Par sa décision n° 2025-889 DC du 17 juillet 2025, le Conseil constitutionnel a validé la réforme du vote des personnes détenues, laquelle supprime la possibilité de recourir au vote par correspondance pour les élections locales et législatives.
Définitivement adoptée le 4 juin 2025, la loi modifie l’article L. 12-1 du code électoral en écartant cette modalité, pourtant utilisée par 90 % des personnes détenues.
Animé par la volonté de rendre la réforme applicable dès les élections municipales de mars 2026, le législateur a entendu corriger ce qu’il considérait comme une anomalie de la réforme précédente. En effet, en 2019, pour faciliter l’exercice du droit de vote en détention, une disposition avait été introduite à l’article L. 12-1 du code électoral permettant aux personnes détenues de voter depuis l’établissement pénitentiaire, à condition que leur vote soit rattaché à la commune chef-lieu du département d’implantation de l’établissement, et non à leur commune de résidence (ou à celle d’un membre de leur famille). Ce rattachement artificiel a suscité des inquiétudes parmi les maires concernés, notamment ceux des chefs-lieux abritant les plus grands établissements pénitentiaires, craignant une altération significative des résultats des élections locales du fait du vote pénitentiaire.
Par sa décision n° 2025-889 DC du 17 juillet 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution cette régression des droits politiques des personnes détenues, malgré les nombreux griefs soulevés dans la saisine de soixante députés. Ces derniers invoquaient, d’une part, une méconnaissance des principes d’universalité du suffrage et de sincérité du scrutin garantis par l’article 3 de la Constitution, résultant de « l’abstention contrainte » induite par la réforme. S’ils reconnaissaient que le vote par procuration et à l’urne demeurait possible, ils soulignaient toutefois les « difficultés matérielles » concrètes rencontrées par les personnes détenues pour recourir à ces modalités. D’autre part, ils faisaient valoir une rupture d’égalité dans l’exercice du droit de vote au regard du reste du corps électoral, ainsi qu’une atteinte au secret du vote inhérente au recours au vote par procuration.
La réponse du Conseil constitutionnel, comme cela est souvent relevé, se distingue par sa brièveté et son caractère insatisfaisant. Les juges de la rue de Montpensier ont ainsi choisi de privilégier la défense de la loi plutôt que celle des droits politiques des personnes détenues, pourtant protégés par l’article 3 de la Constitution au même titre que ceux de l’ensemble des citoyens. Dès le début de sa motivation, le Conseil rappelle qu’« il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci […] dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (cons. 9). S’inscrivant dans cette logique, le Conseil se contente de relever que les personnes détenues conservent la possibilité de voter par d’autres moyens – procuration ou vote à l’urne – modalités que le législateur de 2019 avait précisément jugées insuffisantes, justifiant alors l’introduction du vote par correspondance.
Le Conseil ne se considère pas compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité du revirement législatif. Le législateur peut même se féliciter du soutien que lui apporte l’analyse constitutionnelle : la suppression du vote par correspondance est en effet présentée comme poursuivant un objectif d’intérêt général, à savoir le rétablissement d’un lien effectif de proximité entre les électeurs et la commune dans laquelle ils sont inscrits (cons. 13). Pourtant, la lecture des travaux préparatoires aurait pu permettre au Conseil de constater que cet objectif, mis en avant par la sénatrice Laure Darcos à l’origine de la proposition de loi, était initialement satisfait par la mise en place du vote par correspondance. Elle aurait également révélé que la véritable raison du recentrage de cette modalité de vote aux seules élections à circonscription unique réside dans l’incapacité reconnue de l’administration pénitentiaire à garantir un déroulement régulier du vote par correspondance. Cette dimension n’est nullement évoquée dans la décision, sinon pour être écartée par la formule classique selon laquelle « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies » (cons. 13).
Surtout, la décision a permis au gouvernement de fonder cette restriction des droits politiques sur le principe constitutionnel de sincérité du scrutin, pourtant rarement invoqué dans les débats parlementaires sur la réforme. Ainsi, la conclusion s’impose au Conseil : loin de constituer une régression, la suppression du vote par correspondance pour les élections locales et législatives serait conforme au principe de sincérité du suffrage.
Une telle jurisprudence, qui reconnaît comme constitutionnelles des atteintes aux droits fondamentaux dès lors qu’elles sont justifiées par des objectifs à valeur constitutionnelle, ouvre une voie à de futures limitations des droits politiques d’une partie du corps électoral. En reconnaissant un objectif d’intérêt général sans interroger la proportionnalité des moyens retenus, le Conseil conforte la marge de manœuvre du législateur au détriment de la protection effective des droits politiques des personnes détenues. Ce faisant, il s’écarte de toute logique d’inclusion civique des personnes détenues.
Claire Cuvelier
Maîtresse de conférences en droit public, UGA, CRJ
