Dans un arrêt très récent du 7 février 2025, n° 474032, le Conseil d’Etat a jugé que les documents produits ou reçus par la Commission nationale de contrôle de la campagne en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) sont des documents administatifs communicables, sous les réserves classiques. Cette jurisprudence permettra donc de mieux connaître le déroulement des campagnes présidentielles de l’intérieur. Cette jurisprudence s’inscrit dans le droit fil de l’arrêt Médiapart du Conseil d’Etat qui avait ouvert la porte à la transparence concernant les documents de la CNCCFP (arrêt d’Assemblée du 27 mars 2015, Commission Nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ Mme C… et société éditrice de Mediapart, n°382083,), et dont on avait parlé sur le blog du droit électoral et dans la littérature scientifique (RFDA) il y a… 10 ans.
En l’espèce, le 9 avril 2022, veille du premier tour de l’élection présidentielle, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) avait signalé aux responsables du site d’information Mediapart qu’un texte publié ce même jour sur leur site était susceptible de contrevenir aux dispositions de l’article L. 49 du code électoral qui prohibe, à partir de la veille du scrutin à zéro heure, la diffusion par tout moyen de communication au public par voie électronique de tout message ayant le caractère de propagande électorale, et les a invités à procéder au retrait immédiat de ce contenu. La CNCCEP est également intervenue auprès du réseau social Twitter, devenu X, afin qu’il cesse d’afficher les messages de Mediapart ou de journalistes travaillant pour cette publication, qui renvoyaient à des textes critiquant l’action ou le programme de candidats. Elle a enfin elle-même publié sur le réseau Twitter un message indiquant qu’elle avait signalé à ce réseau et à Mediapart des contenus susceptibles de contrevenir à l’article L. 49 du code électoral.
A la suite de ces signalements, M. B…, journaliste à Mediapart, a demandé à la CNCCEP de lui communiquer l’ensemble des documents externes et internes sur lesquels elle s’était appuyée pour les effectuer. Après le refus de la CNCCEP, M. B… a saisi la commission d’accès aux documents administratifs qui a rendu le 3 novembre 2022 un avis favorable à sa demande, sous certaines réserves. En l’espèce, M. B… demandait donc l’annulation de la décision du 4 janvier 2023 par laquelle la CNCCEP a confirmé son refus de transmettre les documents demandés. Le Conseil d’Etat devait donc se prononcer sur la qualité de « documents administratifs » des documents de la CNCCEP, au sens de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration.
En l’espèce, le juge estime que M. B… est fondé à demander l’annulation de la décision du 4 janvier 2023 du président de la CNCCEP en tant qu’elle lui a refusé la communication des documents qu’il demandait. Il estime qu’« Il y a lieu, en application de ces dispositions, d’enjoindre à la CNCCEP de transmettre à M. B… les documents qu’il demande dans les conditions précisées dans la présente décision ».
De façon très importante, et sans que puisse y faire obstacle d’autres considérations, le Conseil d’Etat estime que
« Les documents relatifs à la procédure par laquelle la CNCCEP intervient en vue qu’il soit mis fin à une situation qu’elle estime de nature à porter atteinte à l’égalité entre les candidats, qu’il s’agisse des documents qu’elle reçoit de tiers, de ceux qu’elle adresse à des personnes extérieures ou de ceux qu’elle élabore pour son propre fonctionnement, sont produits ou reçus par elle dans l’exercice de la mission de service public qui lui est confiée par les dispositions précitées de l’article 13 du décret du 8 mars 2001 aux fins de garantir le bon déroulement de la campagne électorale. Quand bien même les faits auxquels se rapporte cette procédure seraient susceptibles de constituer des infractions pénales ou pourraient venir au soutien des motifs de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l’élection présidentielle, de tels documents ne revêtent pas un caractère juridictionnel. Ils constituent ainsi des documents administratifs entrant, à défaut de dispositions législatives particulières, dans le champ des articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ».
Considérant 5
Il s’agit d’une solution parfaitement logique, mais qui n’en présente pas moins un intérêt de principe : les documents de la CNCCEP sont des documents administrafifs communicables par principe, ce qui ne manquera pas de renforcer la transparence du fonctionnement du contrôle de l’élection présidentielle.
Le Conseil d’Etat procède ensuite à un examen des documents demandés pour savoir si en l’espèce il peut y avoir des restrictions ou non, et le Conseil d’Etat donne ainsi une dimension large à la communicabilité de ces documents.
