Les élections départementales et régionales qui se sont achevées constituent, pour tous, un échec démocratique prévisible.
Cet échec est collectif, et est sans doute celui de la classe politique tout entière qui n’a rien fait, dans le contexte de la cirse de la covid-19, pour adapter nos modalités électorales à la crise ou à la post-crise : les non-choix qui ont été effectués ont conduit à une invisibilisation prévisible des élections départementales et régionales.
Cette invisibilisation, voulue ou subie, produit des conséquences elles-aussi prévisibles, à savoir un quasi statu quo pré-présidentielle, qui, même s’il n’est pas total, laisse à ce stade ouvertes toutes les portes, alors que l’élection présidentielle commence (sur le plan des comptes de campagne) dès le 1er juillet 2021 en vertu de la loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République.
Des élections intermédiaires « invisibilisées »
Loin de jeter la pierre au seul Gouvernement, qui a cependant en la matière une importante responsabilité, c’est toute la classe politique qui s’est trouvée pendant la crise en situation de permettre cet échec. La quasi-totalité de la classe politique, à l’exception des parlementaires du Modem et du Sénateur PS Eric Kerrouche, s’est mis d’accord pour ne rien faire, comme en témoigne en dernière analyse la mission sur le vote à distance du Sénat, qui avait pour dégager un consensus politique interrogé prioritairement les élus sortants. Une manière, comme nous l’avions écrit dans un article de The Conversation, pour le régime représentatif de s’intéresser en priorité à la façon de se renouveler lui-même par des procédures les plus sûres possibles, plutôt que d’inclure le plus grand nombre possibilité d’électeurs, au risque de faire prévaloir la légitimité aristocratique de l’élection sur sa légitimité démocratique (v. aussi R. Rambaud, « Droit électoral et covid-19 : un an et demi de crise(s), Droit administratif, 2021, n°6, II, p. 13).
La classe politique n’est au demeurant pas la seule responsable. Parmi les universitaires, par exemple, la division a été forte et peu nombreux étaient ceux, en tout cas chez les juristes, qui appelaient à un renversement complet de perspective en matière de modalités de vote, et encore moins de campagne électorale. Parmi les citoyens, la demande était forte selon les sondages, mais très faible en termes de mobilisation. Une autre manifestation du fait que les citoyens semblent eux-mêmes s’éloigner de la démocratie.
Cela a déjà été écrit largement sur ce blog et dans des études scientifiques : il aurait fallu, pendant cette crise, adapter notre droit électoral grâce au vote par anticipation, au vote par correspondance, à la libération de nos campagnes électorales, etc. La stratégie du report était une mauvaise stratégie, conduisant à courir derrière le virus et à prendre le risque de l’abstention : ce risque s’est confirmé (v. R. Rambaud, « Report d’élections : nouvelles vagues », AJDA, 2021, p. 1131), la situation française contrastant avec de nombreux exemples étrangers. La France, démocratie malade de l’Europe ?
Comme nous l’indiquions dans un article précédent sur le blog du club des juristes, l’augmentation de l’abstention pour les élections départementales et régionales est du même ordre que celle des municipales, ce qui n’est sans doute pas sans rapport : cela est autant lié à l’absence d’adaptation de nos modalités de vote qu’à l’absence de campagne électorale ayant empêché les candidats de faire de la communication sur leurs propositions en rapport avec les compétences des collectivités, ainsi qu’au faible développement de la décentralisation (comme le montrent les contre-exemples Outre-mer où la mobilisation est plus forte et les résultats électoraux plus dynamiques qu’en métropole), qu’à des explications plus structurelles des rapports des Français avec le vote (tenant à des considérations générales, à des différences de classe sociale, d’âge, etc.).
Invisibles à défaut de calendrier claire, invisibles à défaut de campagne électorale, invisibles à défaut de décentralisation approfondie, invisibles à défaut d’électeurs, ces élections intermédiaires font ces jours-ci l’actualité… mais ne disparaîtront-elles pas rapidement, une actualité en chassant une autre notamment dans un contexte pré-présidentielle ?
Une invisibilisation au profit d’un quasi statu quo pré-présidentielle ?
Chacun évidemment fera sa propre analyse des résultats des élections d’hier.
