Condamnation à une peine d’inéligibilité : l’idée d’une loi d’amnistie fait son chemin au RN [Arthur Porret]

Tous les moyens sont-ils bons pour sauver Marine Le Pen ? C’est la question que nous sommes en droit de nous poser depuis l’annonce, dans les quotidiens nationaux, de la volonté des « hiérarques »[1] du parti de trouver un moyen de contourner l’éventuelle peine d’inéligibilité à laquelle serait condamnée Marine Le Pen lors de son procès en appel.

La question posée en introduction souffre d’une ambiguïté qu’il nous faut d’ores et déjà lever. S’il s’agit de savoir si les troupes du Rassemblement National sont disposées à mobiliser tous les moyens législatifs disponibles pour rendre leur candidate à nouveau présidentiable, la réponse est indubitablement positive puisque ce n’est en réalité pas moins de quatre moyens différents qui sont étudiés pour passer outre l’inéligibilité de Marine Le Pen. Aussi, pour ce qui nous concerne, il nous importe plutôt de savoir si tous les moyens sont juridiquement efficaces pour sauver Marine Le Pen de son inéligibilité.

Parmi tous ces moyens, trois principaux retiennent l’attention. Les membres du Rassemblement National – et leurs alliés – proposent de supprimer la possibilité de prononcer la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, voire de supprimer « purement et simplement »[2] la peine complémentaire d’inéligibilité. Leur dernière proposition, que nous examinerons plus longuement, consiste à adopter une loi d’amnistie stricto sensu. À cet égard, la réponse à notre seconde interrogation semble tout autant positive : tous les moyens semblent efficaces pour sauver Marine Le Pen.

La suppression de la peine complémentaire ou de son exécution provisoire

Tout d’abord, la suppression de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité aurait bien pour effet d’éviter à Marine Le Pen d’avoir à l’exécuter, au moins avant toute condamnation définitive. En effet, l’article 112-2 du Code pénal prévoit bien que les lois relatives « au régime d’exécution et d’application des peines » sont applicables « immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur », sauf à ce qu’elles aient pour effet d’aggraver la situation de l’intéressée. Or, la suppression de l’exécution provisoire d’une peine est assurément une mesure favorable au condamné, elle devrait donc logiquement s’appliquer immédiatement. Pour la même raison, et sur le même fondement, si le législateur venait à supprimer purement et simplement la peine complémentaire d’inéligibilité, cela aurait également pour effet de redonner à Marine Le Pen la possibilité de se présenter à une élection. En effet, une loi abolissant une peine étant une loi de procédure[3], « il résulte de l’article 112-2, 3°, du Code pénal que, sauf disposition contraire, l’abrogation de la loi instituant une peine met obstacle à son exécution »[4].

C’était l’idée d’Eric Ciotti lorsque ce dernier a déposé une proposition de loi visant à protéger l’effectivité du droit fondamental d’éligibilité en mai 2025, rejettée par l’Assemblée Nationale.

La particularité d’une loi d’amnistie

Ensuite vient la question de l’adoption d’une loi d’amnistie stricto sensu. L’amnistie se présente comme une loi qui prévoit que certains faits, commis avant une certaine date, seront rétroactivement censés avoir perdu leur caractère délictueux[5]. L’amnistie est un outil au service de la paix sociale. Elle a été pensée comme un instrument de clémence qui induit un oubli judiciaire dont le but est d’apaiser les rapports sociaux suite à une période de trouble[6]. Il n’y a qu’à voir les lois d’amnisties les plus fidèles à ce principe qui ont été adoptées pendant la VRépublique pour s’en convaincre. Adoptées après des événements comme la guerre d’Algérie[7], Mai 68[8], les événements de Nouvelle-Calédonie[9] ou après certains mouvements sociaux[10], ces lois interviennent dans une volonté d’apaisement. Cependant, un certain nombre de lois d’amnisties se sont détournées de cette finalité. Au cours de la VRépublique s’est développée une coutume dite des « amnisties présidentielles ». Cette coutume est née du choix du général De Gaulle de faire adopter, par sa majorité, une loi d’amnistie à l’issue de l’élection présidentielle du 21 décembre 1958, choix qui a ensuite été réitéré par tous ses successeurs lors des élections postérieures jusqu’en 2002, date de la dernière loi d’amnistie « présidentielle ».