Il estime ainsi qu’il n’est pas possible de se prévaloir de la restriction selon laquelle aux termes de l’article L. 311-5 : » Ne sont pas communicables :(…) 2° Les (…) documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : a) au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ». Le Conseil d’Etat estime très logiquement qu' »Il résulte de sa composition, telle que fixée par les dispositions citées au point 1, que la CNCCEP exerce en toute indépendance la mission qui lui est confiée. Elle ne saurait par suite être regardée, alors même qu’elle ne constitue pas une personne morale distincte de l’Etat, comme étant au nombre » des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif » mentionnées au a) du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration ».
Il estime également, en toute logique aussi, que ne sont pas applicables les dispositions de l’article L. 311-5 en vertu duquel » Ne sont pas communicables :(…) 2° Les (…) documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (…) g) à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature », distinguant la dimension administrative et pénale de la question &lectorale : « Il ressort par ailleurs des documents en litige, produits à l’instance sans être soumis au débat contradictoire en application de l’article R. 412-2-1 du code de justice administrative, lesquels sont constitués de courriels adressés à la CNCCEP par des particuliers et par la cellule de veille du ministère de l’intérieur, de correspondances entre la CNCCEP et la plateforme Twitter ainsi que de divers échanges internes à la commission, que leur consultation ou leur communication n’est pas de nature à porter atteinte, en l’espèce, à la recherche et à la prévention d’infractions de toute nature. Il en résulte que les dispositions du g) du 2° de l’article L. 311-5 précité ne font pas obstacle à ce que soient transmis à M. B… les documents qu’il demande ».
Le Conseil d’Etat estime enfin qu’il n’existe pas de problème lié à un secret protégé par la loi : « Enfin, les documents produits ou reçus par la CNCCEP dans le cadre de la mission de service public mentionnée au point 5 ne sont, par eux-mêmes, couverts par aucun secret protégé par la loi, de sorte que les dispositions du h) du 2° du même article ne font pas davantage obstacle à la communication des pièces demandées ».
Finalement, ce sont des occulations classiques auxquelles il faudra procéder comme l’indique le Conseil d’Etat. Ce faisant le Conseil d’Etat estime que :
En premier lieu, les courriers ou documents adressés à la CNCCEP par des particuliers en vue de l’informer de l’existence d’une situation de nature à porter atteinte à l’égalité entre les candidats doivent être regardés, au sens et pour l’application du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, comme faisant apparaître un comportement de ces personnes dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, de sorte que ces courriers ou documents ne peuvent être communiqués qu’après occultation de toute mention permettant l’identification des personnes ayant procédé à cette information. Pour les mêmes motifs, doivent également être occultées, préalablement à la communication des documents concernés, eu égard au niveau hiérarchique des intéressés, les mentions permettant d’identifier nommément les agents du ministère de l’intérieur ayant attiré l’attention de la CNCCEP sur les publications litigieuses.
En deuxième lieu, les courriels échangés entre la CNCCEP et les salariés de la plateforme Twitter, devenue X, ne peuvent être communiqués qu’après occultation des noms et prénoms desdits salariés, la divulgation de ces informations étant susceptible de porter atteinte à la protection de leur vie privée, garantie par les dispositions précitées du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. La protection de la vie privée impose également que soit occultée, sur l’ensemble des documents communiqués, l’adresse électronique personnelle de leur auteur ou de leur destinataire.
En troisième lieu, si les documents en litige contiennent des appréciations sur le comportement de Mediapart au regard des dispositions de l’article L. 49 du code électoral, ces appréciations ont déjà été rendues publiques du fait de la publicité donnée par la CNCCEP aux signalements qu’elle a opérés, ce qui implique que la publication ne porte pas préjudice. Il y a lieu, en revanche, en application de ces dispositions, d’occulter, dans celui de ces documents qui évoque des manquements à l’article L. 49 du code électoral commis par d’autres personnes que Mediapart, les mentions permettant l’identification de ces personnes.
Il conviendra donc de voir de quelle manière la CNCCEP va mettre en oeuvre ce principe et cette injonction. Dans l’attente, il faut souligner l’intérêt de cette jurisprudence pour la transparence des élections présidentielles. Nul doute que la presse d’investigation saura en tirer profit.
Romain Rambaud
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