Nicolas Sarkozy a donc été condamné dans l’affaire Bygmalion à un an de prison ferme. La peine «sera aménagée sous le régime de la surveillance électronique à domicile». Le maximum prévu par l’article L. 113-1 du code électoral à l’époque (3750 euros d’amende et 1 an de prison, contre 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende aujourd’hui). A l’époque, l’article L. 117 du code électoral ne prévoyait pas l’article L. 113-1 du code électoral comme pouvant faire l’objet d’une peine d’inéligibilité. C’est seulement depuis les lois de moralisation de 2017 que la situation sur ce point a changé avec l’adoption du nouvel article 131-26-2 du code pénal sur les peines complémentaires obligatoires d’inéligibilité. C’est ce qui explique l’absence d’inéligibilité pour Nicolas Sarkozy (les autres prévenus relevant d’autres incriminations pénales).
Pour rappel, l’affaire Bygmalion vient du dépassement du plafond des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy dans sa campagne de 2012, révélée après plusieurs articles du Point (mars 2014) et de Libération (mai 2014 ; V. Lazard, Bigmagouilles, Stock, 2014). La société de communication Bygmalion et sa filiale évènementielle « Event et Cie » auraient mis en place sur demande un système de fausse facturation, imputant à l’UMP de faux évènements correspondant en réalité à des dépenses électorales de la campagne de Nicolas Sarkozy, notamment une quarantaine de meetings très couteux. Le montant serait de 17 ou 18 millions d’euros (Mediapart, Libération).
Une enquête préliminaire a été ouverte en mars 2014 par le Parquet de Paris, puis une information judiciaire a été confiée à des juges d’instruction pour « faux et usage de faux », « abus de confiance », « tentative d’escroquerie » et « complicité et recel de ces délits ». Cette enquête, dirigée d’abord contre trois cadres de la société « Bygmalion », a été étendue à l’ancien directeur général de l’UMP, l’ex-directrice financière de l’UMP et l’ ex-directeur de la communication de l’UMP (Le Monde). En 2015, l’enquête est étendue à l’ancien président de l’Association de financement pour la campagne de Nicolas Sarkozy, puis, en 2016, l’ancien chef de l’Etat lui-même est mis en examen pour « financement illégal de campagne électorale », tandis qu’il est seulement placé sous le statut de témoin assisté pour les chefs d’usage de faux, escroquerie et abus de confiance (Le Figaro). Le 3 février 2017, le juge Tournaire ordonne le renvoi devant le tribunal correctionnel de 14 personnes, dont Nicolas Sarkozy. Le 1er octobre 2019, la Cour de cassation a validé l’ordonnance de renvoi (Cass, Crim., 1er oct. 2019, n°18-86.428) et le procès peut donc se tenir.
Au niveau pénal, la réalité des faits ne semblait pas véritablement contestée, tant cette affaire a fait l’objet d’un déballage public par ses acteurs, notamment dans le cadre d’émissions de télévision, par exemple l’interview de Jérôme Lavrilleux sur BFM TV en mai 2014 et trois numéros du magazine « Complément d’enquête » sur France 2 (en 2014, 2019 et en dernière analyse mars 2021…). Ce qui l’était, c’est la nature et la répartition des responsabilités, avec en point d’orgue la question de la responsabilité pénale ou non de Nicolas Sarkozy lui-même.
Il y avait dans ce seul procès Bygmalion beaucoup de situations différentes, car il existe des incriminations différentes. Il existe en quelque sorte une pyramide remontant progressivement à Nicolas Sarkozy : là où les cadres de Bygmalion sont poursuivis pour faux et usage de faux, les cadres de l’UMP impliqués sont poursuivis pour faux et usage de faux et abus de confiance, tandis que les trésoriers de la campagne sont poursuivis pour usage de faux et escroquerie, tous pouvant être soupçonnés en outre de complicité de financement illégal de campagne électorale.
Au sommet de cette pyramide se trouvait Nicolas Sarkozy, auteur du délit de « financement illégal de campagne électorale », prévu par l’article L. 113-1 du code électoral, rendu applicable à l’élection présidentielle par la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel qui, à l’époque des faits, disposait que « Sera puni d’une amende de 3750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui « 3° Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 » ou encore « 5° Aura fait état, dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d’éléments comptables sciemment minorés ».
Pour Nicolas Sarkozy, la question était moins celle de la matérialité des faits que celle de savoir si l’élément moral de l’infraction, l’intention de commettre ce délit, était constitué, c’est-à-dire si Nicolas Sarkozy était ou non dans la connaissance de ces éléments et si, en cas de réponse positive, il n’a rien fait pour les arrêter : l’article L. 113-1 du code électoral étant un délit et le texte n’ayant pas entendu déroger au principe de l’infraction intentionnelle (v. sur ce point Cons. const., décision Sarkozy nº 2019-783-QPC du 17 mai 2019), démontrer celle Nicolas Sarkozy était au cœur du procès.
L’élément moral était donc ici fondamental, le plus important. Sur ce point, le tribunal a semble-t-il appliqué la jurisprudence souple sur le critère moral issue notamment de la jurisprudence Tiberi (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 3 mars 2015, n°13-82.917), l’élément moral clé étant que le responsable politique « ne pouvait pas ignorer » les faits incriminés. En l’espèce le juge a estimé que « L’ex-président ne pouvait pas ne pas savoir que sa campagne de 2012 avait doublé le plafond des dépenses autorisées ». Les juges ont estimé que Nicolas Sarkozy “a poursuivi l’organisation de meetings”, après avoir été “averti par écrit du risque de dépassement” du plafond légal, a dit la présidente. “Ce n’était pas sa première campagne, il avait une expérience de candidat”, selon les magistrats.
Au passage, l’application de cette jurisprudence sur le fait qu’il ne pouvait ignorer la situation, logique au regard de l’élément moral de l’infraction, renforce l’efficacité de la dissuasion pénale. Elle se situe donc, sur le plan juridique, dans la lignée de la jurisprudence du droit pénal électoral.
Les treize coprévenus de Nicolas Sarkozy, poursuivis pour faux, abus de confiance et/ou escroquerie, ont écopé de deux ans à trois ans et demi de prison, partiellement assortis de sursis. Des peines d’inéligibilité ont aussi été prononcées.
Nicolas Sarkozy a fait appel de sa condamnation et la sanction pénale (en l’absence semble-t-il d’exécution provisoire) est suspendue.
En tout état de cause et dans l’attente, cette affaire reste essentielle sur le plan de la probité. C’est bien la première fois qu’un ancien chef de l’Etat se trouve condamné sur la base d’une telle infraction pénale. Pour rappel, la solution apportée par le Conseil constitutionnel dans la décision Sarkozy nº2019-783 QPC du 17 mai 2019, rendue dans le cadre de la procédure Bygmalion, doit être soulignée : le Conseil constitutionnel a refusé d’appliquer le principe non bis in idem en considérant que le contrôle des comptes de campagne et l’existence d’infractions pénales n’ont pas la même finalité (assurer le bon déroulement de l’élection présidentielle et faire respecter le principe d’égalité entre les candidats d’un côté, sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus de l’autre) et n’entrainent pas les mêmes sanctions (pénalité financière d’un côté, peine d’emprisonnement de l’autre). Dès lors, la coexistence de la législation administrative et de la législation pénale est possible, la sanction pénale étant d’une puissance symbolique et dissuasive considérable. Il s’agit donc d’une solution sans précédent.
Nous reviendrons sur le sujet quand nous aurons plus d’informations.
Romain Rambaud