Elections législatives anticipées : quels écarts de voix pour le contentieux électoral à venir ? [par un nouvel auteur, Guy Prunier]

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Guy Prunier, maintenant retraité, est un ancien fonctionnaire du ministère de l’intérieur affecté au bureau des élections et chargé notamment de la législation électorale pendant 30 ans. Dans cet intervalle, il a été recruté à plusieurs reprises commme chargé de mission élections au Conseil constitutionnel, notamment à l’occasion de chaque élection présidentielle entre 2002 et 2022.

La doctrine s’est dans le passé fréquemment interrogé sur cette notion de « faibles écarts » de nature à justifier une annulation de scrutin. Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 peuvent-elles laisser présager un contentieux de nature à illustrer le débat ? C’est loin d’être assuré.

D’une manière générale, il n’est pas facile de déterminer exactement le critère quantitatif que le juge électoral prend en considération pour statuer, soit dans le sens de la validation, soit dans celui de l’annulation de l’élection. On voit bien se dégager des cas extrêmes, nets mais peu fréquents, qui justifient la doctrine. C’est ce que le vocabulaire médiatique qualifie de « mouchoirs de poche », autrement dit  l’élection acquise à quelques voix près.  Dans ce cas, il est difficile au juge électoral de valider une élection sans y déceler – et on peut faire confiance aux requérents pour trouver des motifs – des abus ou irrégularités quelconques. Mais ces cas sont rares.

Comment se présentent les dernières élections législatives, alors que la période de dépôt des requêtes n’est pas close et a fortiori, qu’aucune décision du Conseil constitutionnel n’est encore intervenue ?

Une première observation concerne l’ensemble du scrutin. La participation, les commentateurs l’ont noté abondamment, a été forte. Globalement, les 2/3 des électeurs inscrits ont pris part au vote (exactement et respectivement 66,71 % et 66,63 % pour les premier et second tours), ce qui dépasse de loin les précédentes élections législatives de 2022, respectivement de 47,51 % et 46,23 % . C’est donc moitié plus d’électeurs inscrits qui ont pris part au vote, quelles qu’en soient leurs motivations réelles ou supposées.

Cette forte participation a eu comme conséquence directe de desserrer les écarts de voix recueilllis par les différents candidats dans leur circonsciption de telle sorte que, s’il existe des écarts « faibles », ils seraient plutôt de l’ordre de quelques centaines de suffrages. Si l’on prend pour référence des écarts inférieurs à 1000 voix équivalant à 1 % des suffrages exprimés environ, on trouve 45 circonscriptions dont l’écart à la moyenne entre les deux candidats du second tour se situe à 509 suffrages environ, ce qui est assez élevé. Cet ensemble comprend toutefois un écart de 633 voix à Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui représente, eu égard au nombre limité d’électeurs, 23,48 % des voix. Dans le même temps, 1009 et 1022 voix d’écart dans la 4e circonscription du Pas-de-Calais et la 2e du Tarn représentent respectivement 1,7 % et 1,46 % des sufrages exprimés.

Dans cet ensemble, les faibles écarts sont finalement assez rares : ceux de moins de 100 suffrages  se réduisent à 6 circonscriptions, à savoir :

DépartementCirconscriptionÉcart absoluEn %
‍Ardèche3e370,09%
‍Charente-Maritime3e630,12%
‍Côte-d’Or5e420,08%
‍Dordogne1e910,18%
‍Dordogne3e750,16%
‍Saône-et-Loire3e650,12%%

On ne trouve donc aucun des écarts infimes qui ont pu susciter par le passé un contentieux de nature à faire jurisprudence, par exemple la décision n° 2017-5092 AN du 18 décembre 2017 (A.N., Loiret, 4ème circ.) où 7 voix séparaient les deux candidats du second tour.

