Le Conseil constitutionnel rendra publique demain sa décision n°2025-1129 QPC. Elle concerne la constitutionnalité de la jurisprudence du Conseil d’Etat consacrant la démission d’office des élus locaux frappés d’une inéligibilité avec exécution provisoire. Certains estiment, à tort ou à raison, qu’elle pourrait avoir un enjeu bien plus large allant jusqu’à avoir un impact sur une éventuelle exécution provisoire d’inéligibilité pour Marine Le Pen et sa candidature à l’élection présidentielle. Analyse ci-dessous des enjeux de cette décision.
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Initialement, le litige prend sa source dans la condamnation par un jugement du 25 juin 2024 du tribunal correctionnel de Mamoudzou de M. S, à deux ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis, à une amende de 50 000 euros et aux peines complémentaires, assorties de l’exécution provisoire, d’interdiction d’exercer une fonction publique, pour une durée de deux ans, et d’inéligibilité, pour une durée de quatre ans.
Par un arrêté du 27 juin 2024, le préfet de Mayotte, en application de l’article L. 236 du code électoral, a déclaré l’intéressé démissionnaire d’office de ses mandats de conseiller municipal de la commune de Dembéni et de conseiller communautaire de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou. M. S a ensuite, en application des articles L. 249 et L. 250 du code électoral, introduit un recours contre cette décision de démission d’office. Le TA de Mayotte ayant omis de se prononcer dans le délai de deux mois prescrit par l’article R. 120 du code électoral, le litige a été porté devant le Conseil d’Etat en application de l’article R. 121 du code électoral. C’est donc à cette occasion, dans le cadre du recours introduit devant la juridiction administrative contre sa démission d’office, que M. S a soulevé une QPC, contestant la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées du 1° de l’article L. 230 et de l’article L. 236 du code électoral, « telles qu’interprétées par le Conseil d’Etat », comme l’indique l’arrêt de renvoi du Conseil d’Etat (CE, 27 décembre 2024, n°498271). C’est cette QPC qui est examinée par le Conseil constitutionnel dans l’affaire n°2025-1129 QPC.
Le renvoi de la jurisprudence constante du Conseil d’Etat en matière de démission d’office en cas d’inéligibilité prononcée avec exécution provisoire
Ce sont donc moins les articles L. 230 et L. 236 du code électoral qui sont contestés que l’interprétation constate faite par le Conseil d’Etat de l’article L. 236.
L’article L. 236 du code électoral dispose que « Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250. Lorsqu’un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l’acte de notification du préfet n’est pas suspensif ». Le Conseil d’Etat a sur cette disposition une jurisprudence constante pouvant faire l’objet d’une QPC, puisque par l’intermédiaire de la QPC « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative » dès lors que cette jurisprudence est cella de la juridiction suprême compétente (Cons. const., n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010) si l’inconstitutionnalité alléguée procède bien de cette interprétation (Cons. Const., n°2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020).
Cette jurisprudence constante résulte en l’espèce d’un arrêt du Conseil d’Etat du 20 juin 2012 (CE, n°356865). Dans cet arrêt, il a estimé que des dispositions combinées des art. L. 230 et L. 236 du code électoral (et de l’art. L. 5211-7, II CGCT) résulte la solution suivante : « dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d’office ». [nous soulignons]. Il en déduisait ainsi que si un tribunal correctionnel a décidé vis-à-vis d’un élu, en application de l’art. 471, al. 4 du code de procédure pénale, de l’exécution par provision de la peine complémentaire de privation des droits électoraux et d’éligibilité, c’est à bon droit que le préfet constate que ce dernier est privé du droit électoral et, ,en application de l’art. L. 236 du code électoral, le déclare immédiatement démissionnaire de ses mandats locaux. Cette jurisprudence a par la suite été confirmée à plusieurs reprises, en matière d’élections politiques, en 2013 (CE, 20 nov. 2013, n°367600), en 2019 (CE, 20 dec. 2019, Elections municipales de Papara, n° 432078), en 2022 (CE, 14 avril 2022, n°456540) et encore en dernière analyse en 2024 (CE, 29 mai 2024, n°492285) : dans cette dernière affaire relative à la démission d’office d’une élue toulousaine condamnée avec exécution par provision, il avait réaffirmé sa solution dans les mêmes termes. Cette solution a même été appliquée au-delà du champ des élections (pour sa transposition au cas d’un secrétaire général de chambre des métiers et de l’artisanat, CE, 10 dec. 2020, Chambre des métiers et de l’artisanat des Vosges, n°437034).
