La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, ou Commission Jospin, a donc rendu public son rapport, intitulé « Pour un renouveau démocratique », ce vendredi 9 novembre 2012.
Concernant le droit des sondages, force est de constater que la portée de ce rapport est décevante et que la Commission Jospin restera sur ce point une occasion manquée. La preuve que les sondages, et leur droit, ne sont pas encore suffisamment pris au sérieux en droit constitutionnel aujourd’hui.
Présentation sommaire du rapport de la Commission Jospin
Le Rapport contient 35 propositions dans les domaines les plus divers de la Vème République, réunis sous deux thèmes différents. Le premier vise une « représentation politique rénovée » et le second un « exercice des responsabilités exemplaire ». Le premier vise à moderniser l’élection présidentielle et rendre le Parlement plus représentatif, le second à rompre avec la pratique du cumul des mandats, à construire un statut juridictionnel du chef de l’Etat et des ministres plus respectueux du principe d’égalité, et enfin à élaborer une stratégie globale des conflits d’intérêts.
On connaît maintenant ses propositions principales : instaurer un parrainage des candidats à l’élection présidentielle par les citoyens (proposition n° 1), réduire le délai entre l’élection présidentielle et les élections législatives (proposition n°6), introduire une part de proportionnelle pour l’élection des députés (proposition n°7), interdire le cumul de fonctions ministérielles avec l’exercice de tout mandat local (proposition n° 14), rendre incompatible le mandat de parlementaire avec tout mandat électif autre qu’un mandat local simple à compter des prochaines élections locales (proposition n°15), mieux affirmer le caractère politique de la procédure de destitution du Président de la République (proposition n° 16), mettre fin à l’inviolabilité du Président de la République en matière pénale (proposition n°17) et en matière civile (proposition n°18), supprimer la Cour de Justice de la République (proposition n°19), renforcer le régime des incompatibilités pour les membres du gouvernement (proposition n°20), mettre en oeuvre un ensemble de règles relatives aux déclarations d’intérêts et de règles d’incompatibilités pour lutter contre les conflits d’intérêt (proposition n°20 à 31), supprimer la catégorie des membres de droit du Conseil constitutionnel et interdire l’exercice de toute activité de conseil à ses membres (proposition n°32), créer une Autorité de déontologie de la vie publique (proposition n°33).
La publication de ce rapport a entraîné des réactions très divergentes. Certaines sont très positives. Ainsi, Le Monde n’hésite à affirmer, dans sa Une de ce jour, que « Le rapport Jospin prône un big-bag politique ». Pour Le Monde, la commission « propose un cadre institutionnel profondément renouvelé » et « tout pourrait changer » en matière de cumul des mandats, de proportionnel, de parrainages. Pour d’autres, au contraire, le rapport est insuffisant : c’est notamment l’opinion du Professeur de droit constitutionnel de l’Ecole de droit de la Sorbonne Dominique Rousseau, qui a publié dans le rapport une opinion personnelle.
Il y a bien sûr ici matière à discussion et les commentateurs, les politiques, les universitaires et la société civile ne manqueront pas de s’emparer du débat. La matière du rapport est bien trop importante pour être commentée dans le cadre du présent blog. Qui se contentera donc d’une ambition très modeste : rester dans le cadre de son champ d’étude, c’est à dire le droit des sondages. Or, sur ce point, force est de constater que le rapport de la Commission Jospin n’est pas satisfaisant.
Le droit des sondages électoraux : maillon faible du rapport de la Commission Jospin
Comme on l’avait écrit sur ce blog il y a déjà quelques mois, la Commission Jospin aurait été l’occasion de poursuivre, voire de réengager, la réflexion sur une réforme du droit des sondages électoraux et une refonte de la loi de 1977, a fortiori dans un contexte où celle-ci se voit désormais menacée, suite à une saisine de Jean-Luc Mélenchon, d’un examen par la Cour européenne des droits de l’homme.
Toutefois, ainsi que le précise le Professeur Dominique Rousseau, la Commission Jospin a préféré s’en ternir largement à son mandat et il était prévisible qu’elle ne contiendrait guère de développements sur les sondages. Au final, c’est effectivement le cas, et si le rapport propose d’harmoniser les horaires de fermeture des bureaux de vote à 20 heures, ce qui peut susciter des réserves, elle ne propose rien d’autre en matière de sondages.
