04/05/2017 : Renouvellement de la commission des sondages en pleine élection présidentielle : du problème de l’indépendance des autorités électorales en France [par Stéphanie Dubiton]

Est-il normal de procéder au renouvellement de la composition de la commission des sondages en pleine élection présidentielle ? Une question de principe qui méritait une analyse de Stéphanie Dubiton, auteure de la thèse « La protection des libertés publiques par les AAI, une solution démocratique »… merci à elle !

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Par un décret en date du 18 avril 2017 passé quasiment inaperçu et pris sur le fondement de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, le législateur a renouvelé la composition de la Commission des sondages. Depuis le 20 avril 2017, la Commission est dorénavant composée de douze membres dont la liste figure sur le site de l’instance, dont fait désormais partie – mais ce serait un autre débat d’en parler – M. Garrigou, adversaire constant des sondages mais désormais astreint au silence par son devoir de réserve. Ayant suscité peu de débat en doctrine, la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes et la loi portant statut général des AAI et des API, emportent pourtant des conséquences non négligeables en droit électoral, et ce en pleine campagne présidentielle, et posent un problème de principe.

La perte du statut d’AAI pour la CNCCEP et la commission des sondages

Sur les 5 autorités administratives indépendantes issues de la liste de Légifrance, qui interviennent en matière électorale, deux organismes sont exclus de la liste retenue par le législateur de 2017 (annexée à la loi de janvier) : la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l’élection du président de la République (CNCCEP), et la Commission des sondages. Figurant dans la liste, la HATVP et la CCNFP conservent la qualité d’AAI et le CSA, la qualité d’API que la loi de 2013 lui avait octroyée. Si le retrait de la première Commission peut se justifier au regard des nouveaux critères retenus par le législateur, les raisons du retrait de la Commission des sondages restent plus énigmatiques et les conséquences suscitent bien des interrogations.

L’article 1er de la loi organique du 20 janvier 2017 réserve désormais à la loi le pouvoir de créer ces autorités. Aussi, issue d’un décret de 2001, la CNCCEP sort de la liste sans véritable débat parlementaire. Tout juste, peut-on lire que « sont rares les AAI créées par le pouvoir réglementaire. Seule pourrait éventuellement être mentionnée la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l’élection du président de la République, instituée par décret (décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel) et parfois considérée comme une AAI. Mais cette qualification, non retenue dans la liste annexée à l’article 1er de la proposition de loi ordinaire, apparaît d’autant plus discutable que la Commission elle-même ne semble pas se considérer comme une AAI ». Exclue de la liste, cet organisme ne disparaît pas pour autant du paysage institutionnel comme l’avait envisagé le rapport Mézard à l’origine des deux lois du 20 janvier 2017 qui préconisait avec la HADOPI sa suppression (voir sur ce point les développements qui lui ont été consacrés sur ce blog). L’institution n’est donc pas soumise au statut général des autorités administratives et publiques indépendantes, mais celle-ci continue de conserver ses qualités et son rôle qui étaient siens jusque-là et qui avaient d’ailleurs conduit le Conseil d’État dans son rapport de 2001 à qualifier l’instance d’AAI. Ainsi, et conformément à l’article 13 du décret du 8 mars 2001 qui prévoit l’installation de la Commission nationale du contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle, le lendemain du jour de la publication du décret portant convocation des électeurs en vue de l’élection présidentielle, la CNCCEP a été mise en place le 27 février dernier. Sa composition garantit toutefois sa neutralité et, hormis l’homologation des instruments de propagande officielle des candidats, elle ne dispose que de pouvoirs limités.

