La politique italienne est pleine de surprises… et le droit des sondages en profite.
Les joies du régime parlementaire italien
On en viendrait presque à envier les italiens, parfois, alors que notre actualité nationale patine un peu, quoique l’UMP ait pu faire ces derniers temps exception à la règle.
Dernier coup de théâtre en date dans la campagne législative, un renversement d’alliance annoncé hier. Alors qu’ils avaient auparavant écarté cette éventualité, le parti de Silvio Berlusconi, le peuple de la liberté (PDL), s’alliera finalement avec son soutien historique, le parti de la Ligue du Nord, dirigé par Roberto Maroni. Un compromis cher pour l’ancien président du Conseil, l’accord étant parait-il subordonné à la condition que le cavaliere ne soit pas président du Conseil dans le cas où cette coalition disposerait d’une majorité. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient.
Il reste que cette nouvelle alliance pourrait rebattre les cartes, ainsi que l’indique un… sondage, réalisé par l’institut Ispo publié dimanche : alors que le parti de Silvio Berlusconi est crédité au maximum de 19%, la reconstitution de l’alliance PDL-Ligue du nord pourrait permettre d’obtenir jusqu’à 28% des suffrages lors du scrutin des 24 et 25 février. De quoi devenir le groupe politique le plus important du centre droit et de la droite, la « coalition Monti », composée d’un ensemble de petits partis de centre droit, ne recueillant que 14-15 % d’intentions de vote. Silvio Berlusconi aura finalement eu raison de M. Monti, pourtant champion des autres capitales européennes. Ah… le tempérament latin.
C’est pourtant de l’autre côté de l’échiquier politique, pour l’instant, que se situent les gagnants : la coalition de gauche fait un score de 38 %. De quoi gagner la présidence du Conseil ? Pas si sûr, car les arcanes de la politique italienne sont bien indéchiffrables pour qui les regarde de trop loin…. Et c’est un régime parlementaire, dont les subtilités sont devenues inaccessibles aux esprits binaires façonnés par la Vème République.
De la difficulté de sonder en Italie : poursuite des recherches sur le droit des sondages transalpin.
Les évènements politiques récents en Italie permettent de rappeler une idée forte : l’utilisation des sondages et le droit des sondages, dans un pays déterminé, ne peuvent s’analyser en dehors du contexte politique et institutionnel dans lesquels ils se déploient.
L’exemple italien est révélateur. En partant de cette hypothèse, on peut approfondir un certain nombre de points importants du droit des sondages italiens, dont nous avons pu étudier certaines prémices précédemment.
Recherches sur le champ d’application du droit des sondages
En France, on le sait pour l’avoir déjà étudié y compris de manière critique, le champ d’application du droit des sondages est limité aux sondages électoraux, même si cette notion est assez extensible.
Une telle limitation ne semble pas prévaloir en Italie, l’article 8 de la loi du 22 février 2000 visant les sondages politiques et électoraux. Le champ d’application des dispositions pertinentes en Italie semble donc plus vaste qu’en droit français.
Sous réserve de recherches supplémentaires, cette assertion semble à première vue confirmée par l’étude du site officiel recensant l’ensemble des sondages publiés en Italie.
En effet, si de très nombreux sondages sont des sondages d’intention de vote, il y a par contre des enquêtes d’opinion qui y figurent qui ne relèveraient pas du champ d’application de la loi de 1977 en France : on trouve notamment des baromètres de popularité, non contrôlés en France, des sondages visant à demander aux italiens quelles sont leurs préoccupations principales, des sondages visant à porter une appréciation sur le bilan du gouvernement Monti, etc. La publication des sondages n’est pas limitée aux sondages d’intention de vote.
Il semble donc que la transparence est plus importante en Italie car elle concerne un plus grand nombre d’enquêtes d’opinion. Toutefois, il faut nuancer cette affirmation car en tant que tel, cette publication ne nous apprend pas si et comment ces instruments sont contrôlés, ce qui est un autre point fondamental.
Recherches à suivre.
Recherches sur le fonctionnement du site officiel de la présidence du Conseil
Il faut souligner que la recherche sur le droit des sondages en Italie est largement facilitée par le recensement sur le site de la présidence du Conseil des sondages électoraux et politiques publiés, en application de l’article 8§3 de la la loi du 22 février 2000. Un outil très utile, qui n’est d’ailleurs pas très éloigné d’une idée défendue en leur temps par Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli.
…Même si à la réflexion, on peut quand même s’interroger sur la pertinence, du point de vue de la démocratie, de confier un tel recensement à la présidence du Conseil elle-même, qui n’est pas la moins intéressée au droit des sondages ! Mais passons sur cette fois : on aura l’occasion de revenir sur ce point dans des recherches futures.
Au demeurant, le sondage publié dimanche et dont il est fait référence ci-dessus est l’occasion d’approfondir nos connaissances sur le fonctionnement de ce site. En vertu de l’article 8§3 de la loi de 2000, la notice du sondage doit être déposée « simultanément », « en même temps », que la publication du sondage (« contestualmente ») : c’est donc une publication immédiate de la notice qui est prévue par la loi.
Pourtant, en pratique, il semble qu’on peut constater au 08/01/2013 que le sondage dont il est fait référence ci-dessus n’est pas encore publié sur le site, pas plus que ceux qui auraient été réalisés lundi et mardi. Il est donc possible que la pratique, mais ce point sera à vérifier, ait progressivement transformé l’obligation de simultanéité prévue par la loi en une obligation de déposer la notice du sondage… peu de temps après.
