C’est toujours un plaisir pour le blog du droit électoral d’accueillir un nouvel auteur, notamment quand il s’agit d’un passionné de droit électoral venu d’ailleurs… Premier d’une série d’articles qu’on espère nourrie et d’une collaboration qu’on souhaite longue, Magali Le François, collaboratrice parlementaire au Sénat, ancienne conseillère générale du Calvados et actuellement en formation à l’Université Paris 1, nous propose aujourd’hui un article de circonstance sur la campagne officielle audiovisuelle. Bonne lecture et à bientôt !
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Induite par l’instauration du suffrage universel direct en 1962, et renforcée en 2000 par l’institution du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, la prééminence médiatique du chef de l’État n’est pas discutée. Désormais, chaque séquence de la campagne pour l’élection du Président de la République est clairement encadrée, tout en étant observée, commentée et jugée par des journalistes, politologues, sondeurs, aussi nombreux que le nombre croissant de médias dans lesquels ils s’expriment.
A douze jours de la clôture d’une séquence électorale à bien des égards inédite, s’est ouverte, le lundi 10 avril à 0 heure la phase de la campagne officielle de la dixième élection du Président de la République. Elle est encadrée par des règles précises et marque notamment le début de la campagne audiovisuelle officielle. Comment cette période médiatique est-elle organisée et régulée? Comment subit-elle et supporte-t-elle les effets de profondes évolutions du paysage audiovisuel, alors que la télévision a joué plus encore qu’a l’accoutumée un rôle non négligeable dans le processus de recomposition politique actuelle en France ?
La campagne audiovisuelle officielle impose en effet des règles à l’ensemble des chaînes de télévision en termes d’égalité de temps de parole et d’antenne, tandis que le service public de l’audiovisuel a aussi l’obligation de produire et de diffuser des sports de campagne pour les candidats dont au moins 500 parrainages ont été validés par le par le Conseil constitutionnel. Depuis 1962, le paysage médiatique a profondément changé, notamment dans le domaine audiovisuel, avec la multiplication des chaînes de télévision, les Français pouvant aujourd’hui recevoir 18 chaines gratuites par la Télévision Numérique Terrestre dont quatre chaînes d’information en continu, provoquant des changements analysés dans une note de Marie-Laure Denis dans Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 34, publiée en janvier 2012.
11 candidats égaux en temps de parole et d’antenne
Avant tout, il est essentiel de rappeler que les médias audiovisuels (télévision et radios) sont contraints de respecter d’abord des principes d’équité puis ensuite d’égalité, dans les temps de parole (diffusion de toutes les interventions d’un candidat ou de ses soutiens) et d’antenne (le temps de parole et l’ensemble des éléments éditoriaux consacrés à un candidat ou à ses soutiens) dus à chaque candidat, assurant ainsi un lien direct entre le principe de pluralisme et la vie démocratique (décision n° 86-217 DC, 18 septembre 1986). En période électorale, le pluralisme entendu par le Conseil constitutionnel comme « fondement de la démocratie » (décision n° 89-271 DC, 11 janvier 1990), est la garantie pour les téléspectateurs et les auditeurs, d’avoir une information politique diversifiée ne les privant pas d’exercer leur liberté d’opinion et de choix.
C’est ainsi que ces règles, rappelées dans un récent article de Romain Rambaud publié le 21 mars 2017, (Cf Romain Rambaud, 21/03/2017 : Débat télévisé présidentiel réduit à 5 candidats : régression ou progrès démocratique ? [R. Rambaud]), accompagnant les différentes séquences politiques et donc médiatiques se décomposent comme suit : périodes préliminaire – allant du 1er février 2017 au 20 mars- et intermédiaire – 21 mars, jour de la publication au Journal Officiel de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel, au 9 avril minuit- durant lesquelles s’applique le principe de l’équité des temps de parole (propos du candidat déclaré ou présumé) et d’antenne (propos journalistiques relatifs aux candidats ou à ses soutiens) et enfin la période de la campagne officielle courant du 10 avril 0 heure au 21 avril minuit pour le premier tour et du 24 avril au 5 mai minuit pour le second tour où tous les candidats ont le même temps de parole et d’antenne.
Et c’est dans le cadre de la dernière séquence que la loi a prévu, outre le principe d’égalité de traitement des candidats dans l’ensemble des médias télévisés et radiodiffusés (loi organique du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République), la production et la diffusion de « spots » (uniquement sur le service public audiovisuel) appelés plus communément « campagne officielle audiovisuelle » au sens de l’article 15 du décret du 8 mars 2001 portant application de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.
La diffusion des spots officiels de campagne sur France Télévision
Conformément à l’article 15 du décret du 8 mars 2001 portant application de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, chaque candidat dispose d’un temps de parole strictement égal sur toutes les télévisions et radios.