S’agissant ensuite de la commission des sondages, les raisons du retrait semblent en revanche moins déterminées. Au terme d’une lecture attentive de l’ensemble des débats parlementaires, deux critères d’identification d’une autorité administrative indépendante retenue par le législateur de 2017 semblent se dégager. Le premier est issu du rapport Gélard de 2014 et a été repris par le rapport sénatorial de 2015 ainsi que par les débats parlementaires. Selon ce critère, seules les autorités disposant d’un pouvoir normatif sont susceptibles de recevoir la qualité d’AAI. Sur ce fondement, ont pu être écarté notamment de la liste, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Cependant, et au regard du pouvoir de contrainte dont dispose la Commission des sondages et ce depuis l’origine de sa mise en place, ce critère ne donne pas satisfaction ici, au regard du pouvoir de sanction dont elle dispose notamment. En allant plus loin dans les recherches, on constate que M. Jacques Mézard, qui a porté le rapport sénatorial de 2015, a indiqué avoir refusé « de qualifier d’autorités administratives indépendantes les organismes considérés comme tels sur le seul fondement de l’étude du Conseil d’État de 2001 ou de certains rapports parlementaires ». Cela, ajoute-t-il, concerne treize instances figurant sur la liste établie par Légifrance. Aussi, bien que pourvue d’un pouvoir de décision, mais recevant la qualité d’AAI d’abord par G. Bachelier dans ses conclusions rendues à propos de la décision du Conseil d’État du 23 février 2001, n° 204425, relayé par le rapport du Conseil d’État de 2001, la Commission des sondages sort de la liste officielle des AAI et des API. On doit noter ici, que ce retrait n’a pas suscité de débat au sein des deux chambres. Personne s’en est ému, ni même la Présidente actuelle de la commission des sondages elle-même, M.-E. Aubin, qui avait lors de son audition devant la Commission d’enquête sénatoriale déclaré qu’« Honnêtement d’ailleurs, j’ai présidé une autre commission qualifiée d’AAI par la loi : en dehors de compliquer la vie des gens, je ne vois pas bien le changement. ». Déjà donc envisagé lors du rapport Mézard, les députés et les sénateurs se sont accordés dès la première lecture pour retirer la Commission de la liste annexée à la loi ordinaire portant statut général des AAI et des API.

Pourtant, ce retrait n’est pas sans susciter l’étonnement à propos d’une instance dont le rôle en période de compétition électorale apparaît primordial en matière de liberté du suffrage. La doctrine avait pris la mesure très tôt de l’exigence d’indépendance d’une autorité chargée de réglementer l’utilisation des sondages d’opinion pour les élections politiques. Paul Sabourin, qui a réalisé en 1983 la première synthèse doctrinale d’envergure sur la notion d’autorité administrative indépendante, avait alors élargi l’appellation réservée jusque-là par le législateur à la CNIL, à quatre autres autorités dont la Commission des sondages. Il conceptualisait pour la première fois la catégorie juridique des AAI en élevant l’indépendance comme la condition nécessaire par laquelle ces organismes accomplissent leur mission et exercent leur pouvoir. Aujourd’hui, premiers indicateurs dans la régulation du temps de parole et du temps d’antenne, les sondages exigent une commission de contrôle dont l’indépendance ne saurait être mise en doute.

La préservation de garanties d’indépendance malgré la perte de la qualité d’AAI

Toutefois, et de manière a priori assez paradoxale, prenant acte de la volonté manifestée au cours de la première lecture de la proposition de loi de ne pas retenir la commission des sondages comme une autorité administrative indépendante, les deux assemblées ont souhaité instaurer pour plusieurs organismes, dont la commission des sondages, des garanties assurant leur indépendance. Dans cette perspective, par un amendement n° COM-26 déposé par le sénateur J.-P. Sueur en commission des lois en seconde lecture, la loi ordinaire introduit pour l’instance plusieurs garanties d’indépendance. D’abord, la représentation nationale diversifie la composition de la Commission des sondages en disposant que des spécialistes y siégeront désormais. Jusqu’alors, l’instance était composée de neuf « membres désignés par décret, en nombre égal et impair, parmi les membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes », sur proposition du président de leurs juridictions respectives, ainsi que, depuis la loi de 2002, de deux personnalités qualifiées. Dorénavant, la Commission est composée de douze membres dont « deux membres du Conseil d’État élus par l’assemblée générale du Conseil d’État, deux membres de la Cour de cassation élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation, deux membres de la Cour des comptes élus par l’assemblée générale de la Cour des comptes et trois personnalités qualifiées en matière de sondages désignées, respectivement, par le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale ». La loi ajoute que la commission élit en son sein son président. Ensuite, à l’image de ce qu’est prévu par le statut général, la durée du mandat des membres de la Commission est de six ans non renouvelables. On rappelle que jusqu’alors, les textes prévoyaient un mandat de trois ans sans préciser le caractère non renouvelable de celui-ci. Enfin, la loi ordinaire du 20 janvier 2017 précise les incompatibilités professionnelles applicables aux membres de la commission et à ses collaborateurs. Il prévoit un délai de carence empêchant que les mêmes personnes puissent être rémunérées durant les trois années qui suivent l’exercice de leurs fonctions au sein de la commission des sondages par des organismes commandants ou réalisant des sondages.

