Il y a beaucoup de listes candidates pour ces élections européennes : ce n’est pas un hasard, vu le mode de scrutin à la proportionnelle à 1 tour (même avec un seuil de 5% pour être admis à la répartition des sièges) et les conditions de remboursement des dépenses avec un seuil de 3% : c’est la norme pour ce scrutin et cela était attendu, comme nous l’avions déjà écrit dans un précédent article consacré à ce sujet.
Il y avait 37 listes officielles enregistrées à date, par l’arrêté du 17 mai 2024.
Cependant, et c’est une originalité, un arrêt du Conseil d’Etat est à l’origine de l’ajout d’une 38ème liste, par injonction, donnant lieu à un nouvel arrêté du 23 mai 2024 modifiant l’arrêté du 17 mai 2024 fixant les listes candidates à l’élection des représentants au Parlement européen des 8 et 9 juin 2024.
Il s’agit ici de l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 mai 2024, n°494355, Liberté démocratique française. En l’espèce, M. B… A… et l’association » Liberté démocratique française » ont demandé au Conseil d’Etat d’annuler la décision verbale [nous soulignons] du ministre de l’intérieur et des outre-mer du 17 mai 2024 refusant de délivrer reçu de la déclaration de candidature à l’élection des représentants de la France au Parlement européen de cette liste. Cet arrêt a plusieurs points d’intérêt.
Tout d’abord, le ministre de l’intérieur et des outre-mer soulevait une fin de non-recevoir en soutenant que la requête dirigée contre le refus de délivrer reçu de la déclaration de candidature de la liste » Liberté démocratique française » ne serait pas recevable, faute pour lui d’avoir opposé un tel refus. Le juge estime cependant qu’il ressort des éléments produits à la suite de la mesure d’instruction que, reçu dans la matinée du 17 mai 2024 par les services du ministère de l’intérieur et des outre-mer pour procéder au dépôt de cette liste, M. D… C… s’est vu indiquer que la liste qu’il entendait déposer, alors même qu’elle comportait le nombre de candidats requis, n’était pas régulière en l’état et que les irrégularités qui l’entachaient devaient être rectifiées pour qu’un reçu puisse être délivré de sa déclaration. Il lui a ainsi été opposé un refus de délivrer un reçu du dépôt de cette liste. Le juge estime ainsi que « Quelles que soient les indications qui ont pu accompagner ce refus sur la possibilité qui restait à l’intéressé de corriger les irrégularités qui lui étaient opposées dans les quelques heures qui restaient jusqu’à l’heure limite de dépôt des candidatures à 18 heures le même jour, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre ne peut dès lors qu’être écartée ». Le juge estime donc dans un premier temps qu’il y a un refus verbal, caractérisant une décision.
Or, ce point est fondamental car en pratique, il n’est pas rare que les services administratifs refusent au moins provisoirement d’enregistrer des listes oralement, soit alors même que ce n’est pas normalement dans leurs attributions comme par exemple pour les élections législatives dans certains cas, soit quand il n’existe pas de procédure de rattrapage (par exemple pour des élections municipales), soit quand il en existe, comme c’est le cas aussi notamment pour les régionales. Pour le dire autrement, le juge ici prend acte mais en réalité sanctionne en la qualifiant juridiquement et en lui faisant produire des conséquences ce qui est pourtant une pratique courante des services préfectoraux pendant les élections. La mobilisation de cette jurisprudence risque donc d’être intéressante par la suite, dans des élections de moindre importance.
Ensuite, en l’espèce, cette action verbale est sanctionnée à plus forte raison qu’il existe normalement une procédure prévue pour refuser l’enregistrement. En effet en vertu de l’article 10 de la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen : » Les déclarations de candidatures sont déposées au plus tard le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin, avant dix-huit heures. /(…)/ Il est donné au déposant un reçu provisoire de déclaration » et en vertu du premier alinéa de l’article 12 de cette même loi : » Si une déclaration de candidatures ne remplit pas les conditions prévues aux articles 7 à 10, le ministre de l’intérieur saisit dans les vingt-quatre heures le Conseil d’Etat, qui statue dans les trois jours. / Si, en application de cette disposition, une liste n’est plus complète, elle dispose d’un délai de quarante-huit heures pour se compléter « . Selon le Conseil d’Etat, « il résulte de ces dispositions que lorsqu’une déclaration de candidature est effectuée par le dépôt d’une liste au ministère de l’intérieur dans le délai imparti par la loi, il est délivré au déposant un reçu provisoire de cette déclaration. Si le ministre estime qu’une liste ne remplit pas les conditions prévues par la loi, il lui incombe, hormis l’hypothèse où la liste ne comporterait pas le nombre de candidats requis, de saisir le Conseil d’Etat dans un délai de vingt-quatre heures afin qu’il se prononce sur ce point sans pouvoir refuser de délivrer à la liste concernée un reçu provisoire ». Or il n’est pas contesté que la liste » Liberté démocratique française » comportait le nombre de candidats requis. Par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, les requérants sont fondés, à demander l’annulation de la décision par laquelle le ministre de l’intérieur et des outre-mer a refusé de délivrer un reçu provisoire de déclaration de candidature pour la liste » Liberté démocratique française « . La décision verbale est donc purement et simplement annulée.
Enfin, le Conseil d’Etat indique que il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre au ministre de l’intérieur et des outre-mer de faire recevoir par ses services dans un délai de 24 heures le candidat tête de liste ou le mandataire de la liste » Liberté démocratique française » et de lui délivrer un reçu provisoire de dépôt de la déclaration de candidature de cette liste, c’est à dire de permettre un réexamen de la candidature qui, en l’espèce, a fini par donner lieu à son enregistrement. Il n’est pas si courant d’avoir un enregistrement de liste sur quasi-injonction du juge.
En définitive, l’arrêt Liberté démocratique française est moins anodin qu’il n’y parait, en tant qu’il met la lumière sur ces pratiques du droit électoral qui, quoi que devenues courantes, n’en restent pas moins en dehors des textes voire contra legem. Et elles ne sont pas si rares. Le fait que le juge administratif décide de les sanctionner pourrait entraîner des changements dans ce droit électoral souterrain qui existe dans la pratique.
Romain Rambaud