Le sujet a déjà été évoqué à plusieurs reprises sur le blog du droit électoral, par exemple par Claire Cuvelier à propos du projet de loi constitutionnelle portant création et organisation politique et institutionnelle de l’État de la Nouvelle‑Calédonie, ou encore par l’auteur de ces lignes lorsque le Conseil constitutionnel a validé le corps électoral gelé dans sa décision n°2025-1163/1167 du 19 septembre 2025 QPC : la question se posait de savoir si les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, qui devaient être organisées au plus tard le 30 novembre 2025, allaient être reportées une nouvelle fois suite aux accords de Bougival de juillet 2025 et si le Conseil constitutitionnel, saisi automatiquement des lois organiques, allait accepter ce troisème report sur le point de la périodicité du suffrage.
Nous avions évoqué cette question par ailleurs dans un article du Club des juristes le 17 octobre 2025, et le Conseil constitutionnel vient de valider l’analyse que nous avions alors faite, dans sa décision n° 2025-897 DC du 6 novembre 2025. Le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie par le Premier Ministre, demandant au Conseil constitutionnel de statuer en urgence. Ce dernier a déclaré cette loi, reportant pour la troisième fois les élections provinciales et pour 25 mois au total, conforme à la Constitution. La loi organique a donc été promulgée aujourd’hui au journal officiel du 7 novembre 2025.
Les élections provinciales avaient déjà été reportées deux fois, par la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (en décembre 2024), jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-864 DC du 11 avril 2024, pour tenir compte de la réforme envisagée du corps électoral, puis par la loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024, au nom de la situation de crise sur l’île. Les élections provinciales devaient en l’état du droit normalement se tenir au plus le 30 novembre 2025. La durée du mandat avait donc déjà été étendue de 18 mois, pour une durée normale de mandat de 5 ans (art. 62 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie).
Il y avait urgence à envisager un troisième report. Une proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025 avait été déposée au Sénat le 13 août 2025, prévoyant de reporter les élections au plus tard le 28 juin 2026. L’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit que « Les électeurs sont convoqués par décret pris après consultation du gouvernement. Le décret est publié au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie quatre semaines au moins avant la date du scrutin ». Sur le plan strictement juridique, au moment de la promulation aujourd’hui de la loi organique le 7 novembre 2025, il était donc déjà trop tard…
Restait à savoir ce qu’en allait en penser le Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle obligatoire des lois organiques, alors qu’il vient de valider le corps électoral gelé des élections provinciales « sans préjudice des modifications qui pourront être apportées aux dispositions transitoires définissant ce corps électoral, dans le cadre du processus d’élaboration de la nouvelle organisation politique prévue au point 5 de l’accord de Nouméa, pour tenir compte des évolutions de la situation démographique de la Nouvelle-Calédonie et atténuer ainsi l’ampleur qu’auront prise avec l’écoulement du temps les dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage » (Cons. const., décision n° 2025-1163/1167 QPC du 19 septembre 2025, § 24, voir article du blog du droit électoral précitée). La difficulté, en la matière, est de réaliser la conciliation entre le principe de périodicité du suffrage, soit une extension de 25 mois en l’espèce, et l’intérêt général de la réforme du corps électoral de l’autre côté, qu’il semble assez difficile de garantir dans le contexte politique actuel, puisqu’elle doit prendre le chemin d’une révision constitutionnelle…
Dans une décision antérieure relative aux membres de l’Assemblée des Français à l’étranger, le Conseil constitutionnel avait accepté une deuxième prolongation de la durée des mandats, de deux ans au total, au nom d’une réforme en cours sans subordonner la prorogation des mandats à l’entrée en vigueur de la réforme en discussion (Cons. const., décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013). Comme nous l’indiquions sur le club des juristes, le Conseil constitutionnel pouvait donc accepter, de manière assez inédite, une triple prolongation sur ce fondement et nous ajoutions « Si cela devait être le cas, il faudrait espérer que ce soit pour la dernière fois ; et de ce point de vue, un obiter dictum ne serait pas de trop… ».
C’est le sens de la décision n° 2025-897 DC du 6 novembre 2025.