Des QPC contre l’exécution provisoire de l’inéligibilité et la démission d’office non transmises jusqu’ici
Il faut noter que, à de nombreuses reprises déjà, il avait été tenté de remettre en cause cette solution par l’intermédiaire de questions prioritaires de constitutionnalité, sans succès jusqu’ici. C’est la 1ère fois que le Conseil d’Etat accepte donc de transmettre sa propre jurisprudence sur ce point.
Dans la décision du 20 juin 2012 (CE, 20 juin 2012, n°356865), le Conseil d’Etat avait déjà refusé de transmettre une QPC. Celle-ci consistait à transmettre la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale, relatif à l’exécution provisoire. Mais le Conseil d’Etat a jugé ici que, dès lors qu’il n’est pas possible de contester devant le juge électoral la régularité ou le bien-fondé de la décision par laquelle la juridiction judiciaire a prononcé une sanction pénale et a décidé son exécution provisoire en application des dispositions du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale, ces dispositions ne peuvent être regardées comme applicables au litige dont le juge administratif était saisi, au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Il a donc estimé que « sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ».
Plus tard, dans un arrêt du 10 janvier 2024, la Cour de Cassation a refusé de transmettre une question dirigée contre l’article L. 236 du code électoral, en jugeant qu’il ne portait pas atteinte aux principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines (Cass., Crim., 10 janvier 2024, n°C2400110). La Cour de cassation a alors estimé que « 5. En application de l’article L. 230 du code électoral, une personne privée du droit électoral ne peut être conseiller municipal. L’article L. 236 du même code prévoit que, lorsqu’un conseiller municipal est condamné pénalement, par une décision définitive, à une peine d’inéligibilité, ce qui entraîne la perte de son droit électoral, le préfet doit le déclarer démissionnaire d’office. Cette mesure, qui n’est que la conséquence directe de la disparition d’une condition pour être élu conseiller municipal, ne constitue ni une peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition au sens de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. 6. Les griefs tirés de la méconnaissance des principes qui résultent de cet article sont donc inopérants ». Elle a confirmé sa position en décembre 2024 (Cass. crim., 18 décembre 2024, n° 24-83.556).
Dans la décision du 29 mai 2024, le Conseil d’Etat avait considéré la QPC comme n’étant ni sérieuse, ni nouvelle. Dans le cas d’espèce, la requérante soutenait que l’article L. 236 du code électoral, tel qu’interprété par le Conseil d’Etat était contraire au droit d’une part au respect de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et d’autre part au droit à un recours juridictionnel effectif résultant de son article 16. Les deux moyens ont été écartés.
D’une part, concernant la présomption d’innocence, il a estimé que « les dispositions contestées de l’article L. 236 du code électoral n’ont pas pour effet de présumer coupable d’une infraction le conseiller municipal déclaré démissionnaire d’office par le préfet par suite de sa privation du droit électoral, dès lors que, lorsque son inéligibilité résulte d’une condamnation, celle-ci a déjà été prononcée par le juge répressif, y compris lorsqu’une telle condamnation n’est pas définitive et a été déclarée exécutoire par provision ». Ce faisant, le Conseil d’Etat a rendu la même solution que la Cour de cassation : celle-ci a en effet admis à de multiples reprises que l’exécution provisoire d’une peine complémentaire ne méconnait pas la présomption d’innocence dès lors que cette mesure s’attache à une peine prononcée par la juridiction répressive après que celle-ci a décidé que la culpabilité du prévenu était légalement établie (Cass. crim., 10 janv. 1996, n° 95-83.381 ; Cass. crim., 4 avr. 2018, n° 17-84.577 ; Cass., Crim., Cour de Cassation, 26 juin 2001, 00-86.823 ; Cass., Crim. 21 septembre 2022, n° 22-82.377).
