Le 7 mars 2024, le Conseil constitutionnel a rendu sa première décision au fond relative au contentieux des élections sénatoriales de septembre 2023, la décision n° 2023-6272/6277/6280 SEN du 7 mars 2024, SEN, Moselle, M. Jean-Louis MASSON et autres.
Cette décision intervient après le rejet par la décision n° 2023-6281 SEN / QPC du 8 décembre 2023 d’un premier recours dirigé contre les opérations électorales organisées dans le département de la Nièvre en vue de la désignation de deux sénateurs. Cette décision avait cependant été rendue sur le fondement de l’article 38 al. 2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : en effet, la QPC avait été rejetée faute de porter sur des dispositions législatives précisément identifiées et si le requérant soulevaient certaines irrégularités dans la conduite des opérations électorales, qui auraient altéré la sincérité du scrutin, ces allégations n’étaient pas toutefois pas assorties des précisions et justifications permettant au juge de l’élection d’en apprécier la portée. La décision relative au département de la Moselle est donc bien la première décision rendue au fond.
Logiquement, celle-ci est accompagnée de la publication d’un communiqué de presse suivant lequel « À l’issue de l’instruction contradictoire à laquelle ils ont été soumis, les sept recours dont le Conseil constitutionnel demeure saisi contre les élections du 24 septembre 2023 seront examinés d’ici la fin de ce mois de mars ». Ces sept recours concernant les départements suivants : Hauts-de-Seine (deux fois), Guadeloupe, Essonne (deux fois), Jura et Français établis hors de France. Il ne s’agit cependant que des recours directs contre les élections sénatoriales : il reste en outre 19 saisines CNCCFP à juger.
Sur le fond, la décision ne présente pas d’originalité marquante.
Le premier grief tenait à l’apposition du nom d’Edouard Philippe sur le bulletin de Mme Boucher, liste arrivée pourtant seulement quatrième et ne comportant aucun élu. En effet, en vertu de l’article L. 52-3 du code électoral, applicable à l’élection des sénateurs ainsi que le prévoit l’article L. 306 du même code, les bulletins de vote ne peuvent pas comporter d’autres noms de personne que celui du ou des candidats ou de leurs remplaçants éventuels. Selon les articles R. 155 et R. 170 du même code, sont nuls et n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement les bulletins non conformes aux dispositions de l’article L. 52-3. Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé que la méconnaissance de ces dispositions justifie l’annulation des bulletins lorsque l’adjonction d’un ou plusieurs noms à ceux limitativement énumérés par ce texte a été susceptible d’entraîner une confusion dans l’esprit des électeurs et présente ainsi le caractère d’une manœuvre destinée à abuser le corps électoral, solution appliquée à de nombreuses reprises lors du contentieux ces élections législatives : on renverra ici aux articles du blog du droit électoral sur ce point. En l’espèce, le Conseil constitutionnel juge que « si les bulletins utilisés par la liste de Mme BOUCHER comportaient la mention « la Moselle avec Edouard Philippe », ni le contenu de cette mention, ni sa présentation typographique n’étaient de nature à entraîner une confusion dans l’esprit des électeurs sur l’identité des candidats se présentant aux suffrages des électeurs ». Il conclut que « dans ces circonstances, pour regrettable qu’elle soit, l’adjonction d’un nom à ceux limitativement énumérés par l’article L. 52-3 précité n’a pas été de nature à altérer le résultat du scrutin ».
Par ailleurs le message de M. MASSON envoyé aux électeurs le 22 septembre 2023 dénonçant l’irrégularité des bulletins litigieux et affirmant que ces bulletins seraient comptabilisés comme nuls pour ce motif lors du dépouillement, auquel Mme BOUCHER avait pu répliquer en temps utile en se prévalant de la décision de la commission de propagande validant le bulletin de sa liste, ni le message dans le même sens qu’il a publié sur un réseau social le 24 septembre 2023, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 49 du code électoral, « n’ont été, dans les circonstances de l’espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin », dans la mesure où elle n’aurait été en mesure de changer les résultats du scrutin.
Le contentieux direct des élections sénatoriales n’est en tout état de cause, en raison même du mode de scrutin de celui-ci, pas celui qui se prête le plus à l’annulation des élections. Depuis 1958, si on ne prend que le contentieux direct en dehors de celui des comptes de campagne, on compte 8 annulations d’élections sénatoriales seulement, et 13 en comptant les annulations faisant suite à une inéligibilité pour compte de campagne. On soulignera en revanche que le contentieux des élections sénatoriales se prête bien à celui à la réformation, puisque la seule prononcée à ce jour par le Conseil constitutionnel relève du contentieux des élections sénatoriales (Décision 2014-4902 SEN – 12 février 2015 – Vaucluse – Réformation).
Romain Rambaud