Comme classiquement sur ce genre de sujet, le Conseil constitutionnel estime que « Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si le but que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif ». Il estime par ailleurs qu’il existe un intérêt général à ce report : ‘Il résulte des travaux préparatoires de la loi organique déférée qu’en reportant de nouveau le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, le législateur organique a entendu tenir compte de la poursuite des discussions entre les partenaires politiques de l’accord de Nouméa pour parvenir à la conclusion d’un accord qui soit consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, incluant une modification des règles de composition du corps électoral spécial qui aurait vocation à s’appliquer à ces élections. Ce faisant, il a poursuivi un but d’intérêt général’. Implicitement mais très clairement, le Conseil constitutionnel fait référence ici aux accords de Bourgival de juillet 2025 ainsi qu’au projet de loi constitutionnelle portant création et organisation politique et institutionnelle de l’État de la Nouvelle‑Calédonie. Le fait que le Conseil constitutionnel le retienne comme intérêt général n’est guère étonnant, notamment dans la mesure où dans sa décision n° 2025-1163/1167 QPC du 19 septembre 2025, il avait fait référence déjà, voire appelé, à ce processus de réforme (v. supra), qui comprend notamment une modification du corps électoral en vue des élections provinciales (portant la durée de domiciliation à 15 ans seulement, répondant ainsi aux critiques adressées au corps électoral gelé qui exclut désormais 20 % du corps électoral normal en Nouvelle-Calédonie).
On notera cependant ici que le Conseil constitutionnel aurait pu, mais ne l’a pas fait, repris la mention de la décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013 précitée qui avait précisé que « le législateur n’était pas tenu de subordonner la prorogation des mandats à l’entrée en vigueur de la réforme en discussion ». Cela va de soi a fortiori pour ce qui concerne un projet de révision constitutionnelle dont les chances d’adoption peuvent être interrogées au regard du contexte parlementaire actuel… pour le moins.
Le Conseil constitutionnel estime par ailleurs que « En second lieu, si ce troisième report, pour une durée maximale de sept mois, a pour effet de porter à vingt-cinq mois au plus la durée cumulée du report des élections, il revêt, de même que la prorogation des mandats qui l’accompagne, un caractère exceptionnel et transitoire. Dans ces conditions, et compte tenu des circonstances particulières qui ont conduit à l’adoption de la loi déférée, le choix fait par le législateur organique n’est pas manifestement inapproprié à l’objectif qu’il s’est fixé. La durée totale de ce report (…) ne méconnaît pas le principe résultant de l’article 3 de la Constitution selon lequel les citoyens doivent exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable ». Ici aussi, le Conseil constitutionnel pouvait s’appuyer sur la décision n°2013-671 DC du 6 juin 2013 qui avait accepté un double report pour une durée de 24 mois. 25 mois n’est pas si différent de 24 mois, a fortiori au regard des enjeux. De ce point de vue, le fait qu’il s’agisse d’un double ou triple report compte moins que la durée totale de prolongation du mandat. On notera cependant que la validation d’un triple report semble assez inédite.
Néanmoins, le Conseil constitutionnel a posé, non pas une réserve sur la constitutionnalité de la loi examinée, mais un obiter dictum pour l’avenir. Il indique ainsi que « La durée totale de ce report, qui ne saurait être étendue au-delà, ne méconnaît pas le principe résultant de l’article 3 de la Constitution selon lequel les citoyens doivent exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable ». Le Conseil constitutionnel indique donc que l’extension de la durée des mandats ne saurait aller au delà des 25 mois au regard de leur durée initiale. Il est difficile de dire si ces 25 mois constituent un principe général ou, plus probablement, qu’il s’agit là d’une appréciation au regard des circonstances de l’espèce. Et par ailleurs, une jurisprudence du Conseil constitutionnel d’aujourd’hui n’engage pas nécessairement le Conseil constitutionnel de demain. Néanmoins c’est un avertissement : d’après cette jurisprudence, les élections provinciales devront se tenir et être convoquées au plus tard le 28 juin 2026 avec ou sans réforme constitutionnelle, avec ou sans dégel du corps électoral.
A défaut, le Conseil constitutionnel se ferait fort de censurer une loi organique procédant à un quatrième report.
Romain Rambaud