L’amnistie a également pu être utilisée à la suite de scandales politico-financiers, notamment en lien avec le financement des partis politiques[11]. En effet, alors que, accusant un grand retard quant à la réglementation des financements des partis politiques, la législation française se dotait de normes en ce sens, le Parlement votait une de loi d’amnistie usant d’indulgence « au service d’une tentative de moralisation des pratiques opaques et des financements occultes »[12]. Ainsi, la loi du 15 janvier 1990 amnistiait tout parlementaire qui avait commis une infraction « liée au financement politique d’un parti ou d’une campagne électorale »[13]. Cette loi était d’autant plus critiquable que, non contents d’instrumentaliser l’amnistie, ses bénéficiaires étaient ceux qui la votaient. C’est donc logiquement qu’elle a indigné l’opinion publique[14]. De ce point de vue, nous comprenons aisément que le vote d’une amnistie concernant les détournements de fonds publics liés à des emplois d’assistants parlementaires serait doublement inopportun : non seulement elle constituerait un nouveau détournement de l’amnistie, mais elle comporterait également un risque politique, même si le RN invoque le fait qu’elle bénéficierait également au MoDem et à LFI. Le fait qu’une telle loi  s’accompagnerait d’une réglementation précisant quel est le rôle d’un assistant parlementaire afin de clarifier les pratiques ne semble pas éviter un tel risque comme en témoigne le précédent épisode « d’auto-amnistie » évoqué[15].

La possibilité d’une loi d’amnistie pour les faits de détournement de fonds publics

Une telle loi constituerait donc un détournement de l’institution de l’amnistie, mais serait-elle seulement possible, et propre à rendre Marine Le Pen à nouveau éligible ? Là encore, la réponse s’avère positive. Acte de souveraineté par essence, l’article 34 de la Constitution de 1958 confie le pouvoir d’adopter des amnisties au législateur. Ce dernier est ensuite libre dans la détermination du contenu et des modalités d’application de la loi. Confirmant le fait que l’amnistie constitue un pouvoir souverain du parlement, le Conseil constitutionnel semble n’effectuer qu’un contrôle limité de ces lois comme en témoigne la décision du 9 janvier 1990. Dans cette dernière, les sages rappellent le fait que « le législateur peut enlever pour l’avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés ; […] il lui appartient de déterminer en fonction de critères objectifs quelles sont les infractions et, s’il y a lieu, les personnes, auxquelles doit s’appliquer le bénéfice de l’amnistie », précisant seulement qu’« il incombe simplement au législateur, lorsqu’il exerce son pouvoir d’abrogation de la loi, de ne pas priver de garanties légales des principes constitutionnels »[16]. S’il leur est effectivement déjà arrivé de prononcer des inconstitutionnalités portant sur des lois d’amnisties, ces censures concernaient les conséquences civiles de celles-ci, comme la réintégration des personnes concernées dans leurs fonctions et emplois[17]. Ces considérations, alliées au fait qu’il existe un précédent d’« auto-amnistie », laissent présager une conformité à la Constitution de la loi voulue par le RN. Une loi qui amnistierait les infractions de détournement de fonds publics, commis par l’emploi irrégulier d’assistants parlementaires, et qui s’accompagnerait d’une clarification de leurs fonctions semble donc pouvoir être adoptée par le Parlement.

Les conséquences de la loi d’amnistie pour Marine Le Pen

Reste une dernière précision à faire : celle des effets qu’aurait une telle loi. Les effets des lois d’amnisties sont régis aux articles 133-9 à 133-11 du Code pénal. Sous réserve des conditions posées par la loi d’amnistie, l’article 133-9 du Code pénal dispose que « L’amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines ». Ainsi, si elle intervient avant toute condamnation passée en force de chose jugée, la loi d’amnistie aura pour effet d’empêcher les poursuites dont fait l’objet Marine Le Pen. Cependant, si elle intervient après condamnation définitive, l’effet principal de l’amnistie sera d’éteindre cette dernière ainsi que les peines principales auxquelles elle a été condamnée. S’agissant des peines complémentaires, la solution est plus subtile. Si elles sont, en principe, également éteintes par l’amnistie, le juge a, à plusieurs reprises, décidé que certaines peines complémentaires qui présentent les caractères de mesures de sûreté devraient échapper à cet effet extinctif. Ainsi, dans des jurisprudences datées, la Cour de cassation avait considéré que l’amnistie ne devait pas jouer à l’égard de peines complémentaires comme la fermeture de fonds de commerce, la confiscation spéciale ou l’incapacité d’exercer en tant que banquier[18]. Elle a également décidé que se maintenaient, malgré l’intervention d’une loi d’amnistie, les peines de fermeture d’établissement, de déchéance du droit de gérer une société, de suspension du permis de chasse ou encore de fermeture d’un débit de boisson[19]. Cependant, la Cour ne s’est jamais prononcée sur la peine d’inéligibilité et le législateur pourrait probablement préciser, dans le corps de la loi, que l’amnistie a pour effet de relever toutes les incapacités et déchéances résultant de ces infractions, dont l’inéligibilité.