Dans ce cadre, l’article 16 de la loi du 30 septembre 1986 reconnaît à la Haute Autorité de la Communication audiovisuelle remplacée en 1989 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) l’autorité de contrôle de cette séquence. Il lui incombe de définir par le truchement de recommandation et après avis du Conseil constitutionnel, les conditions de production et de programmation des émissions de la campagne audiovisuelle officielle pour l’élection présidentielle. En outre l’article 16 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que le CSA est chargé de l’attribution des temps d’antenne aux candidats pendant la campagne officielle soit pour le scrutin de 2017 du lundi 10 avril à zéro heure au vendredi 5 mai à minuit. Si la durée des émissions est fixée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel après consultation des candidats, il ne peut néanmoins contrevenir à la durée minimale fixée par le décret du 8 mars 2001 susvisé. Elle ne peut être inférieure à quinze minutes par candidat pour le premier tour et à une heure, pour le second tour, sauf en cas d’accord entre les deux candidats pour réduire cette durée. Pour la campagne 2017, le CSA a fixé la durée des temps d’antenne à 43 minutes pour chaque candidat. la campagne audiovisuelle est ouverte aux candidats qui doivent s’exprimer personnellement pendant tout ou partie du temps de chaque émission et non aux formations politiques (article 15 alinéa 3).
Les spots officiels seront programmés par les sociétés nationales de programmes France Télévisions et Radio France et de la société France Médias Monde respectivement sur les chaînes ou radios publiques services suivantes : France 2, France 3, France Ô, France Info, Outre-Mer 1ère télévision, Outre-Mer 2ème télévision, France Inter, France 24 et enfin Radio France Internationale. Il appartient à la société France Télévisions d’assurer la production des émissions de la campagne électorale et la coordination de l’ensemble des opérations liées à la production de 8 émissions de petit format (1,30 minutes pour le premier et 2 minutes pour le second tour) et de 10 émissions de grand format (3,30 minutes pour le 1er tour et 5 minutes pour le second tour). Le calendrier de passage est détaillé dans le document ci-joint : Calendrier passage
Un contenu très fortement encadré
Conformément à la décision du CSA n°2017-183 du 22 mars 2017 relative aux conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions de la campagne en vue de l’élection du Président de la République pour les premier et second tours du scrutin, l’expression libre des intervenants est garantie. Des limites s’imposent cependant tant aux candidats qu’aux émissions, supports de la communication officielle. Il appartient aux candidats, en toute logique, de ne pas :
- porter atteinte à l’ordre public ou à la sécurité des personnes et des biens
- recourir à tout moyen d’expression portant atteinte à la dignité de la personne humaine, à l’honneur et à la considération d’autrui ;
- porter atteinte aux secrets protégés par la loi ;
- tenir des propos à caractère publicitaire, au sens de la réglementation sur la publicité et le parrainage depuis 1987 ;
- procéder à des appels de fonds.
- recourir à tout moyen d’expression ayant pour objet ou pour effet de tourner en dérision d’autres candidats ou leurs représentants depuis la loi de Véronique Neietz du 20 janvier 1992.
La publicité négative est en revanche beaucoup usitée aux Etats-Unis pour discréditer l’adversaire. Pour la seule dernière semaine du duel entre Hillary Clinton et Donald Trump, les groupes de soutien des deux camps ont dépensé en tout 75 millions de dollars pour des publicités télévisées.
S’il existe une limitation de la liberté d’expression stricto sensu des candidats, elle s’applique aussi aux émissions qui ne peuvent pas :
- faire apparaître le candidat dans l’enceinte de bâtiments officiels de l’Etat, des collectivités territoriales ou de leurs groupements ainsi que dans l’enceinte de bâtiments de toute autre institution publique ou de l’Union européenne, identifiables comme tels ;
- faire apparaître des éléments, des lieux ou des bâtiments susceptibles de constituer une référence commerciale ou publicitaire ;
- faire apparaître tout emblème national ou européen ;
- utiliser l’hymne national, l’hymne européen, un hymne officiel de pays d’outre-mer ou tout hymne officiel national ou territorial étranger ;
- utiliser des documents visuels ou sonores faisant apparaître des personnalités de la vie publique française, sans l’accord écrit de ces personnalités ou de leurs ayants droit.
- porter à la connaissance du public, en application de l’article L. 50-1 du code électoral, aucun numéro d’appel téléphonique gratuit ;
- utiliser des œuvres, notamment musicales, sans que le candidat se soit assuré du respect des droits y afférents en vue de leur diffusion sur les services de communication au public par voie électronique mentionnés dans la présente décision ;
- lorsque des personnes apparaissent de façon reconnaissable, il appartient au candidat ou à ses représentants de s’assurer du respect des droits.
Des conditions d’élaboration harmonisées
Le référent nommé par le CSA remet à chaque candidat ou à la personne qu’il a au préalable mandatée un dossier agréé par ses services précisant les spécifications techniques liées à la production de ces émissions.
