Déchéance des députés européens : le Conseil d’Etat d’accord avec le Conseil d’Etat [R. Rambaud]

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Dans un arrêt du Conseil d’Etat, M. Matthieu Vieira du 17 octobre 2025, (n°505689), saisi de la question de savoir si le prononcé d’une inéligibilité pénale avec exécution provisoire doit entraîner la déchéance des députés européens, le Conseil d’Etat a répondu par la négative tant que celle-ci ne présente pas un caractère définitif.

La haute juridiction adopte ainsi pour les députés européens la solution posée par le Conseil constitutionnel pour les députés et les sénateurs nationaux, à rebours de la solution applicable pour les élus locaux et les membres du Congrès de Nouvelle-Calédonie (pour ce dernier cas de figure, v. l’article publié par Zérah Brémond sur le présent blog).

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat, juge du Gouvernement, a suivi le Conseil d’Etat, conseiller du Gouvernement. Comme nous l’avions déjà indiqué sur le présent blog, le Conseil d’Etat saisi par le Gouvernement avait déjà plaidé dans son avis du 19 juin 2025, rendu public par le Gouvernement, pour adopter concernant les députés européens la même solution que pour les députés nationaux : une condamnation devenue définitive pour prononcer la déchéance.

Comme nous l’avions déjà écrit, dans cet avis, le Conseil d’Etat admet que l’argumentaire développé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 (nous renvoyons ici également à un précédent article publié sur le blog du droit électoral) pour les députés et sénateurs n’est pas applicable aux députés européens. Il considère ainsi que : « Il constate en second lieu que les fondements, retenus par le juge constitutionnel, de la différence de situation entre les parlementaires nationaux et les élus locaux ne sont pas transposables aux parlementaires européens. En effet, le Conseil constitutionnel juge de manière constante que ni le Parlement européen ni ses membres ne participent à l’exercice de la souveraineté nationale (CC, décision n° 76 71 DC du 30 décembre 1976 ; CC, décision n° 2007 560 DC du 20 décembre 2007). Le Conseil constitutionnel juge en outre que le Parlement européen « n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française » (CC, décision n° 92 308 DC du 9 avril 1992) et que les membres du Parlement européen élus en France « le sont en tant que représentants des citoyens de l’Union européenne résidant en France ». Il en déduit que le Parlement européen « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale » (CC, décision n° 2004 505 DC du 19 novembre 2004, cons. 29).

Dans un second temps cependant, « Il appartient cependant au Conseil d’État de rechercher si les parlementaires européens, sans être placés dans la même situation que les parlementaires nationaux, relèvent, en raison des caractéristiques objectives régissant leur mandat, d’une catégorie distincte de celle des autres mandats nationaux, et appelant une interprétation de la loi exigeant, comme pour les parlementaires nationaux, une condamnation définitive avant toute déchéance ». Il estime alors que le régime des parlementaires européens en matière d’inéligibilités suit en général celui des députés et sénateurs : « Le Conseil d’État observe, d’une part, que les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité des parlementaires européens sont pour l’essentiel les mêmes que celles des parlementaires nationaux (voir point 9), les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 7 juillet 1977 révélant à cet égard que l’intention du législateur était de faire suivre à ces derniers le même régime d’inéligibilités que celui applicable aux députés et aux sénateurs, d’autre part, que, si les textes régissant les conséquences à tirer d’une inéligibilité ne sont pas les mêmes (article L.O. 136 du code électoral pour les parlementaires nationaux et 2e alinéa de l’article 5 de la loi du 7 juillet 1977 pour les parlementaires européens), ils sont rédigés en termes analogues pouvant appeler une lecture identique pour leur application ».

Par ailleurs, il considère que :

– Les parlementaires européens sont représentants des citoyens de l’Union européenne résidant en France (CC, décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003)

– En vertu de l’article 88-1 de la Constitution (CC, décision n° 2007 560 DC du 20 décembre 2007), ils participent au processus législatif lequel est au demeurant articulé par l’article 88-6 de la Constitution avec l’activité du Parlement national, par l’adoption des actes législatifs de l’Union européenne, le plus souvent selon une procédure de codécision avec le Conseil de l’Union européenne, devenue la procédure législative ordinaire depuis le traité de Lisbonne.

