« Fausse-Vraie QPC Le Pen » : le Conseil constitutionnel valide la démission d’office des élus locaux en cas d’inéligibilité avec exécution provisoire… en prononçant une réserve d’interprétation favorable à Marine Le Pen pour le jugement attendu lundi prochain ! [R. Rambaud]

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« 15. En second lieu, d’une part, la démission d’office ne peut intervenir qu’en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité expressément prononcée par le juge pénal, à qui il revient d’en moduler la durée. Celui-ci peut, en considération des circonstances propres à chaque espèce, décider de ne pas la prononcer.

16. D’autre part, le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation.

17. Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.

18. Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté ».

La décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 n’est pas une QPC Le Pen, mais le Conseil constitutionnel a quand même décidé finalement de faire une réserve d’interprétation qui pourrait avoir un impact sur le jugement de Marine Le Pen de lundi prochain.

Pour la contextualisation de la décision, nous renvoyons à notre article précédent. On se contentera ici de l’analyse de la décision qui vient d’être rendue publique.

Au delà de la question posée ? La réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel sur l’office du juge pénal dans le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité avec exécution provisoire

Certes, dans le premier paragraphe de la décision, le Conseil constitutionnel pose que « La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi, pour celle des dispositions dont la rédaction n’a pas été précisée, du 1 ° de l’article L. 230 du code électoral dans sa rédaction résultant de la loi du 11 octobre 2013 mentionnée ci-dessus. ». On pourrait en déduire une volonté de sa part de restreindre le sujet à la QPC posée de la démission d’office des élus locaux. Pourtant dans le même temps, il a posé plus bas dans sa décision une réserve d’interprétation rédigée de façon assez large qui pourrait avoir un impact sur le raisonnement porté par les juges, plus généralement, concernant Marine Le Pen.

En effet, dans son examen du dispositif au regard du principe constitutionnel d’éligibilité, dans les § 15 et s. de sa décision, il prend la peine d’examiner jsuq’à l’office du juge pénal (alors qu’il n’était pas directement saisi de la question même si elle peut entrer dans le cadre d’analyse) et de poser une réserve d’interprétation concernant le prononcé de la peine d’inéligibilité et l’exécution provisoire.

Il indique ainsi que :

Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.

Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté ».

§ 17 et 18 de la décision

Ce point pourrait avoir un effet concernant Marine Le Pen. En effet, il obligerait le juge pénal rendant sa décision lundi prochain à apprécier la portée du prononcé d’une peine d’inéligibilité et d’une exécution provisoire sur la liberté de l’électeur et la « préservation de la liberté de l’électeur » (v. par ex. pour le principe constitutionnel la décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012), et donc sur l’élection présidentielle. Dans un tel cas de figure, cela pourrait être interprété par certains comme indiquant que le juge pénal ne devrait pas prononcer une telle peine et/ou une telle exécution provisoire au regard de son impact potentiel sur la liberté de l’électeur pour la prochaine élection présidentielle. On notera aussi que le Conseil constitutionnel précise, comme classiquement, que le juge pénal peut moduler la durée de la peine d’inéligibilité, laissant supposer là aussi, comme on avait pu le suggérer sur le présent blog et dans la presse, qu’une peine d’inéligibilité pourrait être prononcée contre Marine Le Pen mais d’une durée non suffisante pour l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel pose assez clairement une réserve d’interprétation favorable à Marine Le Pen dans le cadre de son jugement de lundi prochain, et cela apparaît d’autant plus remarquable qu’il n’était pas saisi totalement directement de cette question. On ne peut connaître l’intention ici du Conseil : simple rappel du principe de proportionnalité ou volonté de se positionner par rapport aux échéances à venir. En tout état de cause, une telle réserve d’interprétation, exprimée aussi généralement, ne saurait être défavorable à Marine Le Pen dans la perspective du jugement de la semaine prochaine.

Au delà, et alors même que la Cour de cassation a refusé jusqu’ici de transmettre des QPC portant sur l’exécution provisoire, cela pourrait peut-être la conduire à nuancer sa position en matière d’éligibilité, notamment quand elle estime que celle-ci n’a pas être motivée (v. notre article précédent). Une faculté offerte aussi le cas échéant à Marine Le Pen dans la suite de la procédure pénale.