Au plus tard dans les quinze jours qui suivent la publication de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel, la société France Télévisions met à la disposition de chaque candidat des moyens de production identiques. Il revient en toute logique à l’Etat de s’acquitter des coûts de production et de diffusion de ces émissions (article 20 du décret du 20 mars 2001). Ce financement public constitue un solide garde – fou face aux dérives des dépenses constatées au cours des derniers scrutins aux US et fait de cette campagne officielle audiovisuelle pour l’élection présidentielle une spécificité française.
Afin d’accompagner les évolutions plus modernes des campagnes, le CSA a supprimé l’exigence d’un lieu unique d’enregistrement (précédemment dans les studios de Radio France). Désormais, le candidat peut choisir à sa guise de réaliser ses émissions à partir d’éléments réalisés soit dans des lieux choisis par le candidat, soit dans un studio mis à la disposition des candidats, soit fabriqués à l’aide d’une station infographique. Il peut aussi réaliser ses émissions à partir de documents vidéographiques réalisés par ses propres moyens tout en précisant que ni les documents sonores ni les images fixes ne sont pas inclus dans le décompte Néanmoins, le CSA en a limité l’usage à 50 % de la durée attribuée à chaque candidat au premier tour et ces documents vidéographiques sont interdites au second tour. Le CSA entérine les évolutions technologiques et techniques mais reste ferme sur les contenus.
Afin d’assurer l’égalité de traitement des candidats, le visionnage des séquences, la numérisation et le montage final de l’émission sont limités dans le temps par le CSA – 4 heures pour les petits formats et 8 heures pour les grands formats pour les émissions télévisées – et au plus tard 18 heures l’avant-veille de sa diffusion pour le montage final d’une émission radiophonique.
Pour assurer au public une information diversifiée, la diffusion des 8 émissions de petit format et 10 émissions de grand format s’opèrera sur chacune des radios et chaînes TV concernées conformément au tirage au sort du 4 avril 2017 (au siège du CSA) actant le calendrier et l’ordre de passage de chacun des 11 candidats. Notons d’ailleurs que le sous titrage est désormais obligatoire depuis 2002. La traduction en langue des signes était recommandée en 2007 et est obligatoire depuis 2012.
Les dates et le passage des candidats sont ainsi publiés au Journal officiel de la République française. Chaque émission à la radio et à la télévision est précédée et suivie systématiquement d’annonces indiquant le nom du candidat qui ne sont pas décomptées du temps imparti aux candidats. De même dans les 24 heures suivant la diffusion des émissions, les sociétés France Télévision, France médias Monde et Radio France doivent les mettre en ligne sur leur site internet.
Campagne audiovisuelle et démocratie
Ces règles de production et de diffusion ont présidé à la fabrication des spots de campagne que l’on peut actuellement découvrir sur les écrans de la télévision publique. Les commentateurs s’interrogent sur leur efficacité, et donc leur utilité, au terme d’une séquence politique qui a commencé…à l’automne 2016, avec les débats télévisés de la primaire citoyenne de la droite et du centre. Le rythme médiatique s’accommode apparemment difficilement avec les contraintes logiquement établies par le CSA. Les candidats, dans ce moment particulier, cherchent aussi à se distinguer, en jouant des codes usuels, cherchant à susciter des reprises de leurs spots sur les réseaux sociaux. A ce titre, pour cette cuvée 2017, la proposition de Philippe Poutou n’a pas manqué de produire son effet, dans un exercice parodique où les spécialistes en communication font du petit film sur « La France Unie » de François Mitterrand en 1988 un modèle du genre.
La stricte égalité du temps de parole des 11 candidats dont la liste a été publiée au journal officiel le 21 mars s’impose durant 12 jours à l’ensemble des médias, tout en établissant des contraintes spécifiques aux groupes du service public s’agissant de la campagne audiovisuelle officielle. Mais la pression médiatique liée à l’émergence de quatre chaînes d’information en continu, associée à l’existence de puissants groupes de communication privés, n’est pas sans influer sur l’application de ces règles officielles. Ainsi, le groupe France Télévision n’a été pas en mesure d’organiser un débat « à 11 » à la veille de la clôture de la campagne officielle alors que ses concurrents ont obtenu des « triomphes » en terme d’audience, en rassemblant cinq, puis onze candidats, dans une période où seule l’équité était de droit. La première initiative accréditant par ailleurs la notion de « grands » et « petits » candidats, établie par des sondages d’opinion.
L’échec de cette tentative, hasardeuse au regard des règles énoncées ci-dessus, met au jour les effets du bouleversement d’un paysage audiovisuel de plus en plus fortement marqué par une concurrence dont les exigences et les conséquences ne s’embarrassent guère des exigences juridiques assurant le bon fonctionnement de notre démocratie. La recomposition politique à l’œuvre lors de cette dixième élection présidentielle au suffrage universel de la Vème République est-elle annonciatrice de possibles évolutions du cadre réglementaire de l’expression politique lors de la période de campagne officielle ? Il n’est pas interdit d’imaginer que le débat pourrait être relancé au lendemain des deux tours d ‘un scrutin surprenant à plus d’un titre.
Magali Le François