Finalement, il convient de préciser que si une loi d’amnistie avait ces effets radicaux s’agissant des conséquences pénales de la condamnation de Marine Le Pen, tel ne serait pas le cas des conséquences civiles de celle-ci. En effet, il résulte de l’article 133-10 du Code pénal que « L’amnistie ne préjudicie pas aux tiers » de sorte que la réparation du préjudice ainsi que les dommages-intérêts resteraient dus. L’action civile survit à l’amnistie. Les individus concernés devraient donc toujours au Parlement européen les réparations décidées par la condamnation (lesquelles s’élevaient, en première instance à 3 247 982,87 €, somme à laquelle s’ajoutent 200 000 € au titre de son préjudice moral).

Pour conclure, tous les moyens sont juridiquement efficaces pour permettre à Marine Le Pen d’échapper à la peine d’inéligibilité à laquelle elle a été condamnée, mais tous ces moyens se heurtent à un obstacle de taille : tous supposent une intervention du législateur, et donc, tous supposent de rassembler une majorité autour d’un texte, chose qui semble impossible pour le RN avant toute élection… à laquelle leur cheffe ne pourrait pas, en l’état, se présenter.

Arthur Porret

Doctorant contractuel en droit pénal et sciences criminelles, UGA, CRJ


[1]C. Guillou et C. Lesueur, « Le RN réfléchit à une « loi d’amnistie » pour Marine Le Pen en cas d’arrivée au pouvoir », Le Monde (Web), 11 sept. 2025, consulté le 15 sept. 2025

[2]Ibid.

[3]Crim., 27 juin 1989, no 88-83.541

[4]Crim., 28 juin 2000, n° 98-86.376

[5]S. Fournier, « Amnistie et grâce », in Dictionnaire de culture juridique, Quadrige, Paris, PUF, 2003, p. 1649 ; G. Cornu, Vocabulaire juridique, Quadrige, Paris, PUF, 2024, V° Amnistie.

[6]À ce sujet, voir : V. Hugo, Discours à la séance du Sénat du 22 mai 1876, Le Gaulois, 24 mai 1876, p. 1 : Plaidant à la tribune pour l’amnistie des communards, le poète se livre à ce vibrant plaidoyer : « [L’amnistie] est plus qu’un acte de souveraineté, c’est un acte de fraternité. C’est le démenti à la discorde. L’amnistie est la suprême extinction des colères, des guerres civiles. Pourquoi ? Parce qu’elle contient une sorte de pardon réciproque »

[7]Loi n° 64-1269 du 23 décembre 1964 portant amnistie et autorisant la dispense de certaines incapacités et déchéances ; Loi n° 66-396 du 17 juin 1966 portant amnistie d’infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie ; Loi n° 68-697 du 31 juillet 1968 portant amnistie.

[8]Loi n° 68-457 du 23 mai 1968 portant amnistie.

[9]Loi n° 85-1467 du 31 décembre 1985 portant amnistie relative à la Nouvelle-Calédonie ; Loi n° 90-33 du 10 janvier 1990 portant amnistie d’infractions commises à l’occasion d’événements survenus en Nouvelle-Calédonie.

[10]Loi n° 72-1127 du 21 décembre 1972 portant amnistie de certaines infractions.

[11]C. Hardouin-Le Goff, L’oubli de l’infraction, Bibliothèque des sciences criminelles, n° tome 44, Paris, LGDJ-Lextenso, 2008, no 275.

[12]B. Py, « Amnistie », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Paris, Dalloz, septembre 2020, no 361.

[13]Ibid., no 368.

[14]Ibid., no 366.

[15]C. Guillou et C. Lesueur, « Le RN réfléchit à une « loi d’amnistie » pour Marine Le Pen en cas d’arrivée au pouvoir », Le Monde (Web), 11 sept. 2025, consulté le 15 sept. 2025

[16]Cons. Constit., 9 janv. 1990, n° 89-265 DC

[17]Cons. Constit., 20 juill. 1988, n° 88-244 DC

[18]B. Bouloc, Droit pénal général, 28e éd., Précis, Paris, Dalloz, 2023, no 938.

[19]Ibid.