Le Parti socialiste a donc décidé de faire jouer le Front Républicain, y compris en retirant ses listes pour le second tour en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en PACA, là où le FN est susceptible de gagner … ou plus précisément, juridiquement, en ne déposant pas de déclarations de candidature pour le second tour. En effet, l’article L. 346 du code électoral dispose que « Une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque liste de candidats avant chaque tour de scrutin ».
A défaut, il n’y a donc plus de candidats du parti socialiste au second tour. Tout le monde glose suffisamment sur ces questions pour qu’il ne soit pas nécessaire pour nous d’y revenir ici. Chacun se fera son avis sur le sacrifice du Parti socialiste et le Front Républicain.
Plus originale et plus curieuse d’un point de vue juridique est la décision du candidat socialiste et actuel président du conseil régional de Lorraine Jean-Pierre Masseret de refuser d’obéir aux consignes nationales de retrait, malgré sa troisième place au premier tour, en décidant de maintenir sa liste. Cela a conduit de façon incroyable, le premier ministre Manuel Valls, , lundi soir au « 20 Heures » de TF1, à appeler les électeurs du Grand Est à voter pour M. Richert, le mieux placé pour battre le Front national (FN), et plus précisément le très médiatique Florian Philippot.
Cette situation ubuesque a été rendue juridiquement possible grâce aux dispositions de l’article L. 347 du code électoral. En vertu de cet article, en effet, la déclaration de candidature est « faite collectivement pour chaque liste par le candidat tête de liste ou par un mandataire porteur d’un mandat écrit établi par ce candidat (…) Pour chaque tour de scrutin, la déclaration comporte la signature de chaque candidat, sauf, pour le second tour, lorsque la composition d’une liste n’a pas été modifiée ». On remarque donc, ironie de l’histoire, en quoi une disposition visant simplement à faciliter les opérations, à savoir l’absence de nécessité des signatures en cas d’absence de modification d’une liste, peut prendre dans un contexte politique donné, et non prévu en tant que tel, un sens particulier : ici, le maintien de la liste malgré le parti socialiste et malgré certains des colistiers de M. Masseret lui-même. Ce dernier serait donc passé non seulement outre les consignes de son parti, mais aussi la volonté de certains de ses colistiers.
Or cela pose désormais une difficulté s’agissant de la possibilité juridique de retirer cette liste. En effet, l’article L. 352 du code électoral prévoit qu’« Aucun retrait volontaire ou remplacement de candidat n’est accepté après le dépôt d’une liste », c’est à dire qu’il n’est pas possible de se retirer individuellement de la liste déposée. Le retrait d’une liste n’est possible que si cette décision est signée par la majorité des candidats de la liste et avant l’expiration du délai de dépôt des candidatures. L’article L. 352 du code électoral dispose en effet « Les listes complètes peuvent être retirées, avant le premier tour, au plus tard le quatrième samedi précédant le scrutin, à midi ; avant le second tour, avant l’expiration du délai de dépôt des candidatures. La déclaration de retrait est signée par la majorité des candidats de la liste. Il est donné récépissé des déclarations de retrait ».
Le Memento à l’usage des candidats pour les élections régionales des 6 et 13 décembre 2015 établi en septembre 2015 confirme ce principe. « Pour chaque tour de scrutin, aucun retrait de candidature à titre individuel n’est autorisé. Seules les listes complètes peuvent être retirées au plus tard le mardi 8 décembre 2015 à 18h pour le second tour. Le retrait peut intervenir sous la forme d’un document collectif comportant la signature de la majorité des candidats de la liste en regard de leur nom ou sous la forme de retraits individuels de candidature présentés par la majorité des candidats ». Il précise également que la « déclaration de retrait peut être déposée par un candidat autre que le candidat tête de liste ou son mandataire », disposition qui aurait pu gêner M. Masseret. Cependant…
Dans un premier temps, c’est la condition de majorité qui a posé des difficultés. Ainsi, d’après Le Monde, « La fronde qui a gagné certains de ses colistiers n’a finalement pas eu raison de sa candidature, après plusieurs heures d’incertitude. Arrivée à 17 h 46 à la préfecture, Anne-Pernelle Richardot, tête de liste dans le Bas-Rhin, a finalement annoncé, peu après 18 heures, qu’elle n’avait recueilli que 71 signatures de désistement sur les 189 membres de la liste, et ne peut donc pas demander son invalidation. Le nombre de 95 signataires devait être atteint pour valider l’annulation de la candidature de M. Masseret. Selon l’article L. 352 du code électoral, en effet, si la majorité des membres signaient une déclaration de retrait, la liste serait, de fait, invalidée ». La première condition n’étant pas remplie, la liste ne pouvait être retirée. Cependant, ce soir, d’après le parti socialiste, une majorité de colistiers serait finalement d’accord.
La liste peut-elle pour autant être retirée ? Ici se pose un problème car le délai de dépôt des candidatures a expiré. Que se passe-t-il dans cette hypothèse ? Normalement, la liste ne peut plus être retirée, les délais étant expirés. Le Conseil d’Etat a déjà pu valider cette règle dans un arrêt du 11 décembre 1998 lequel avait considéré que « si, par un courrier reçu à la préfecture le 24 février 1998, d’ailleurs signé de lui-seul, M. X… a manifesté son intention de retirer sa liste, ce retrait ne pouvait plus être accepté dès lors que l’élection ayant lieu le 15 mars 1998, le délai prévu par l’article L. 352 précité était expiré ; que M. X… doit donc être regardé comme ayant été candidat aux élections régionales du 15 mars 1998 dans le département de Seine-et-Marne ». Ainsi, il serait déjà trop tard pour que la liste puisse se retirer et satisfaire ainsi à la demande des autorités nationales.
Il ne resterait plus qu’une astuce, donnée par le Memento : « Si une liste décide de ne pas faire campagne et de ne pas déposer de bulletins de vote mais qu’elle n’est pas retiré sa candidature avant l’expiration des délais ci-dessus, sa candidature demeure valable et elle figurera sur l’état des listes officiellement candidates ». La situation serait donc ubuesque, puisque la liste serait conservée mais ferait tout simplement, faute de déposer des bulletins de vote, une score de… 0%. Le droit électoral poussé à l’absurde.
Du grand n’importe quoi, du début jusqu’à la fin, décidément, ces élections régionales.
A suivre !
Romain Rambaud