Sur ce point, il faut distinguer les deux propositions qui concernent directement le droit des sondages : la proposition n° 3 sur le temps de parole et la proposition n° 4 sur l’harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote.
La proposition n° 3 du rapport de la Commission Jospin : substituer la règle de l’équité à celle de l’égalité pour les temps de parole des candidats pendant la période « intermédiaire »
Le premier aspect du rapport de la Commission Jospin qui concerne les sondages est relatif aux règles régissant les temps de parole des candidats pendant la campagne présidentielle… même s’il ne parle pas des sondages !
En effet, comme nous avons pu l’écrire précédemment sur ce blog, une des manifestations les plus éclatantes du changement de statut juridique des sondages aujourd’hui est leur association au temps de parole des candidats. En effet, en France comme aux Etats-Unis d’ailleurs, les sondages décident désormais juridiquement de la prise de parole des candidats. Et on attendait, sur cette évolution, une réflexion de la Commission Jospin, en charge de repenser la répartition du temps de parole. Sur ce point, force est de constater qu’il existe une certaine déception.
De manière générale, la Commission Jospin considère l’équilibre général de l’actuel système comme étant satisfaisant et donc souhaite en conserver l’équilibre général. La Commission rejette d’abord l’idée de se rapprocher du système américain en considérant qu’il faut maintenir le principe de l’article L. 52-1 du Code électoral qui interdit la propagande politique six moins avant l’élection, considérant que l’autoriser nuirait au débat électoral. Sur ce point, l’exemple de la campagne qui vient de se terminer aux Etats-Unis – le rapport met d’ailleurs l’accent sur les « publicités négatives » – ne peut que conduire à aller dans le même sens.
Plus fondamentalement, la Commission renforce ensuite le système français d’encadrement des temps d’antenne et des temps de parole des candidats par le biais d’une régulation opérée par le CSA, et ce même si ce système est minoritaire dans les démocraties occidentales, puisque seulement mis en oeuvre en Italie, au Portugal ou en Roumanie. Pour la Commission, il s’agit d’une excellente exception française. Sur ce point, il n’y a guère de raisons permettant de contredire la Commission, tant ces principes permettent de concilier respect de la représentativité, de l’égalité et de la liberté. Un juste équilibre.
Le système de recommandations du CSA, qui ont en réalité une valeur juridique selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, apparaît également satisfaisant à la Commission. Notamment, la distinction entre les périodes – avant les candidatures (période 1), après (environ cinq semaines avant le premier tour ) jusqu’à la campagne officielle, période que l’on nomme « période intermédiaire » (période 2), et enfin la période de la campagne officielle c’est à dire deux semaines avant le premier tour (période 3) est considérée comme satisfaisante, et la Commission ne propose qu’un aménagement de ces règles.
Tout d’abord, elle maintient le système d’égalité absolue des candidats pendant la période de la campagne électorale, alors que ce système – donnant autant d’importance à un candidat comme Jacques Cheminade qu’au président sortant ou au principal candidat du parti d’opposition – est de plus en plus critiqué. Elle considère qu’il serait difficilement justifiable, dans le cadre d’une propagande égalitaire, de revenir sur cette règle. Si on comprend et on s’accorde sur la logique, on aurait pu imaginer un système plus mixte entre le principe d’égalité et de représentativité, avec par exemple un système constitué d’une part d’un temps minimal garanti de temps de parole et d’autre part d’une part fondée sur la représentativité des candidats. Le pas n’a toutefois pas été franchi cette fois.
Ensuite, la Commission s’accorde avec le Conseil supérieur de l’Audiovisuel, le Conseil constitutionnel et la Commission nationale de contrôle de la campagne présidentielle, sur le fait que concernant les deux autres périodes, c’est le principe d’équité qu’il faut privilégier. Dès lors, si elle ne propose aucun changement pour la première période, entièrement régie par le principe de l’équité, elle propose d’aller plus loin et de faire en sorte que la seconde période soit également intégralement régie par ce principe, alors que jusqu’à présent, le principe est l’égalité des temps de parole et l’équité des temps d’antenne. Une situation conduisant à des situations grotesques où, pour respecter le principe d’égalité des temps de parole tout en profitant de la marge de manœuvre laissée par le principe d’équité des temps d’antenne, les médias n’hésitèrent pas pendant la précédente élection présidentielle à diffuser, en boucle et pendant la nuit, les discours des petits candidats.
