Hier mercredi 9 juillet 2025, dans la matinée, des enquêteurs de la Brigade financière et deux juges d’instruction ont perquisitionné le siège parisien du Rassemblement National (RN), sur mandat dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte il y a environ un an. L’investigation cible des soupçons de financement illégal des campagnes électorales du RN, notamment via des prêts de particuliers dépassant les limites légales, des surfacturations ou des services fictifs facturés aux comptes de campagne.
Cettre perquisition fut assez spéctaculaire puisqu’en environ vingt policiers armés, appuyés par deux magistrats, ont saisi des documents comptables, emails et dossiers relatifs aux campagnes électorales régionales, présidentielle, législative et européenne depuis 2022. L’opération s’inscrit dans un contexte judiciaire déjà chargé, raison pour laquelle le patron du RN, Jordan Bardella, a parlé à ce propos de « harcèlement », après la condamnation définitive du RN dans l’affaire des kits de campagne il y a un an et bien sûr les inéligibilités prononcées dans le contexte du procès des parlementaires européens, dont on beaucoup parlé dans le cadre du présent blog et dans la littérature scientifique.
Pour le président du RN, le RN finance légitimement ses campagnes via des « prêts patriotiques » assumés comme nécessaires au regard du refus des banques traditionnelles de lui accorder des prêts. Il défend la légalité de ces prêts, tout en appelant l’opération de police « spectaculaire et sans précédent » pour un parti d’opposition. On se permettra de rappeler ici que le RN, ou en tout cas le micro-parti Jeanne, avait déjà essayé de faire valoir que les pouvoirs d’enquête de l’administration fiscale étaient contraires à l’article 4 de la Constitution sur la liberté des partis politiques, mais que leur QPC sur ce point avait été rejetée par le Conseil d’Etat (CE, Jeanne, 22 avril 2021, n°449138). Oseront-ils faire de même avec les enquêtes pénales ?
A vrai dire, cette perquisition et plus largement cette enquête ne sont pas du tout une surpise pour ceux qui suivent de prêt ce genre de sujet, et c’est ainsi que nous avions pu par exemple évoqué cette question lors du colloque de la CNCFFP au Conseil constitutionnel portant sur ce sujet dès le mois de janvier dernier.
Sur le plan juridique, le prêt des personnes physiques est possible sauf pour l’élection présidentielle depuis 2001 car en 1995 il y avait eu des problèmes avec des prêts non remboursés par Jacques Cheminade (son compte de campagne ayant été rejeté du fait de ces prêts, considérés comme des dons déguisés). Le cadre légal a été fixé par la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017. Le sujet est technique car les règles varient selon différents paramètres : elles sont un peu différentes si le prêt est fait au bénéfice d’un candidat dans le cadre d’une campagne ou d’un parti et si le taux est inférieur ou supérieur au taux d’intérêt légal, lui-même changeant : 3% en 2021, 8 % en 2024… Par exemple il existe des plafonds quand le taux est inférieur au taux d’intérêt légal (47,5 % du plafond de dépenses pour une campagne, 15000 euros pour un parti) ou des durées maximum (18 mois pour une campagne, 24 mois pour un parti) qui n’existent pas ou sont différents (5 ans de durée de remboursement) quand le taux est supérieur, pour éviter de contourner la législation sur les dons. Raisons pour lesquelles dans son rapport de 2023 la CNCCFP proposait d’instaurer un plafond, par ex. 10000 euros pour les candidats et 50000 euros pour les partis dans ce genre de cas.
Dans tous les cas, ces prêts sont possibles « dès lors que ces prêts ne sont pas effectués à titre habituel », soit selon la CNCCFP, 5 prêts pour un montant égal ou supérieur à 75000 euros (par ex. rapport CNCCFP 2024, p. 77). Cependant il s’agit d’une définition administrative établie par la CNCCFP, et non juridictionnelle ou légale à ce stade, donc cette définition pourrait être contestée en justice. Ce que fera sans aucun doute le RN dans le cadre des procédures à suivre, sur le fond et pourquoi par le biais de QPC qui pourraient remettre en cause une incompétence négative du législateur en la matière, ou encore pourquoi pas contre le « droit souple » ainsi dégagé par la CNCCFP.
