles a déjà été utilisée à propos d’opérations électorales, dans un cas de figure tout à fait différent. Ainsi, dans un arrêt du Conseil d’Etat du 18 juin 1971 (n°82567), alors que le ministre des affaires étrangères avait procédé à des nominations dans le collège élu du Conseil supérieur des français de l’étranger, le juge a acté des « circonstances exceptionnelles » faisant « obstacle au déroulement normal des opérations électorales », mais cette possibilité était prévue par les textes relatifs à ce Conseil supérieur des français de l’étranger.
La question peut être posée de savoir s’il serait, a minima, possible de repousser les élections municipales dans les villes les plus affectées par le virus. Toutefois, il ne semble pas que quelque chose soit prévu pour ce cas de figure dans le code électoral. Dès lors, ce serait une nouvelle fois la question des circonstances exceptionnelles qui pourrait se poser. Peut-être serait-il possible aussi de s’appuyer sur l’article L. 3131-1 de la santé publique, en vertu duquel « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population », mais repousser des élections sur ce seul fondement n’a rien d’évident, notamment parce que les élections relèvent de la compétence du conseil des ministres et du ministre de l’intérieur. Dans tous les cas, il faudrait donc être constructif du point de vue du droit. Il existe semble-t-il un précédent, d’une nature différente : lors des élections législatives de 1973 qui s’étaient déroulées à la Réunion, le préfet de la Réunion avait du reporter à une date ultérieure « la plus rapprochée possible » le scrutin du deuxième tour des élections législatives qui devait se dérouler le lendemain, dans la deuxième circonscription de la Réunion, aux motifs qu’en raison des pluies diluviennes qui s’abattaient sur le département et de l’interdiction générale de circuler qu’il avait édictée, la sécurité des personnes se rendant dans les bureaux de vote était gravement menacée. Le Gouvernement avait fixé au 18 mars 1973 la date de convocation du collège électoral. Le Conseil constitutionnel dans une décision n°73-603/741 AN – 27 juin 1973 – A.N., Réunion (2ème circ.), avait alors considéré que la sincérité du scrutin n’en avait pas été affecté, estimant « d’une part, que la circonstance qu’un cyclone ait atteint l’île de la Réunion rendait inévitable qu’intervînt exceptionnellement une mesure de report du second tour » et que « dans ce silence de la loi, si le préfet de la Réunion n’était pas normalement compétent pour ordonner le report du second tour, cette irrégularité n’a pu altérer les résultats du scrutin alors surtout qu’aucune manoeuvre frauduleuse n’est établie ». Le Conseil constitutionnel ajoutait alors, comme reproche adressé au code électoral, « qu’il est certes regrettable que la loi n’ait pas prévu l’autorité compétente pour tirer les conséquences de circonstances exceptionnelles de la nature de celles qui sont survenues à la Réunion les 10 et 11 mars 1973 ».
D’autres éléments, par ailleurs, seraient très compliqués à gérer. Notamment, de nombreuses dépenses électorales ont déjà été engagées par les candidats et, dans les villes où le remboursement électoral est prévu, soit à partir de 9000 habitants, la situation serait complexe à résoudre. Par ailleurs, la campagne officielle débute lundi 2 mars, c’est à dire que l’impression des professions de foi et des circulaires va très rapidement commencer, sachant qu’il existe pour celles-ci un remboursement dans toutes les communes à partir de 1000 habitants (pour les candidats obtenant 5% des suffrages exprimés). Annuler les élections aurait donc un impact financier considérable pour les candidats et pour l’Etat, d’autant qu’aucune solution n’est prévue dans ce cas de figure.
Des mesures ayant un impact sur les élections ?
Les mesures prises pour enrayer l’expansion du virus, par exemple l’interdiction de regroupement de plus de 5000 personnes dans des espaces confinés, sont-elles en capacité d’entraîner l’annulation d’élections, dans la mesure par exemple où elles auraient empêché la tenue de meetings ? Plus largement, si le pays devait fonctionner au ralenti pendant les trois prochaines semaines, limitant l’impact des campagnes électorales, cela pourrait-il avoir un impact sur l’égalité entre les candidats et la sincérité du scrutin ?