D’autre part, concernant le droit à un recours effectif, le Conseil d’Etat a estimé que « Le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif » (v. décisions n°2011-203 QPC, 2014-375 QPC, n° 2015-500 QPC, n° 2016-583/584/585/586 QPC, n° 2016- 01 QPC), et a constaté que « les dispositions de l’article 236 du code électoral, y compris lorsqu’il en est fait application à la suite d’une condamnation déclarée exécutoire par provision, sont par elles-mêmes sans incidence sur la faculté, pour le conseiller municipal ainsi déclaré démissionnaire d’office, de porter devant le juge administratif toute contestation dirigé contre l’arrêté par lequel il a été déclaré démissionnaire d’office ainsi que, en tout état de cause, devant le juge judiciaire pour contester la décision le condamnant à une peine complémentaire de privation de son éligibilité. Par suite, ces dispositions ne peuvent être regardées comme méconnaissant le droit à un recours juridictionnel effectif garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Il existerait donc des recours effectifs, devant le juge administratif et devant le juge judiciaire, l’absence de voie de recours suspensive en cas d’exécution provisoire n’étant pas par elle-même, selon le Conseil d’Etat ici, contraire au droit à un recours effectif. Là aussi, la Cour de cassation a rendu la même solution, ayant refusé en matière d’exécution provisoire de transmettre une QPC considérant que « Enfin, le caractère non suspensif du recours, lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, assure une juste conciliation entre, d’une part, les principes et droits invoqués par le demandeur, d’autre part, les objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice » (Cass., Crim. 21 septembre 2022, n° 22-82.377 ; v. auparavant Cass. crim., 23 août 2017, n°17-80.459).
Les raisons sérieuses de la transmission au Conseil constitutionnel de l’examen des conséquences de l’exécution provisoire de l’inéligibilité sur la démission d’office
C’est donc la première fois que le Conseil d’Etat accepte ici de transmettre au Conseil constitutionnel l’examen de sa propre jurisprudence sur la question, et au-delà que la question de l’exécution provisoire pourrait être examinée par rapport à l’inéligibilité en général.
Dans sa décision de renvoi du 27 décembre 2024 (n°498271), le Conseil d’Etat accepte de renvoyer la demande. Il ne s’agit pas ici de renvoyer sur la question de la présomption d’innocence ou du droit à un recours effectif, qui ont été écartés par les décisions précédentes, mais sur le fondement d’une liberté fondamentale de nature civile, le droit d’éligibilité. Ainsi que l’indique le Conseil d’Etat, il résulte de l’article 3 de la Constitution notamment que « si le législateur est compétent, en vertu du septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de ces dispositions que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Cette formulation est la reprise d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel relative au droit constitutionnel à l’éligibilité, lequel peut être protégé par l’intermédiaire de l’article 61-1 de la QPC (Cons. const., n°2012-230 QPC, 6 avril 2012 ; Cons. const., n°2013-326 QPC, 5 juillet 2013 ; Cons. const., n°2014-4909 SEN, 23 janvier 2015).
Le Conseil d’Etat estime ici que « Le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’éligibilité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ».
La lecture des conclusions du rapporteur public sur cette affaire, Madame Céline GUIBE, apporte des éclairages sur la raison pour laquelle cette QPC a cette fois été transmise, et qui ont été jugées sérieuses par le Conseil d’Etat qui a finalement accepté de transmettre.
Une première question se pose concernant l’absence de caractère suspensif dans ce cas. Certes, lorsqu’un recours contre l’arrêté de démission d’office est introduit, celui-ci est suspensif dans l’hypothèse d’une exécution provisoire de l’inéligibilité (CE, 9 mai 2007, Mme B…, n° 291932 ; 14 avril 2022, M. M… n°456540). Cependant ce caractère suspensif est totalement fictif, car le juge administratif, en raison des délais resserrés de la matière électorale, se prononce toujours avant le juge pénal d’appel. L’absence de caractère suspensif effectif d’un recours contre l’exécution provisoire, appliquée à un élu démissionné d’office voire en général, est-il susceptible de poser un problème ?