Deuxième conséquence de cette participation: plus de candidats ont eu vocation à se présenter au second tour par une simple application des dispositions du 3e alinéa de l’article L. 162 du code électoral : « nul ne peut être candidat au deuxième tour s’il ne s’est présenté au premier tour et s’il n’a obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % du nombre des électeurs inscrits ». Par le passé, notamment en 2022, cette disposition a empêché de nombreuses triangulaires puisque, à défaut de ce seuil minimal, seuls les deux candidats ayant recueilli le plus de suffrages au premier tour pouvaient se porter candidats au second. Ce contexte a donc généré un contentieux spécifique du faible écart de voix séparant le 2e candidat du 3e au premier tour.

Lors des élections de 2024, ce cas de figure s’est bien produit dans 55 circonscriptions au bénéfice des critères précédemment énoncés (moyenne des écarts : 436 voix). Mais selon toute probabilité, le juge n’en verra rien. Dans 5 circonscripions, le siège en lice a été pourvu dès le premier tour. L’écart entre les suivants est donc dépourvu d’effet. De même, dans deux autres cas, les 2e et 3e candidats qui ont pu se présenter au second tour l’ont fait sans pour autant rentrer dans la catégorie précédente.

Dans la grande majorité des cas, soit au total 31 circonscriptions, le 3e candidat, bien que remplissant les conditions pour le faire, ne s’est pas présenté au second tour, la plupart du temps dans un contexte de désistement. Il reste donc 17 cas résiduels d’écarts entre 2e et 3e candidats dans un contexte tel que le 3e candidat était empêché de se présenter. En définitive, un très faible écart (moins de 100 voix) se retrouve seulement dans deux circonscriptions, toutes deux ultramarines :

DépartementCirconscriptionÉcart absoluEn %
‍‍‍‍‍Martinique4e920,09%
‍‍‍‍‍Saint-Pierre-et-Miquelon6e550,12%

Enfin, parmi les contextes à faibles écarts, en dépit des apparences, peuvent figurer des sièges pourvus au premier tour. En effet, l’article L. 126 du code électoral dispose que nul n’est élu au premier tour de scrutin s’il n’a réuni la majorité absolue des suffrages exprimés. Bien que le code électoral ne définisse pas cette majorité, elle requiert plus de la moitié des suffrages exprimés. Lorsque le candidat est élu dès le premier tour avec un très faible écart par rapport à ce seuil, il peut arriver, en cas de contestation, qu’à la suite de rectifications de résultats par le juge, ce seuil ne soit plus atteint. Il manque alors une formalité substantielle, à savoir le second tour. C’est même une des plus anciennes décisions d’annulation du Conseil constitutionnel (CC, 5 février 1963, A.N. 62-299/300  Seine, 52ème circ.).

Au total, toujours sous le bénéfice des mêmes critères (1000 voix et 1 % des suffrages exprimés), on trouve 16 circonscriptions avec un écart moyen de 305 suffrages. Parmi ces dernières, 2 seulement comptent un écart inférieur à 100 voix.

DépartementCirconscriptionÉcart absoluEn %
‍‍‍‍‍‍‍‍‍‍Haute-Saône2e660,11%
‍‍‍‍‍‍‍‍‍Hauts-de-Seine11e690,14%

La participation a même généré une situation peu fréquente dans 4 circonscriptions où trois candidats ont pu se présenter au second tour. Il peut alors exister un faible écart avec le quatrième candidat du premier tour. Dans 3 cas, comme précédemment, un désistement a réglé la question. Reste un ultime cas, dans la 2e circonscription du Finistère, où un faible écart (mais tout de même de 769 voix, soit 1,43 % des suffrages exprimés) sépare le 4e candidat du 3e.

Bien évidemment, l’écart de voix entre les deux premiers candidats au premier tour est sans importance s‘ils ont pu se présenter au second tour, là où seulement un tel écart est pertinent.

Enfin, parmi les curiosités, figure une élection acquise au second par 100 % des suffrages exprimés en Guyane 2e, où un seul candidat concourrait au second tour.

Il est évidemment trop tôt pour déterminer la configuration générale du contentieux des élections législatives de 2024. Mais en définitive, sauf  contexte local exceptionnel, le faible écart de voix ne devrait pas à  cette occasion beaucoup nourrir utilement la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Guy Prunier