Nouvelle-Calédonie : le Conseil constitutionnel valide le gel du corps électoral. Quel avenir pour les élections provinciales de novembre 2025 ? [R. Rambaud]

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La décision n° 2025-1163/1167 QPC du 19 septembre 2025 du Conseil constitutionnel, relative à la constitutionnalité du gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie pour les élections provinciales, était particulièrement attendue. En statuant en faveur de la conformité à la Constitution, le Conseil constitutionnel acte du statu quo et ne prendra pas la place des autorités politiques dans la mise en oeuvre de la suite du processus issu accords de Bougival

Comme nous l’avions indiqué sur le présent blog, cette décision résulte de la double transmission par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, par deux arrêts respectivement des 24 et 26 juin 2025. Le Conseil d’Etat a d’abord statué à propos de l’annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait rejeté une demande du 27 décembre 2024 tendant à l’abrogation des dispositions réglementaires du code électoral relatives à l’établissement de la liste électorale spéciale en Nouvelle-Calédonie, et la Cour de cassation ensuite a statué dans un litige concernant les listes électorales. Les requérants soutenaient que les dispositions de la loi de 1999 portent atteinte au droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles restreignent le corps des électeurs appelés à désigner les membres des assemblées de province et du Congrès aux seules personnes inscrites sur une liste électorale spéciale, à l’exclusion de citoyens français durablement installés sur le territoire de Nouvelle-Calédonie. Le Conseil d’État a jugé que cette QPC pouvait être transmise au Conseil constitutionnel. Il a considéré, tout d’abord, qu’il existait sur ce point un changement de circonstances. Ainsi, il estime que si le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, déclaré les articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 relatifs à la Nouvelle-Calédonie conformes à la Constitution, la modification de l’article 77 de la Constitution introduite par la loi constitutionnelle du 23 février 2007 sur le corps électoral des élections provinciales constitue un changement de circonstances de droit de nature à justifier un nouvel examen de ces dispositions par le Conseil constitutionnel. Ensuite, il a jugé la QPC nouvelle sur le fondement de la liberté de suffrage, estimant que « le moyen tiré de ce que les dispositions contestées portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes à valeur constitutionnelle d’universalité du suffrage et d’égalité devant le suffrage, soulève une question présentant un caractère nouveau, le Conseil constitutionnel n’ayant pas fait application à ce jour du dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution ». La Cour de cassation a suivi et a aussi relevé un changement de circonstances de fait pour considérer que le Conseil constitutionnel devait pouvoir prendre un nouvel examen de la question : la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l’élection des membres des assemblées de province et du congrès, passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023, ce qui constitue un changement de circonstances de fait. La Cour de Cassation estime que le point est nouveau parce qu’il n’a pas été tranché, et parce que la question posée fait aujourd’hui l’objet d’un large débat dans la société, en raison, notamment, de l’écoulement du temps depuis les accords de Nouméa et de l’évolution de la démographie sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil constitutionnel a validé ces arguments en examinant la recevabilité de la QPC. Il estime en effet d’une part que depuis la précédente déclaration de conformité, « la loi constitutionnelle du 23 février 2007 mentionnée ci-dessus a complété l’article 77 de la Constitution par un alinéa portant sur la définition du corps électoral restreint appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces », et d’autre part que « En outre, en raison des évolutions démographiques de la Nouvelle-Calédonie, la proportion des électeurs remplissant les conditions pour être inscrits sur les listes électorales qui sont privés de droit de vote pour l’élection au congrès et aux assemblées de province s’est significativement accrue », de sorte qu’il y a en effet à la fois un changement de circonstances de droit et de fait.

Sur le fond, il va se positionner sur le droit de suffrage (article 3 de la Constitution) et sur le principe d’égalité (article 6 de la DDHC). On notera également cette intéressante considération concernant le droit constitutionnel pour les peuples d’Outre-Mer de manifester leur volonté. Selon le Conseil, « Aux termes du Préambule de la Constitution de 1958 : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. / En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». La mise en œuvre des principes de libre détermination des peuples et de libre manifestation de leur volonté, spécifiquement prévus par ces dispositions pour les territoires d’outre-mer, doit permettre, dans le cadre de la Constitution, aux populations intéressées, consultées par les autorités compétentes de la République, de manifester leur volonté ». Ce droit à l’autodétermination est par ailleurs présent aux articles 72 et 73 de la Constitution qui prévoient le consentement des populations intéressées pour des changements de statuts d’Outre-Mer. On notera incidemment qu’il n’est pas garanti en revanche pour la Corse…