Le Conseil d’Etat a rejeté ce point en 2024 (v. supra). Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé à de rares occasions que l’absence de caractère suspensif pouvait poser un problème d’atteinte au droit à un recours effectif quand celui-ci se combinait avec l’absence d’autres garanties procédurales, telles que l’existence d’une procédure contradictoire (Cons. const., n° 2011-203 QPC, 2014-375 QPC, n° 2015-500 QPC, n° 2016-583/584/585/586 QPC) mais aussi à condition que la décision qui fait l’objet d’un recours ne porte pas, en raison de ses effets irrémédiables, atteinte à un droit protégé : le caractère suspensif a ainsi été souligné en matière d’atteinte du droit à la vie (Cons. const., n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017) et, donnant lieu à censure, en matière d’exigence propres de la justice pénal des mineurs (CC, 2016-601 QPC, 9 décembre 2016) : « En revanche, l’exécution provisoire d’une peine d’emprisonnement sans sursis prononcée à l’encontre d’un mineur, alors que celui-ci comparaît libre devant le tribunal pour enfants, entraîne son incarcération immédiate à l’issue de l’audience, y compris en cas d’appel. Elle le prive ainsi du caractère suspensif du recours et de la possibilité d’obtenir, avant le début d’exécution de sa condamnation, diverses mesures d’aménagement de sa peine, en application de l’article 723-15 du code de procédure pénale. En conséquence, en permettant l’exécution provisoire de toute condamnation à une peine d’emprisonnement prononcée par un tribunal pour enfants, quel que soit son quantum et alors même que le mineur ne fait pas déjà l’objet au moment de sa condamnation d’une mesure de détention dans le cadre de l’affaire pour laquelle il est jugé ou pour une autre cause, les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs ».
Serait-il possible d’appliquer cette idée au droit à l’éligibilité concernant un mandat en cours, d’une part parce qu’aujourd’hui l’inéligibilité est obligatoire sauf décision contraire du juge sur un grand nombre d’infractions (loi de 2017), et parce qu’en matière d’exécution provisoire, il n’existe pas d’obligation de motivation (Crim. 19 avril 2023, n° 22-83.355) de sorte que le contradictoire ne serait pas véritablement respecté, et parce qu’il y aurait atteinte à un droit protégé parce qu’un élu aurait perdu son mandant alors que la possibilité même pour lui de le récupérer a posteriori est incertaine (v. contra mais c’est débattu, Réponse du ministre de l’intérieur à la question de M. Masson, sénateur, publiée dans JO Sénat du 31/08/2023 p. 5198), voire au droit à l’éligibilité tout court (pour ce qui concerne l’hypothèse où la solution pourrait avoir un impact sur Marine Le Pen, v. infra) ?
La deuxième question est liée au fait que la solution est différente pour ce qui concerne les mandats parlementaires. Depuis toujours, le Conseil constitutionnel prononce la déchéance du député ou du sénateur quand la condamnation est définitive (60-1 D, 12 mai 1960 ; 61-2 D, 18 juillet 1961 ; 64-3 D, 17 mars 1964 ; 2001-13 D, 16 janvier 2001). Le Conseil constitutionnel n’a pas changé sa jurisprudence en cas d’exécution provisoire d’une inéligibilité. En 2009, il a considéré qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article L.O. 136 du code électoral d’une requête du ministre de la justice, de constater la déchéance d’un parlementaire de son mandat du fait d’une inéligibilité assortie de l’exécution provisoire dès lors que cette condamnation n’est pas devenue définitive, prononçant alors un sursis à statuer jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation (Cons. const., 2009-21S D, 22 octobre 2009). En 2021, il a considéré qu’il « résulte de l’article 506 du code de procédure pénale qu’il est sursis à l’exécution du jugement du tribunal judiciaire pendant les délais et durant l’instance d’appel », le Conseil constitutionnel estimant que « Dès lors, l’exécution provisoire de la sanction privant M. G de son droit d’éligibilité est sans effet sur le mandat parlementaire en cours, dont la poursuite dépend de la seule exécution du jugement. Il s’ensuit que, en l’absence de condamnation définitive à ce jour, la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à la constatation de la déchéance de plein droit de M. G. de sa qualité de membre du Sénat est irrecevable et doit donc être rejetée. Il appartiendra aux autorités mentionnées à l’article L.O. 136 du code électoral de saisir le Conseil constitutionnel en cas de condamnation devenue définitive ». (Cons. const., n°2021-26 D, 23 novembre 2021). Cette solution a été confirmée en 2022 (Cons. const., n° 2022-27 D du 16 juin 2022). Alors qu’une telle solution semblait jusqu’ici justifiée par la nature spécifique du mandat parlementaire, le Conseil constitutionnel pourrait-il étendre cette règle aux élus locaux ? Se pose auss ici une question relative au respect du principe d’égalité : existe-t-il une différence de situation entre parlementaires et juges locaux de nature à justifier la décision ?