En tant que telle, il existe donc une évolution favorable à l’application du principe d’équité, caractéristique selon nous du fait que l’opinion publique est toujours davantage prise en compte dans l’organisation des pouvoirs publics, notamment en matière électorale. En effet, l’application du principe d’équité se détermine en fonction de la représentativité du candidat : plus un candidat est représentatif des opinions à l’oeuvre dans la société, plus il est légitime à intervenir dans le débat électoral. Une évolution fondamentale de la démocratie se cache derrière cette simple règle de droit électoral.
On attendait donc de la Commission Jospin qu’elle se prononce sur les règles, les critères, les indices de nature à permettre de déterminer la représentativité. Et la Commission a réfléchi à la question, ainsi qu’elle l’indique dans son rapport : « dans le prolongement de [sa] proposition, la Commission s’est interrogée sur l’opportunité d’inscrire dans la loi une définition de la notion de traitement équitable, afin de donner un cadre plus clair à la pratique régulatrice du CSA ». En effet, à ce jour, c’est seulement dans le cadre de ses recommandations que le CSA a posé les critères de détermination de l’équité et notamment du critère de la représentativité.
Or, sur ce point, force est de constater que la Commission – volontairement ou non ? – a complètement passé sous silence l’importance des sondages dans la détermination de la représentativité. Si la Commission fait bien référence au critère des scores obtenus dans le cadre d’élections précédentes, elle omet complètement le critère des « indications d’enquêtes d’opinion », pourtant prévu par la dernière recommandation du CSA applicable à l’élection présidentielle.
Par ailleurs, elle considère finalement qu’il n’est pas pertinent d’encadrer la pratique du CSA sur ce point, qui reste l’autorité compétente pour fixer les principes, sous le contrôle de la société civile, des partis politiques, du Conseil constitutionnel et du juge administratif. Il n’y aura donc aucune appréciation sur le rôle des sondages.
Le débat semble donc avoir volontairement été évité, et c’est fort dommage au regard de la portée théorique et de la portée pratique du problème. Les sondages continueront donc de déterminer juridiquement la prise de parole des candidats, d’autant que le système ainsi choisi par le CSA a été validé par le Conseil d’Etat au contentieux dans un arrêt du 15 mars 2012 qui a considéré que le CSA n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en choisissant cette règle (requête n° 356527).
Il aurait pourtant étant pertinent de s’interroger sur la légitimité de cette solution. Si elle est sans doute partiellement pertinente, elle devra à l’avenir être combinée à d’autres critères, le représentativité ne pouvant se réduire à l’intention de vote. Ce sont ces nouveaux indices qu’il faudra inventer.
La question de la place des sondages dans la détermination des temps de parole des candidats n’est pourtant pas le seul problème non résolu en matière de sondages. En effet, si la Commission propose d’harmoniser les horaires de fermeture des bureaux de vote afin d’éviter le problème des fuites et semble donc se préoccuper de la question, la solution choisie pose des problèmes et pourrait bien se révéler finalement contre-productive.
La proposition n° 4 de la Commission Jospin : fixer à 20 heures la fermeture des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire métropolitain
Bien connu ici, le problème de la diffusion avant l’heure d’estimations de résultats et de résultats partiels a fait l’objet d’un examen de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie politique, et sur ce point la position de la Commission est claire, et à saluer : la diffusion de ces éléments est de nature à perturber le bon déroulement du scrutin et à affecter sa sincérité, comme l’ont relevé le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne et la Commission des sondages. Il faut donc éviter les fuites de ces informations sur les réseaux sociaux.
Sur le diagnostic, nous partageons la position de la Commission Jospin. Toutefois, les développements qui suivent dans le rapport sont affectés d’imprécisions qui pourraient paradoxalement participer à la fragilisation du dispositif, suivant les remarques que nous avons pu faire par ailleurs.
En premier lieu, le rapport est affecté d’une imprécision juridique qui pourra poser problème au cours des prochaines élections. En effet, alors que la Commission vise clairement à éviter à la fois la diffusion d’estimations de résultats – sondages, sondages de sortie des urnes, commentaires – et la diffusion de résultats partiels, elle ne fait référence qu’à l’article L. 52-2 du Code électoral, qui n’interdit la diffusion que de résultats partiels et n’est sanctionné que par une sanction de 3750 euros. C’est à dire que l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977, qui prévoit l’interdiction de sondages, de sondages de sortie des urnes et de commentaire sur ces instruments, est complètement passé sous silence, alors que la sanction qu’il prévoit, de 75000 euros, est beaucoup plus dissuasive et donc plus à même de garantir l’application du principe d’interdiction.