Comme on pouvait s’y attendre, ces élections ont profité aux sortants, à défaut de campagne électorale permettant de challenger efficacement leur position. Sur le plan politique, les sortants, de droite comme de gauche, ont été reconduits à quelques exceptions près en Outre-Mer, là où les enjeux sont les plus visibles (La Réunion, la Guyane, la Martinique), ce qui n’est pas de nature à enclencher une dynamique très forte en France métropolitaine.
La droite républicaine s’est maintenu à un haut niveau comme pour les élections municipales, ce qui la consolide, mais elle risque d’entrer dans une zone de turbulence pour faire émerger un champion là où plusieurs peuvent désormais prétendre à l’élection présidentielle. Et cet électorat, s’il a voté ici pour des actions concrètes de terrain, aura-t-il le même avis au niveau national au moment de la présidentielle ? Le risque n’est pas inexistant de voir Emmanuel Macron passer devant, conduisant alors à une alliance au second tour. La bonne santé de la droite républicaine pourrait conduire Emmanuel à poursuivre sa stratégie de décomposition de la droite, la dynamique apparaissant cependant freinée, sauf concernant l’exemple de PACA.
La gauche semble pouvoir se réunir mais plafonne, là où elle n’a pas de sortant, à un tiers des suffrages. Par ailleurs, ces élections régionales n’ont pas permis de départager les différentes forces de gauche, le PS ayant beau jeu de faire valoir qu’il vit encore et a gagné très largement là où il avait des sortants, notamment en Occitanie, et EELV de dire que là où le PS n’avait pas de sortant, elle est arrivée devant et doit alors jouer le rôle de locomotive. Les écologistes ont cependant perdu à ce stade leur pari, par exemple en Pays de la Loire. De ce point de vue, la division peut continuer à régner, alors que l’élection présidentielle ne l’autorise pas au risque de ne pas se retrouver au second tour. Sur ce point, le comportement du PS, le résultat de la primaire écologiste, et la dynamique de la France Insoumise vont peser de tout leur poids dans les mois qui viennent.
LaREM est plus faible qu’il n’était sans doute prévu et elle n’a pas pu jouer au rôle de faiseuses de roi, contrairement sans doute à ses ambitions initiales. C’est donc pour elle un échec. Cependant la ligne était posée de ne pas confondre les élections nationales et locales et tout reste ouvert, les logiques de mobilisation et de présidentialisation pouvant demain conduire à des résultats différents. Il est cependant certain que ce résultat devrait conduire à un changement de stratégie au niveau des états-majors : en l’absence de système partisan solide, il semble peu probable que le chef de l’Etat puisse faire l’économie d’un engagement de lui-même très en amont dans la campagne électorale. Une alerte à ne pas négliger pour Emmanuel Macron, qui pourrait se trouver pris au piège de son faible investissement sur les questions partisanes.
Le grand perdant de la soirée, plus encore que LREM qui peut profiter du statu quo, est le Rassemblement National, qui a marqué une fragilité qu’on ne lui connaissait plus, et n’a pas pu, en PACA, résister au front républicain et malgré la tentative de locomotive électorale par la désignation de Thierry Mariani. Il pourrait cependant tout à fait se remobiliser à mesure que la campagne électorale se rapprochera, le niveau de l’abstention ne permettant pas de tirer des conclusions très fortes de ce scrutin.
Conclusion : la présidentielle commence
Il nous semble que, volontairement ou non, ces élections régionales ont été largement invisibilisées et que, politiquement, elles ont pour effet de ne pas fondamentalement changer la donne du point de vue politique.
Pour le reste, la campagne présidentielle commence. Politiquement. Juridiquement aussi. Depuis la loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République, les comptes de campagne de l’élection commencent ce 1er juillet 2021. Tout un symbole.
Pour le reste, la démocratie, la vraie, en ressort affaiblie. Le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé en la matière des « initiatives ». N’est-il pas déjà trop tard pour l’élection présidentielle, qui se tiendra dans 9 mois ? Nouvelles discussions en vue, encore, alors que tout cela pouvait être anticipé. Un constat bien triste pour notre pays et nos concitoyens qui méritent mieux. Un signe, enfin, qu’il convient aujourd’hui de prendre le droit électoral (très) au sérieux.
Romain Rambaud