Concernant la constitutionnalité du gel du corps électoral, le Conseil constitutionnel l’accepte au nom de dérogations aux principes constitutionnels prévues par le Constituant lui-même. Estimant que « Toutefois, rien ne s’oppose, sous réserve des prescriptions des articles 7, 16 et 89 de la Constitution, à ce que le pouvoir constituant introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans les cas qu’elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur constitutionnelle », il considère que « En application du dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, par lequel le pouvoir constituant a entendu préciser la portée de ces dispositions et qui fixe l’une des dispositions transitoires du Titre XIII de la Constitution afférentes au processus d’émancipation prévu par l’accord de Nouméa, la condition qu’elles prévoient est remplie par les seules personnes ayant établi leur domicile en Nouvelle-Calédonie avant le 8 novembre 1998 et pouvant justifier d’une résidence d’une durée de dix ans en 2008 au plus tard (…) Si les dispositions contestées aboutissent à figer, dans ce cadre transitoire, la composition du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province, sans prendre en compte les évolutions démographiques de la Nouvelle-Calédonie, le gel du corps électoral qui en résulte procède d’une dérogation aux principes d’égalité et d’universalité du suffrage introduite dans le texte de la Constitution par le pouvoir constituant lui-même et à l’application de laquelle il n’a pas fixé de terme ». Dans la mesure où le pouvoir constituant lui-même l’a voulu, le grief d’inconstitutionnalité se voit logiquement rejeté.

Sur ce point on notera au surplus un argument et une réponse particulièrement intéressants. En effet, les requérants demandaient au Conseil constitutionnel de reconnaître que « la dérogation à ces exigences constitutionnelles résultant du dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution serait devenue caduque en raison de l’achèvement du processus initié par l’accord de Nouméa ». Il s’agissait de prendre acte du déroulement des trois référendums d’autodétermination ayant conduit (dans les conditions fort controversées du 3ème que l’on connaît) à rejeter l’idée d’indépendance. En somme, le processus de Nouméa étant terminé, le gel du corps électoral devait se voir automatiquement frappé de caducité. Cet argument a été rejeté par le Conseil constitutionnel, qui estime que le constitutionnel « n’a pas fixé de terme » à la dérogation que constitue le gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie.

En se prononcant de cette manière, le Conseil constitutionnel ne tranche pas, et tant mieux, un débat qui relève du pouvoir politique. Il n’en demeure pas moins que la situation en Nouvelle Calédonie est très incertaine. Les élections provinciales ont déjà été reportée deux fois et devaient se tenir au plus tard le 30 novembre 2025 d’après le calendrier prévu. Qu’en sera-t-il ?

L’accord de Bougival signé en juillet prévoit la création d’un Etat de Nouvelle-Calédonie, via une loi fondamentale. Celle-ci pourra modifier les signes identitaires du pays (nom, drapeau, hymne, devise), inclure un code de la citoyenneté ainsi qu’une charte des valeurs calédoniennes mêlant « valeurs républicaines », « valeurs kanak » et « valeurs océaniennes ». Une nationalité calédonienne viendrait s’ajouter à la nationalité française. D’après cet accord, les élections provinciales devraient être une troisième fois reportées : c’est en sens qu’une proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025 a été déposée au Sénat le 13 août 2025, pour reporter ces élections à juin 2026. D’après cet accord, le Parlement devait quant à lui être réuni en Congrès à Versailles à l’automne pour adopter un projet de loi constitutionnelle, puis le projet serait soumis au vote des Calédoniens dès février 2026 via un référendum local.

Mais tout cela est-il encore possible alors que le Gouvernement est encore démissionnaire ? Il faudrait donc compter sur la seule initiative législative. Le concensus sera-t-il suffisant pour agir dans une telle urgence ? Ce mardi 23 septembre, le Sénat examinera la projet de loi organique visant à reporter les élections provinciales en 2026. Cette loi organique fait l’objet d’une procédure accélérée, pour permettre son entrée en vigueur au plus tard le 2 novembre 2025. En effet, cette date correspond à la limite légale pour publier le décret de convocation des électeurs aux provinciales. Comment le Conseil constitutionnel réagira-t-il face à un troisième report adopté par une loi, notamment dans l’hypothèse où il n’y aurait pas de consensus ?

Par ailleurs, concernant la révision constitutionnelle, si elle résulte d’une proposition de loi constitutionnelle et non d’un projet de loi constitutionnel, pour rappel en vertu de l’article 89 de la Constitution, il faudrait alors un référendum national pour faire valider les évolutions institutionnelles en Nouvelle-Calédonie… Est-ce pertinent ? Il faut espérer que d’ici là, le Gouvernement ne sera plus démissionnaire.

Autant de questions très lourdes pour le territoire qui paie encore les conditions très dégragées de l’organisation du troisième référendum d’autodétermination.

Romain Rambaud