Dans la mesure où la campagne électorale (non officielle) a commencé il y a fort longtemps et où la propagande officielle, écrite, va commencer à être envoyée aux électeurs, on peut douter qu’in abstracto les mesures prises seraient de nature à affecter l’ensemble des élections municipales. Au cas par cas, si d’aventure il était démontré que dans certaines communes certains événements ont été annulés, on pourra légitimement se poser la question, mais encore faudrait-il dans ce cas de figure, conformément aux règles classiques du droit électoral, que l’on puisse considérer que ces événements ont pu altérer la sincérité du scrutin c’est à dire changer le résultat des élections, ce qui n’est possible que dans la mesure où les écarts de voix entre les candidats sont (très) faibles. Il ne s’agit pas que d’une hypothèse d’école : les situations seront réglées commune par commune par le juge électoral. On peut trouver un exemple de cas de figure où lors des élections législatives de Wallis et Futuna en 1993, un tremblement de terre avait affecté la campagne électorale : le juge a estimé que cela n’avait pourtant pas été de nature à affecter la sincérité du scrutin, notamment parce que les difficultés avaient affecté l’ensemble des candidats et parce que l’abstention n’avait pas été plus élevée qu’à l’accoutumée (Conseil constitutionnel, décision 93-1279 AN – 1er juillet 1993 – A.N., Wallis-et-Futuna).
Il serait ici possible de citer l’exemple de François Daviet, maire de la Balme-de-Sillingy, près d’Annecy, contrôlé positif au Coronavirus qui a du suspendre sa campagne électorale pour être hospitalisé. Dans l’hypothèse où il perdrait l’élection, pourrait-il le contester en raison de l’impact du coronavirus ? Egalement, l’exemple d’Hélène Burgat, maire sortante de Mondeville (Calvados), qui a été placée en confinement après être rentrée mercredi 19 février d’un séjour à Venise, en Italie, pourrait être assez topique, même si elle devrait progressivement reprendre une campagne normale.
Dans certains départements cependant, la question pourrait être très saillante, notamment dans l’Oise, où le déroulement des campagnes électorales est déjà perturbé puisque tous les rassemblements collectifs ont été interdits par arrêté préfectoral, donc les réunions publiques annulées. Sachant que l’interdiction touche indifféremment tous les candidats, cela sera-t-il considéré comme ayant affecté la sincérité du scrutin, dans quelles communes, dans quelle mesure ? Il faudra par ailleurs suivre de près les instructions préfectorales qui seront données pour savoir comment le processus électoral peut s’adapter à une telle situation.
Un effet paradoxal du Coronavirus pourrait être de redonner une très grande importance à la propagande officielle papier envoyée aux électeurs, que l’on accuse aujourd’hui régulièrement de ne plus servir à rien…
Des effets politiques ?
Si à ce stade aucune modification juridique n’est envisagée, la question reste de savoir si l’épidémie aura des effets politiques. De ce point de vue, c’est la question de l’abstention qui pourrait se poser. Alors que les élections municipales sont des élections qui résistent encore bien sur le plan de la participation, la propagation du coronavirus dissuadera-t-elle les citoyens d’aller voter, par exemple les personnes âgées qui, d’habitude, votent beaucoup ? Des choses pourraient alors se jouer sur le plan de l’abstention différentielle : à qui profitera l’abstention ?… Par ailleurs, une baisse de la participation pourrait aussi conduire à écorner la légitimité démocratique des maires, alors que la démocratie représentative, déjà en crise, n’a pas besoin de ça.
En tout état de cause, on ne peut que souhaiter que le virus reste sous contrôle et que les citoyens gardent leur calme, afin que la démocratie n’en soit pas altérée. Il s’agit aussi d’un enjeu de fond : montrer que la démocratie libérale sait très bien gérer, elle aussi, les crises sanitaires.
Romain Rambaud