Un de nos confrères journaliste blogueur du monde.fr, M. Parisa Keyhani, vient de publier un article très intéressant sur son blog, intitulé Les iraniens soutiennent-ils l’enrichissement d’uranium ?
L’occasion d’un commentaire sur les rapports entre la liberté de publier des sondages, la nécessité de garantir leur qualité et la démocratie. Les éléments factuels repris ici le sont directement du blog de M. Parisa Keyhani.
Les faits : censure ou autocensure d’une enquête d’opinion défavorable à la politique nucléaire iranienne
Dans son post, M. Parisa Keyhani fait état de la réalisation sur internet d’une enquête d’opinion, effectuée le 2 juillet par le site très visité – paraît-il – de la chaîne d’information nationale Shabakeyé Khabar. 2000 personnes ont répondu à cette enquête.
Certes, comme le souligne avec justesse ce professionnel, cette « enquête d’opinion » réalisée sur internet n’est pas un véritable sondage dans la mesure où il n’a pas été procédé à la construction rigoureuse d’un échantillon représentatif mais les internautes ont répondu volontairement aux questions posées. Il faut donc, concernant cette enquête, faire preuve d’une très grande prudence. Nous renverrons ici pour une illustration à notre article sur la consultation qui avait été réalisée par Harris sur l’orientation politique des journalistes présents sur Twitter.
Il n’empêche que les résultats donnés par cette enquête ont fortement embarassé les pouvoirs publics. La question posée était « Quelle option préférez-vous contre les sanctions unilatérales décidées par l’Occident contre l’Iran?« .
D’après les résultats de cette enquête et M. Parisa Keyhani, 63 % des 2000 participants se sont exprimés pour le renoncement à l’enrichissement d’uranium « si l’Occident acceptait de lever progressivement les sanctions« . Ceux qui préconisaient la fermeture du détroit d’Ormuz (par lequel transite 35 % du pétrole transporté par voie maritime dans le monde) ne représentaient que 19 % des sondés et les autres ont préféré choisir une simple « résistance contre l’embargo« .
Cette enquête, et ses résultats forts embarrassants pour la politique du régime, a disparu après qu’elle a été largement relayée par les médias iraniens basés à l’étranger.
Toujours selon Parisa Keyhani, elle a alors été remplacée par une autre étude sur la fermeture du détroit aux pétroliers faisant cap vers l’Union européenne, proposée par une centaine de députés iraniens, à laquelle 89 % des sondés se sont opposés. Toujours peu satisfaisant, donc, pour le pouvoir politique.
Cette étude a elle-même disparue, laissant alors la place à une question sur le football. Sans commentaire.
Sous la pression, la chaîne a cherché à nier les résultats de cette étude, indiquant que « seulement 2 000 personnes y avaient participé » et que ces personnes ne pouvaient aucunement représenter toute la société « révolutionnaire » iranienne. Par la suite, elle a publié un communiqué déclarant que les résultats relayés étaient erronés, car son site avait été « victime d’une attaque informatique« . Selon ce communiqué, seulement 24 % des sondés s’étaient déclarés favorables à la suspension de l’enrichissement d’uranium et non pas 63 %. Quant au détroit d’Ormuz, 38 % se seraient prononcés pour sa fermeture.
Une autocensure et un rétropédalage en bonne et due forme, donc.
Analyse : dans un régime autoritaire, l’opinion publique se tait.
Deux enseignements peuvent être tirés de cette petite histoire.
Le premier, mais nous en avons déjà largement parlé sur ce blog, est la nécessité, dès lors qu’il y a sondage, de s’assurer de la validité scientifique de ceux-ci. C’est là toute la rationalité résumée du droit des sondages électoraux. Ainsi, gare aux faux sondages !, et nous renverrons sur ce point à l’article de ce blog consacré à cette question.
Mais c’est le second enseignement qui est ici essentiel. Discutant de la pertinence des sondages du point de vue de la démocratie, Roland Cayrol, dans son ouvrage le plus récent sur ces questions, résolvait le problème par un argument empirique difficilement contestable : il n’existe de sondages électoraux qu’en démocratie.
Et notre cas en est une manifestation très nette. Les adversaires des sondages oublient trop souvent que sonder permet de connaître l’état de l’opinion publique, par extension – relative – du peuple et donc du souverain, et que de ce point de vue, le sondage de l’opinion publique constitue un contre-pouvoir fondamental et majeur. Le plus important, peut-être, au moins en ce qui concerne nos démocraties où l’ensemble de la chaîne de pouvoir, du point de vue horizontal voire du point de vue vertical, est concentré entre les mains des partis et des représentants.
Oui, ici, nous osons une hypothèse que nous avons déjà exprimée dans notre ouvrage : le sondage de l’opinion publique constitue une manifestation d’un approfondissement de la démocratie, une démocratie continue complétant et dépassant la démocratie représentative et la démocratie semi-directe.
Le sondage rejoint en outre un autre pilier de la démocratie, celui de la liberté d’expression. Dans le cas iranien, on le voit, celle-ci est largement bafouée. Le sondage est consubstantiel à la liberté d’expression et l’ensemble, à condition de faire l’objet d’un contrôle garantissant la validité scientifique de l’instrument, constitue une amélioration de la démocratie.
Le régime iranien fournit ainsi l’exemple contraire. Ainsi, selon Parisa Keyhani, « Pour effectuer un véritable sondage en Iran, une autorisation des responsables politiques est nécessaire. Quant à leurs résultats, ils tombent directement entre les mains des autorités et sont très rarement publiés ».
Une nouvelle preuve empirique, donc. Les sondages, et par conséquent le droit des sondages, participent de manière très importante au bon fonctionnement de la démocratie… justifiant par extension la raison d’être de ce blog.
Romain Rambaud