Or, cette inexactitude s’avère particulièrement problématique dans un contexte où, on l’a vu précédemment à la suite de l’affaire où Ségolène Royal avait proclamé avant l’heure sa défaite aux élections législatives, le CSA avait finalement choisi de faire prévaloir l’article L. 52-2 du Code électoral au détriment de l’article 11 de la loi de 1977, puis de ne pas mettre en oeuvre de sanctions, ouvrant ainsi une double brèche dans le principe d’interdiction.
En effet, non seulement la Commission Jospin ne se penche pas sur ce problème pour le résoudre, mais au contraire l’accentue en choisissant de ne faire référence qu’à l’article le moins dissuasif des deux, l’article L. 52-2 du Code électoral, à rebours des propositions qu’il aurait été raisonnable de faire sur ce point, portées notamment par les Sénateur Sueur et Portelli dans leur proposition de loi.
En second lieu, la proposition de la Commission sur la fermeture des bureaux pourrait elle aussi être également contre-productive. Si la Commission prend acte du fait que c’est bien le gouvernement qui décide de l’horaire de fermeture des bureaux de vote, elle propose d’arrêter un horaire unique de clôture des bureaux de vote, et, même en ayant conscience des inconvénients pratiques de cette solution pour les petites communes, propose de fixer cet horaire à 20 heures afin notamment de ne pas entraîner une baisse de la participation de ceux qui, dans les grandes villes, ont l’habitude de voter tard.
D’une certain point de vue, on pourrait considérer que cette proposition va dans le bon sens puisque l’harmonisation de la fermeture des bureaux de vote est en effet la meilleure manière de préserver la sincérité du scrutin et l’égalité des électeurs tant d’un point de vue théorique que pratique. Toutefois, il est possible qu’harmoniser les horaires de fermeture des bureaux de vote à 20 heures soit en réalité une fausse bonne idée.
En effet, ainsi qu’il avait déjà été exposé sur ce blog, fixer l’horaire de fermeture à 20 heures pourrait avoir un effet pervers, car les médias, désireux de diffuser les résultats dès 20 heures – les habitudes ont la vie dure, et l’ouverture du 20 heures est l’ouverture de 20 heures -, seront tenté d’utiliser des sondages de sortie des urnes, ne disposant pas encore d’estimations de résultats. Or, ces sondages de sortie des urnes sont peu fiables et conduiraient à diffuser des informations inexactes, ce qui pourrait poser problème notamment dans une hypothèse de premier tour, où ces résultats seraient commentés pendant les soirées électorales, toute erreur pouvant être fâcheuse car pouvant être récupérée politiquement dans l’instant.
Il serait donc regrettable que cette proposition ne conduise à recourir davantage aux sondages de sortie des urnes, à un moment où au contraire, les pratiques d’autres Etats, et notamment les Etats-Unis, prennent le chemin inverse de ce point de vue en encadrant davantage le recours aux sondages de sortie des urnes. Une évolution du droit français à rebours qu’il faut impérativement éviter.
Raison pour laquelle la Commission Jospin aurait du proposer d’harmoniser les bureaux de vote à 19 heures et modifier les textes pour prévoir l’interdiction de diffuser des résultats jusqu’à 20 heures, solution qui aurait présenté tous les avantages sans avoir d’inconvénients et qui aurait eu le mérite politique d’imposer un sacrifice égal aux habitants des petites communes et des grandes villes, et donc respecter une certaine forme d’égalité républicaine. Solution également proposée par le Sénateur Sueur et rappelée récemment dans une interview à Libération.
En définitive, alors que la Commission Jospin a sans doute procédé à une réflexion importante sur l’évolution des institutions et des pratiques politiques, il est regrettable qu’elle n’ait pas procédé à une réflexion plus approfondie sur les sondages alors que ceux-ci sont désormais une part fondamentale des élections. La preuve qu’il reste encore du travail pour faire reconnaître les sondages comme un véritable objet de droit public.
Romain Rambaud