– Ils disposent d’importants pouvoirs de contrôle de la Commission européenne, notamment lors de son investiture ou pour l’adoption d’une motion de censure (en prologeant nous-mêmes : de sorte qu’ils exerceraient une sorte de contrôle du Gouvernement)

– Le statut des parlementaires européens tend à les rapprocher de celui des parlementaires nationaux. Les parlementaires européens jouissent de privilèges et immunités spécifiques en vertu du protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des Communautés européennes. En particulier, ils bénéficient sur leur territoire national, pendant la durée des sessions du Parlement européen, des immunités reconnues aux parlementaires nationaux (article 9 protocole du 8 avril 1965) et ils ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinion ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions (article 8 du même protocole, dont les dispositions sont similaires à celles de l’article 26 de la Constitution concernant les parlementaires nationaux).

Au regard de ces éléments, le Conseil d’État estime, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge électoral ou du juge constitutionnel, que le juge électoral saisirait d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la déchéance du mandat d’un représentant au Parlement européen ne peut être prononcée que si la condamnation à une peine d’inéligibilité a acquis un caractère définitif, comme c’est le cas pour les parlementaires nationaux. Il considère en conséquence que le Gouvernement ne peut légalement prendre un décret prononçant la déchéance du mandat d’un parlementaire européen ayant fait l’objet d’une condamnation à une peine d’inéligibilité déclarée exécutoire par provision tant que cette condamnation n’est pas devenue définitive.

Sans surprise, au contentieux, le Conseil d’Etat est tombé d’accord avec le Conseil d’Etat. Sur conclusions conformes de M. Nicolas LABRUNE, par l’arrêt du 17 octobre 2025 répondant à la requête de M. Vieira, le Conseil d’Etat a suivi le Conseil d’Etat : « Cet avis, bien sûr, ne saurait vous lier et il précise d’ailleurs qu’il ne vaut que sous réserve de votre appréciation souveraine. Mais, dans la mesure où les  arguments juridiques sur lesquels il est fondé nous convainquent pleinement, c’est bien la  position retenue par cet avis que nous allons vous proposer de suivre », et en particulier « la seconde série d’arguments, qui tient à la  place qu’occupent les députés européens dans le paysage institutionnel européen, à leurs  missions et à leurs prérogatives ». C’est ainsi que l’arrêt reprend les arguments de l’avis, se contentant d’en inverser l’énumération par ordre d’importance modifié.

Cette solution semble discutable, tant en droit qu’en opportunité. En droit, puisqu’une interprétation stricte de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025 aurait pu conduire à la solution inverse. Cette solution est par ailleurs à mettre en perspective avec la solution rendue pour ce qui concerne les membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2025-1168 QPC du 3 octobre 2025, dans laquelle le Conseil constitutionnel a consacré l’application immédiate de la démission d’office en cas d’inéligibilité prononcée avec exécution par provision, répétant alors son raisonnement de mars 2025 : nous renvoyons encore une foisi ici à l’article de Zérah Brémond.

La solution est également discutable en opportunité. Pour ce qui concerne les élections européennes, qui se déroulent désormais dans une seule circonscription nationale avec des listes comprenant 81 noms (loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen), l’article 24 de la loi de 1977 prévoit que « Le représentant dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit est remplacé par le candidat figurant sur la même liste immédiatement après le dernier candidat devenu représentant conformément à l’ordre de cette liste ». Dans ces conditions, quel enjeu y-a-t-il vraiment à ne pas déclarer la déchéance d’un parlementaire européen condamné avec une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, alors qu’il sera immédiatement remplacé par son suivant de liste, élu en même temps que lui, et alors que les élections européennes suivent des logiques de listes plus que de personnes ? Au contraire la non-application de la déchéance avec exécution proivsoire présente un risque : dans la mesure où leur peine d’inéligibilité avec exécution provisoire aura été effectuée pendant quelques années (le temps de l’appel et du pouvoir en cassation, dont la durée peut être supérieure à la durée de la peine avec exécution provisoire elle-même), il se trouve que certains députés européens pourraient ne jamais être inquiétés. Or cela est sans doute contraire à l’idée de « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants », qui poursuit l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Cons. const., n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025, prec.).

De ce point de vue, l’arrêt Matthieu Vieira du 17 octobre 2025 pourra-t-il un jour être lui-même contesté pour sa constitutionnalité en tant que jurisprudence constante du Conseil d’Etat, comme l’arrêt Simonpieri de 2012 l’a été pour ce qui concernait la démission d’office des conseillers municipaux ? Et question subsidiaire : quelle nouvelle affaire faudra-t-il attendre pour le savoir ?

Romain Rambaud