Ainsi que le relaye le site de France 3, l’élection municipale d’Abbeville, dans la somme, a été annulée par le tribunal administratif d’Amiens, dont on pourra trouver le jugement du 7 octobre en suivant le lien suivant.
Suite à l’élection au premier tour (51.54 % des voix) du maire sortant Nicolas Dumont, deux recours avaient été formés par les listes UMP (Stéphane Decayeux 27.62%) et FN (Patricia Chagnon 20.85%), qui dénonçaient un tract distribué le vendredi 21 mars et dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 mars, veille du premier tour. Ce tract, intitulé « Absent, incompétent, menteur, trois bonnes raisons de ne pas voter Stéphane Decayeux », a été considéré par le juge, eu égard à la répétition des termes « absent », « incompétent », « menteur », comme dépassant les « limites de la polémique électorale ». Cette irrégularité a été considérée comme de nature, eu égard au « faible écart des voix », (162 voix en l’espèce pour le passage dès le premier tour), à altérer la sincérité du scrutin et donc à entraîner l’annulation des élections.
L’avocat de Nicolas Dumont a annoncé son intention de faire appel devant le Conseil d’Etat. Sans qu’il soit possible, ici, de préjuger de l’issue du recours, on peut avancer, en tout cas, que la solution est beaucoup moins évidente qu’elle n’en a l’air. Elle renvoie à deux questions.
La première concerne la question du tract, la seconde celle de l’écart des voix.
Le tract litigieux
Cette jurisprudence pose une question très simple, mais dont la réponse n’est finalement pas claire : peut-on, ou non, diffuser un tract la veille du scrutin ? Et à quel point, celui-ci peut-il être injurieux ?
En effet, le jugement du TA d’Amiens vise l’article 49 du code électoral, selon lequel effectivement « A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ».
Comment lire cet article ? Il y a là une difficulté importante du droit électoral car, « à partir de la veille du scrutin à zéro heure », cela ne veut rien dire, au sens où bien malin est celui qui peut dire si cela, objectivement, signifie la veille ou le jour du scrutin.
Avant la réforme de 2011, l’article L. 49 du Code électoral interdisait la distribution seulement le jour du scrutin. En effet, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 29 nov. 2007, AN Pas-de-Calais, 5e circ., Mme Annick Valla, M. Bertrand Glas, no 2007-3897/3898, a estimé (§6) que « le premier alinéa de l’article L. 49 du code électoral n’interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents que le jour du scrutin ; que les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que M. CUVILLIER aurait méconnu les dispositions précitées en distribuant un tract la veille du second tour du scrutin ; qu’en outre, ce tract, qui ne contenait aucun élément excédant les limites de la polémique électorale, n’a pas introduit dans la campagne un élément nouveau auquel Mme VALLA n’aurait pu répondre ». Cette solution avait déjà été adoptée précédemment (Cons. const. 17 oct. 2002, AN Pas-de-Calais, 6e circ., no 2002-2628 AN).
La situation a changé depuis 2011 et l’interdiction de distribution des tracts s’applique désormais la veille et le jour du scrutin. Cette position semble aujourd’hui tenable : en effet, le Conseil constitutionnel, depuis une décision n°2012-4589 AN – 07 décembre 2012, consièdere « qu’un grand nombre de messages informatiques ayant le caractère de documents de propagande électorale ont été diffusés les 16 et 17 juin, veille et jour du second tour de scrutin, en violation de l’article L. 49 du code électoral qui interdit, à partir de la veille du scrutin à zéro heure, de distribuer ou de faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ainsi que, par voie électronique, tout message ayant le caractère de propagande électorale ».
Dans tous les cas, pour éviter toute difficulté, le législateur est intervenu en adoptant un nouvel article en 2011, qui aurait pu mieux fonder la décision du TA d’Amiens : l’article L. 48-2 (L. no 2011-412 du 14 avr. 2011, art. 3), selon lequel « Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale », qui reprend une règle posée par la jurisprudence. Celle-ci distingue alors si les appréciations en question sont nouvelles ou répondent à une polémique déjà existante.
En l’espèce, le TA d’Amiens a considéré que « la diffusion massive et tardive » de ce tract n’avait pas permis aux opposants d’y répondre utilement, et que cela avait pu altérer les résultats des opérations électorales. Il a considéré parallèlement que ce tract ne se bornait pas à répondre diffusé par la liste adverse auparavant, plus « politique ».
Sur ce point, la décision semble mieux fondée… même si elle aurait été préférable qu’elle vise l’article L. 48-2, en plus de l’article L. 49, dont l’interprétation laisse la porte ouverte à la contestation.
L’écart des voix
Reste une question : l’écart de voix en question est faible pour le passage au second tour, certes, mais très important entre les listes. Était-il possible, dès lors, d’annuler l’élection en se fondant sur ce principe, sur le fait que cela a privé l’organisation d’un second tour qui, de toute façon, aura conduit au résultat d’une majorité relative ?
Il y a des précédents, mais avec un écart de voix beaucoup plus faible, dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, par exemple avec un écart de 21 voix seulement, mais toutefois des circonstances beaucoup plus graves, (Commune de Gignac, 13 janvier 1997).
C’est sans doute aussi sur cette question que se porteront les débats devant le Conseil d’Etat.
A suivre !
Romain Rambaud