Des garanties insuffisantes vis-à-vis du pouvoir politique

Au regard de ces éléments, on pourrait alors conclure que le législateur de 2017 a prévu un statut favorable à l’indépendance de la Commission sans la nommer. Pourtant, ne bénéficiant pas des garanties attachées au statut général et dans le silence des textes, la Commission des sondages est dorénavant et en théorie potentiellement soumise à l’influence politique. À la lecture du rapport Mezard de 2015, il s’agissait avant tout, de renforcer l’indépendance de la Commission vis-à-vis du Conseil d’État et du secteur régulé et non vis-à-vis de l’exécutif. Alors que les sondages sont un enjeu politique et que l’intervention de l’État en la matière peut s’avérer suspecte, la représentation nationale n’estime pas nécessaire de légiférer sur cet aspect. Pourtant le législateur de 2017 a pour plusieurs autorités renforcé l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique sans pourtant inclure ces instances dans la liste des AAI et des API. Il en est ainsi pour le CCNE, dont l’article L. 412-2 du code de la santé publique précise désormais que le Comité exerce sa mission en toute indépendance. Et il en va de même pour la CNCDH, la Commission nationale d’aménagement cinématographique, le Médiateur du Cinéma ou la commission nationale d’aménagement commerciale, pour lesquelles il est ajouté « qu’elle(s) ne recoi (vent) ni ne sollicite (nt) d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale ». Rien de tel n’est prévu pour la commission des sondages au terme de la loi : rien n’empêche juridiquement le gouvernement d’être tenté par l’exercice du pouvoir hiérarchique… même si à ce stade il s’agit sans doute d’une hypothèse d’école.

Un renouvellement de la commission des sondages… en pleine élection présidentielle !

Pire encore, la loi a prévu le renouvellement de plein droit des membres de la Commission des sondages en cours de mandant. Trois mois après la publication de la loi, soit le 20 avril dernier, le législateur a mis un terme de manière prématurée aux mandats des membres de la Commission des sondages. L’irrévocabilité du mandat des membres de l’instance n’est pas inscrite dans la loi de 1977. Seul le décret du 25 janvier 1978 précise opportunément que « sans démission volontaire il ne peut être mis fin aux fonctions de membre de la commission qu’en cas d’empêchement constaté par la commission elle-même, par suite de l’exercice d’une fonction incompatible avec cette qualité ou par suite de l’impossibilité dans laquelle l’intéressé se trouverait d’exercer sa mission ». Et on se souvient que le Conseil constitutionnel avait eu l’occasion de se prononcer sur cette question lorsque le législateur de 1986, par la mise en place de la Commission nationale de la communication et les libertés  (CNCL), mit un terme de manière prématurée aux mandats des membres de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, ancêtre du CSA. Plusieurs députés avaient alors saisi le Conseil constitutionnel en fondant leur recours sur l’atteinte ainsi portée à l’indépendance de l’instance. Ce à quoi, le Conseil répondit qu’il est « loisible au législateur d’adopter […] des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu’il estime excessives ou inutiles ». Pour autant, la question reste posée de savoir si la protection de la liberté du suffrage et de la sincérité du débat politique, peut être suffisamment assurée par une autorité dont l’indépendance n’est pas protégée par le statut. D’autant, qu’au-delà du principe même de la révocabilité du mandat des membres de l’instance qui pose problème, c’est la date à laquelle le renouvellement est opéré : trois jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Alors que la Commission fête cette année ses 40 ans d’exercice et que le modèle français de régulation des sondages est avec le modèle international le plus ancien, la Commission des sondages perd sa spécificité qui était d’être le seul système pris en charge par une autorité administrative spécialisée et indépendante.

Conclusion : la nécessité d’une prise de conscience

Le cas particulier de la commission des sondages révèle, au-delà de son cas d’espèce, que la France n’a pas suffisamment pris conscience de la nécessité d’organes indépendants en droit électoral, pour des raisons liées au fait que le droit électoral sert à la désignation même des représentants politiques et ne doivent donc pas être soumis au pouvoir des hommes déjà en place au sein de l’Etat. Ainsi que le relevait Benoit Camguilhem lors de la journée d’études AFDA organisée à Grenoble, le modèle international est bien celui de l’indépendance et si l’organisation des élections est en France prise en charge par le ministère de l’intérieur pour des raisons historiques, il reste qu’il se caractérise par la présence de nombreuses autorités indépendantes (du bureau de vote au CSA en passant par les commissions administratives de révision des listes électorales ou les commissions de propagande). Cette réforme de la commission des sondages, impliquant un jour une potentielle reprise en main, ainsi que le silence des parlementaires sur le sujet, montre bien le chemin qu’il nous reste à faire dans la réflexion sur l’organisation institutionnelle du droit électoral.

Stéphanie Dubiton