Ainsi que le relève par exemple le journal Le Monde, les trois députés sortants ont été réélus au second tour des élections législatives partielles dans les circonscriptions des Français établis à l’étranger. Ces élections partielles étaient organisées suite à des annulations prononcées par le Conseil constitutionnel. On pourra retrouver ce contentieux dans deux précédents articles du blog du droit électoral : le premier consacré à l’annulation des élections législatives des 2ème et 9ème circonscriptions des Français de l’étranger en raison de dysfonctionnements sur le vote électronique (article du 26 janvier 2023) ; le second consacré à l’annulation dans la 8ème circonscription des Français de l’étranger pour causes de fraudes commises par l’équipe du candidat élu (article du 6 février 2023),
Dans la 2e circonscription, qui regroupe des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la sortante Eléonore Caroit (Renaissance) a obtenu 62,44 % des voix, l’emportant sur le candidat de la Nupes, Christian Rodriguez (37,56 %), qu’elle avait déjà battu en juin 2022. Dans la 9e circonscription, celle des Français établis au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, le sortant écologiste et candidat de la Nupes, Karim Ben Cheikh, qui avait fini très loin devant au premier tour, l’a emporté avec 67,65 % des suffrages face à la candidate Caroline Traverse. La mise en oeuvre plus correcte du vote électronique cette fois n’aura donc pas eu d’incidence sur les résultats.
Il convient ici plus spécifiquement de s’arrêter sur la 8ème circonscription des Français de l’étranger, qui regroupe plusieurs pays du pourtour méditerranéen, dont Israël, l’Italie, la Grèce et la Turquie. Ici le sortant Meyer Habib a rassemblé 53,99 % des voix, contre 46,01 % pour Deborah Abisror de Lieme (Renaissance), M. Habib étant en nette progression par rapport à la précédente élection, puisque Mme Abisror de Lieme avait obtenu 49,42 % des suffrages lors de la première élection.
Avant d’insister sur ce résultat, il faut le resituer dans le contexte de l’annulation qui l’a précédé, pour en dire deux choses : une absence de sanction de la fraude électorale par les électeurs, une réélection rendue possible pour l’absence de sanction d’inéligibilité prononcée par le Conseil constitutionnel. La réélection de M. Habib, révélatrice de la mansuétude des électeurs ou du contentieux électoral ? Peut-être les deux, mon capitaine.
L’absence de sanction par les électeurs de la fraude électorale
Par la décision n°2022-5773 AN du 3 février 2023, l’élection de M. Habib, acquise avec 193 voix d’avance, avait été annulée en raison de messages de propagande tardifs (violation de l’article L. 330 du code électoral) mais surtout parce que « en parallèle des dispositifs d’assistance organisés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. HABIB a mis en place des permanences téléphoniques et des centres d’aide mobilisant un nombre significatif d’opérateurs à destination des électeurs rencontrant des difficultés pour voter par voie électronique. Il résulte de l’instruction que, à l’occasion de ces appels, il a pu irrégulièrement être proposé aux électeurs de voter par internet à leur place en utilisant leurs identifiants et mots de passe. De tels agissements, qui revêtent une particulière gravité, doivent être regardés comme constitutifs d’une manœuvre ». D‘après Le Monde, M. Habib avait emprunté au parti religieux et mizrahi Shass (représentant des juifs du Proche-Orient et du Maghreb) sa puissante plate-forme téléphonique, qui vient en aide aux immigrants français en Israël ». Ces faits sont extrêmement graves, le système de la « collecte » des votes à distance n’étant pas prévu en France et étant source de fraude électorale dans les systèmes où le vote par correspondance avec possibilité de collecte existe (voir sur ce point les articles du blog du droit électoral consacrés au vote par correspondance pendant le Covid). L’annulation pour manœuvre était totalement logique, notamment eu égard au faible écart de voix.
Les résultats de l’élection, la réélection de M. Habib donc, montrent donc que même si la première élection avait été annulée pour cause de fraudes de la part de M. Habib ou à tout le moins de son équipe, cela n’a pas été sanctionné par les électeurs, qui ont la réputation en général de ne pas sanctionner les comportements frauduleux. Ce fut en toute hypothèse le cas des électeurs de l’élection partielle (le faible nombre de ceux qui sont allés voter…) puisque M. Habib a même creusé l’écart.
Une réélection rendue possible par l’absence de sanction d’inéligibilité
Dans la décision n°2022-5773 AN du 3 février 2023, cependant, M. Habib n’a pas été déclaré inéligible sur le fondement de l’article LO. 136-3 du code électoral, qui dispose pourtant que « Saisi d’une contestation contre l’élection, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ». En vertu du principe du secret du délibéré, il n’est pas possible de savoir si cette sanction avait été demandée, et pourquoi le Conseil constitutionnel ne l’a pas prononcée, d’office (puisqu’il peut la soulever d’office s’il le souhaite) ou non… On sait pourtant que, dans une autre affaire concernant certes un candidat beaucoup moins « sérieux », le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à faire usage de cette prérogative (v. sur ce blog l’annulation de l’élection partielle de la XVème circonscription de Paris en janvier 2022).
En l’espèce, cette inéligibilité n’a pas été déclarée. Absence de preuve de l’implication personnelle de M. Habib conduisant à l’impossibilité de mettre en œuvre contre lui l’inéligibilité, suivant le sens de la jurisprudence ? Autolimitation du juge électoral pour faire prévaloir la volonté des électeurs dans le cas d’espèce ? Attitude différenciée entre les petits et les grands candidats ? En l’absence d’éléments dans la décision, il est impossible de le savoir. Il est simplement possible à ce stade de relever que, si une telle sanction avait été prononcée, par définition les résultats du scrutin auraient été, profondément différents…
Romain Rambaud