Sur ce point, le projet de loi pour la confiance dans la vie politique contenait déjà cette diposition faisant référence à la notion de « titre habituel » : selon l’étude d’impact « cette disposition légale tient compte de l’esprit général de la législation, éclairé par un l’avis du Conseil d’Etat du 9 février 2017 (Avis de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat du 9 février 2017, n° 392602), qui rappellait les limites du recours aux prêts résultant de l’interdiction faite à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel déjà prévues par le code monétaire et financier ». En effet l’article L. 511-5 du code monétaire et financier interdit aux personnes autres que des établissement de crédit ou des sociétés de financement d’effectuer à titre habituel des opérations de crédit. En quelque sorte, la loi pour la confiance dans la vie politique n’a fait que reprendre ce principe général du code monétaire et financier, pour l’appliquer à la législation électorale.
Mais alors, le droit positif sur cette notion d’habitude à ce stade ne relève que des solutions sur la réglementaire bancaire. La loi étant muette sur ce point, la Cour de cassation est venue préciser cette question. Certaines jurisprudences pénales indiquent que cette notion « d’habitude » débute généralement à partir du second acte (Crim. 24 mars 1944 : D. 1944. 75; Crim. 5 févr. 2003, no 01-87.052) mais en réalité en matière d’exercice illégal de la profession de banquier, les magistrats se sont démarqués de cette solution en exigeant que les opérations bancaires, et notamment l’octroi de crédits, aient été réalisées auprès de plusieurs personnes. Ainsi, le seul fait de constater que le prévenu a consenti plusieurs prêts successifs à une même société ne permet pas de retenir le caractère habituel de cet acte au sens du code monétaire et financier (Crim. 2 mai 1994, no 93-83.512 ; Com. 3 déc. 2002, no 00-16.957 P ; Com. 30 juin 2015, no 14-14.443). Une décision de la cour d’appel de Paris juge que le caractère habituel des opérations de banque effectuées par des personnes non agréées suppose «la recherche de clientèle» et l’incrimination étudiée «a pour objet de réprimer les prêteurs d’habitude se présentant comme des professionnels auprès de plusieurs emprunteurs éventuels» (Paris, 26 juin 1995, Rev. dr. bancaire 1996. 233, obs. Crédot et Gérard.).
Mais cette définition de la notion d’habitude au sens du code monétaire et financier sera-t-elle en tant que telle applicable en matière électorale ? On peut en douter, et on peut penser que la législation électorale pourrait avoir sa propre définition…
Concernant les sanctions, il existe seulement la possibilité de saisir le Parquet si la CNCCFP des doutes ou que le candidat ne justifie pas le remboursement, avec à la clé 3 ans de prison et 45000 euros d’amende. Et il se trouve que la CNCCFP avait déjà indiqué avoir fait des signalements concernant précisément le RN.
En effet, la situation de ce parti est très connue et depuis longtemps concernant les prêts des personnes physiques. Dès 2019, le financement de la campagne électorale européenne de 2019 s’était faite très largement par le biais des prêts des personnes physiques pour un montant de 4,08 millions d’euros pour M. Jordan BARDELLA. Dans son rapport de 2024, la CNCCFP note pour l’élection européenne de M. Bardella un financement à hauteur de 4470212 euros, soit 87.58 % des recettes ! Concernant les partis politiques, deux partis concentrent 98 % des prêts effectués auprès des personnes physiques pour l’exercice 2022 : le RN et Reconquête. En 2023, le RN concentre à lui seul 87 % de ces prêts ! Le prêt par des personnes physiques sest donc bien une spécialité du RN.
Ceci apparaît particulièrement suprenant à partir de 2023, date depuis laquelle le RN bénéficie de larges subsides de l’Etat en raison de ses résultats aux élections législatives de 2022 (et 2024…) et de son nombre de parlementaires. Mais cela est sans doute un signe aussi que ce système est assez institutionnalisé au RN, qui a l’habitude il est vrai de ce genre de montages financiers, qui auparavant se faisaient plutôt entre partis politiques. Il ne serait donc guère étonnant qu’il y ait des retards dans le remboursement des prêts ou que certains prêts ne remplissent pas les conditions légales…
Mais d’autres soucis encore plus graves pourraient potentiellement émerger sur cette question des prêts par des personnes physiques. Ainsi par exemple, dans le contexte dystopique muskien qui est le nôtre aujourd’hui, qui pourrait penser qu’il serait impossible que des personnes étrangères aient envie de financier la vie politique française, et le RN en particulier ? Or, à la différence des dons, et comme l’a souligné la CNCCFP dans ses rapports et en dernière analyse comme l’a relevé la commiission d’enquête sur l’organisation des élections, il n’existe pas de condition explicite de nationalité française ou de résidence française pour les dons…
Le pire est donc peut-être devant nous.
A ce propos, vous pourrez retrouver ici et ci-dessous le sujet réalisé sur cette question par France 2 avec notre brève intervention.
Romain Rambaud