Une telle solution serait d’ailleurs largement compréhensible du point de vue de la liberté d’expression. N’avons-nous pas souligné précédemment que ce site était hébergé par la présidence du Conseil elle-même, c’est à dire l’exécutif ? Une publication simultanée sur le site à la publication du sondage ne serait en effet pas sans poser des problèmes et pourrait s’assimiler à un régime de contrôle a priori difficilement compatible avec la liberté d’expression… et la séparation des pouvoirs.
C’est en tout cas un point à creuser et à suivre dans de prochaines articles.
Recherches sur les techniques sondagières et la transparence du système italien
Ensuite, la consultation des notices nous apporte de nombreux enseignements sur la technique des sondages en Italie. De la vertu de la transparence, notamment pour le chercheur, comme nous l’avons souligné dans ce blog à de précédentes occasions.
Sur le plan de la technique des sondages, il existe des sondages locaux comme des sondages nationaux, ces sondages utilisent soit une méthode des quotas soit une méthode aléatoire, certains sont réalisés par téléphone ( les notices indiquent CATI, computer-assisted telephone interview), d’autres par internet (les notices indiquent CAWI, Computer-Assisted Web Interviewing), d’autres enfin mélangent les deux méthodes. Sur ce dernier point, il semble donc que les débats italiens ressemblent forts aux débats français.
Les marges d’erreur sont indiquées. Il est aussi précisé le nombre de personnes interrogées, c’est à dire la taille de l’échantillon mais aussi le nombre total de personnes interrogées avec le pourcentage de remplacement (les fameux non-répondants) avec des taux souvent très forts. On constate toutefois une certaine hétérogénéité dans les informations fournies selon les instituts et les sondages, ce qui posera la question de la sanction.
En revanche, il est un élément qui clairement n’apparaît guère dans les notices, à savoir les critères de redressement des échantillons, s’il y en a.
Il y a bien un onglet, dans les notices du site de la présidence du Conseil, qui pourrait laisser place à une indication sur la présence d’un redressement, l’onglet annonçant « Metodo di campionamento, inclusa l’indicazione se trattasi di campionamento probabilistico o non probabilistico, del panel e l’eventuale ponderazione », c’est à dire la méthode d’échantillonnage, incluant l’indication du traitement aléatoire ou non aléatoire, du panel et de l’« éventuelle pondération ». Cette éventuelle pondération pourrait faire penser à un redressement.
Pourtant, la consultation de quelques notices de sondages d’intention de vote démontre que peu d’éléments figurent en général. De deux choses l’une : soit les italiens ne redressent par leurs échantillons selon des considérations politiques, soit ces éléments ne figurent pas sur les notices. Dans un tel cas, on se rapprocherait des considérations sur l’étendue de la transparence et la question du secret des affaires des instituts sur leurs méthodes de redressement.
Affaire à suivre.
Recherches sur les contraintes propres au système italien qui se posent aux sondeurs
Enfin, on ne saurait résister à l’envie de conclure ces brèves prémices de recherche sur le droit des sondages italiens sans revenir à notre point de départ, sans boucler la boucle, et souligner quelle est sans doute la principale difficulté des sondeurs italiens à savoir… le régime politique et constitutionnel italien lui-même !
En effet, il faut le répéter et on avait déjà eu l’occasion de le dire à propos des sondages aux Etats-Unis, et cela vaut aussi bien sûr pour la France, le droit des sondages est propre à chaque pays car il est adapté aux caractéristiques et difficultés propres de ce pays. Les sondeurs ont, dans chaque pays et de leur côté, construit des méthodes pour répondre aux besoins propres de leur système.
Aux Etats-Unis, les difficultés sont liées à l’abstention et la structure fédérale du Pays.
En France, la difficulté a de tout temps était liée au vote caché du Front National, qui ne s’est pas arrêté avec l’arrivée de Marine Le Pen comme on a pu le croire un moment, ainsi qu’ en ont témoigné notamment les résultats de Marine Le Pen à la présidentielle et les polémiques relatives à l’élection législative d’Hénon-Beaumont.
En Italie, on peut s’en douter, la difficulté vient… du régime parlementaire, du système de partis, et de la difficulté de trouver des coalitions. Il est donc très difficile pour les italiens de savoir à l’avance quels seront les résultats des élections. Pour les aider, et sans doute aider les politiques eux-mêmes, il est donc très courant que des sondages en Italie soient consacrés ou posent des questions sur ces hypothèses de coalitions multiples, sur les souhaits des personnes concernant ces coalitions, etc. Et c’est sans compter le nombre d’indécis, qui apparaît très fort dans les sondages !
Par exemple, on peut avoir une pensée pour les sondeurs, et les personnes interrogées, qui ont du tester les multiples hypothèses des « listes Monti », Monti seul, Monti avec tel parti, Monti avec tel autre parti, Monti avec tous les partis, etc. etc. etc. Un vrai casse-tête ! Pour les sondeurs italiens, la France doit ressembler à un paradis…
Enfin, ces éléments posent sans doute un autre problème important du point de vue du droit des sondages : le problème de l’interprétation. Car en Italie encore plus qu’ailleurs, le commentaire du sondage par les journalistes doit être d’une complexité sans nom…
D’un autre côté, les italiens ont peut-être beaucoup plus de recul vis à vis des sondages que les français… il faut dire qu’en politique, il leur en faut probablement de beaucoup pour croire aux oracles….
Ils en ont vu d’autres.
Romain Rambaud