En général, lorsque le Conseil constitutionnel examine l’interprétation constante d’une cour suprême, et hors incompétence négative, il remet en cause la jurisprudence par une réserve d’interprétation plutôt que d’abroger complètement l’article en question (Commentaire de la CC, décis. n° 2013-340 QPC). Le Conseil constitutionnel pourrait alors substituer son interprétation à celle du Conseil d’Etat, pour ce qui concerne la situation spécifique des élus. Mais serait-il possible d’aller plus loin ?
La décision du Conseil constitutionnel pourrait-elle aller au-delà et avoir un impact sur le statut des candidats et, le cas échéant, sur la candidature de Marine Le Pen ?
De façon très exagérée, il est devenu courant de nommer cette QPC la « QPC Le Pen ». En effet, comme nous l’avons déjà dit ici, on lui prête, à tort ou à raison, le fait qu’elle pourrait avoir un effet sur Mme Le Pen dont on attend le jugement et aussi la question de savoir si les juges lui appliqueront une peine d’inéligibilité et avec exécution provisoire ou non (voir sur ce point le présent article du blog du droit électoral).
A tort d’abord, parce que les articles L. 230 et L. 236 du code électoral ne concernent pas directement l’élection présidentielle : la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel ne les cite pas. Ce qui concerne Marine Le Pen est bien davantage l’article L. 199 du code électoral, rendu applicable à l’élection présidentielle par la loi de 1962, qui dispose : « Sont inéligibles les personnes désignées à l’article L. 6 et celles privées de leur droit d’éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation ».
A tort ensuite, parce que la situation de Mme Le Pen est assez différente de celle de l’article d’espèce, qui parle de l’article L. 236 du code électoral, qui concerne les élus en cours de mandat et qui sont frappés d’une peine d’inéligibilité. On peut rappeler ici la décision de renvoi du Conseil d’Etat : « Le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’éligibilité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ». Il y a bien ici une référence expresse aux élus… et non à toutes les personnes en général.
Situation totalement différente de celle de Mme Le Pen qui pourrait se voir empêchée d’être candidate à l’élection présidentielle, ce qui n’est pas du tout la configuration de l’article dont la constitutionnalité est contestée. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà jugé qu’une personne privée de son droit d’éligibilité par une décision judiciaire ne pouvait voir sa candidature à la présidence de la République retenue : en conséquence, la réclamation par laquelle l’intéressé conteste son exclusion de la liste des candidats ne peut qu’être rejetée. (Cons. const, n°74- 26 PDR, 21 avril 1974). On ne peut donc pas dire que la décision du Conseil constitutionnel aurait un impact direct sur la situation de Marine Le Pen ipso facto : il faudrait que le Conseil constitutionnel s’écarte de la question posée, ce qui au demeurant juridiquement c’est pas la voie la plus naturelle.
De façon plus générale encore, le Conseil constitutionnel n’est pas saisi de la constitutionnalité de l’exécution provisoire en elle-même.
A raison cependant, dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel déciderait dans le cadre de cette affaire, par une sorte d‘obiter dictum, de poser un principe plus général. Si le législateur ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de ces dispositions que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur, est-ce que cela signifie que, pour être privé de son droit d’éligibilité pour un élu en cours de mandat, mais aussi y compris de façon beaucoup plus générale dans le cadre d’une candidature à une élection seulement, cette privation doit être devenue absolument définitive et que l’exécution provisoire est impossible dans ce cas de figure, même s’il s’agit de poursuivre l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive (Crim. 23 août 2017, n° 17-80.459) ? On peut penser que le Conseil constitutionnel serait enclin à répondre de façon stricte à la question qui lui est posée, mais on ne peut pour autant dire avec certitude qu’il n’irait pas plus loin. S’il estime de façon extrêmement générale que l’exécution provisoire pose des problèmes en matière d’éligibilité, faut-il l’entourer de plus amples garanties et si lesquelles ? Et si le Conseil constitutionnel décidait d’aller aussi loin dans son analyse, que déciderait-il ? Ferait-il une réserve d’interprétation ? Procéderait-il à une injonction plus large pour apporter des corrections ? Quel serait le champ attendu de celles-ci ? Et le sens de ces injonctions aurait-il finalement un impact sur la solution du jugement attendue pour Marine Le Pen pour ce lundi… 31 mars 2025 ?
La décision du Conseil constitutionnel est attendue pour demain vendredi 28 mars 2025.
Romain Rambaud