Reste à savoir ce que le juge pénal en fera : non prononcé par exception de l’inéligibilité ? Prononcé d’une inéligibilité mais d’une durée permettant à Marine Le Pen de se présenter malgré tout à l’élection présidentielle (solution qui aurait la préférence de l’auteur de ces lignes, si elle est coupable, comme on a déjà pu l’écrire sur ce blog) ? Exécution provisoire ou non de la peine ? L’examen de la proportionnalité devra être réalisé par le juge du fond mais il ne devrait pas pouvoir en faire l’économie.

La validation de la démission d’office avec exécution provisoire des élus locaux

Pour le reste, le Conseil constitutionnel répond à la question directement posée en validant le dispositif de la démission d’office des élus locaux en cas de peine complémentaire d’inéligibilité avec exécution provisoire, considérant que la différence de situation existant vis-à-vis des mandats parlementaires est justifiée par la nature du mandant, en rapport direct avec la Souveraineté nationale.

Il estime tout d’abord que ces dispositions « visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive » et que « Ce faisant, d’une part, elles mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ». Il s’inscrit donc dans la lignée de sa jurisprudence depuis la loi pour la transparence de la vie publique.

Sur le plan du principe d’égalité, le Conseil constitutionnel assume la différence de traitement ainsi faite entre les élus locaux et les parlementaires, en raison de la différence de situation liée à la nature du mandat parlementaire (v. notre article précédent sur ce blog concernant ce sujet). Le Conseil constitutionnel indique ainsi que « Le principe d’égalité, garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit« , considérant que la « différence de traitement entre les membres du Parlement et les conseillers municipaux quant aux effets, sur l’exercice d’un mandat en cours, d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision », est justifiée par cette différence de situation. Pour le Conseil constitutionnel, « en vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement » et « Dès lors, au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux », considérant alors que « la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi ».

Concernant l’atteinte au recours effectif, le Conseil constitutionnel rejette l’argument estimant d’une part que la démission d’office n’a pas d’incidence sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation et au surplus, d’autre part, que l’intéressé peut former contre l’arrêté prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence constante du Conseil d’État que cette réclamation a pour effet de suspendre l’exécution de l’arrêté, sauf en cas de démission d’office notifiée à la suite d’une condamnation pénale définitive. Sur ce point, la décision semble plus discutable en raison de la différence de calendrier entre les juridictions administratives et pénales…

Que faut-il en penser au fond ?

On indiquera ici quelques éléments au fond.

Tout d’abord, la différence de situation ainsi créée entre les parlementaires et les élus locaux est sévère pour ces derniers mais elle est logique du point de vue institutionnel, la nature du mandat parlementaire étant fondamentalement différente de celle d’un élu local. Augmenter la solution adoptée pour la déchéance des parlementaires aux élus locaux aurait eu un effet excessif en pratique pour ce qui concerne la moralisation de la vie publique et la différence de solution ainsi faite nous semble tout à fait justifiée.

Ensuite, concernant la solution posée au fond sur le nécessaire examen par le juge pénal du caractère proportionné de l’atteinte que l’inéligibilité avec exécution provisoire est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur, nous pensons qu’elle est en effet nécessaire au regard de l’objet particulier du litige, à savoir les élections et la démocratie.

En effet, comme nous l’avons déjà dit à de nombreuses reprises sur ce blog et dans d’autres écrits universitaires, le droit pénal électoral dispose d’une forme d’autonomie qui prend en considération la particularité de son objet.

Contrairement à l’opinion adoptée par beaucoup de juristes depuis 2017, nous pensons que les questions électorales ne sont pas en matière de justice des questions tout à fait comme les autres, comme le montre par exemple les développements que nous avions pu faire sur la trêve judiciaire, à laquelle nous avions pu faire référence en traitant de la situation de Madame Le Pen aussi. Un examen de proportionnalité rappelé par le Conseil constitutionnel concernant le rapport entre la nécessité de prononcer une peine d’inéligibilité et/ou une exécution provisoire et son impact, non seulement les mandats en cours, mais aussi sur la liberté de l’électeur, semble donc fondé, car il s’agit d’impératifs constitutionnels et démocratiques.

On peut discuter ici de la nécessité qu’avait ou non le Conseil constitutionnel de poser une réserve d’interprétation large de cette nature au regard de la question qui lui était posée, et de son intention. Sur le fondement cependant, une telle solution nous semble justifiée au regard de la nature particulière voire de l’autonomie du droit électoral, qui comprend l’autonomie du droit pénal électoral.

Dimension stratégique ou pas de la décision, elle reste de notre point de vue justifiée théoriquement.

Romain Rambaud