Le 3 février 2023, le Conseil constitutionnel a annoncé avoir achevé l’examen des recours dirigés contre les élections législatives de juin 2022, annulant pour achever cette série contentieuse l’élection dans la 8ème circonscription des Français établis hors de France (n°2022-5773 AN). Il s’agit de la 7ème et dernière annulation pour les élections législatives de 2022, un étiage habituel : le Conseil constitutionnel avait prononcé 7 annulations en 2012, 2002 et 1988, 6 en 2007 et 1997, 8 en 2017 .
L’annulation dans la 8ème circonscription des Français de l’étranger (Italie, Malte, Saint-Marin, Saint-Siège ; Chypre, Grèce, Turquie ; Israël) fait écho aux deux précédentes annulations dans la 2ème et la 9ème circonscriptions des Français établis hors de France (voir l’article sur le blog du droit électoral), qui avaient été annulées pour des dysfonctionnements techniques dans le vote électronique, à savoir le non-envoi des mots de passe pour de nombreux électeurs. Des problèmes de cette nature n’avaient jamais été sanctionnés pour le vote électronique (v. pour un rejet, n°2012-4597/4626 AN du 15 février 2013, Français établis hors de France, 4ème circ.). Un coup dur, donc.
L’annulation dans la 8ème aggrave la situation de ce point de vue, mais elle n’est pas liée cette fois à des défauts techniques : c’est plus grave encore. En l’espèce, l’élection de M. Habib, acquise avec 193 voix d’avance, a été annulée en raison de messages de propagande tardifs (violation de l’article L. 330 du code électoral) mais surtout parce que « en parallèle des dispositifs d’assistance organisés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. HABIB a mis en place des permanences téléphoniques et des centres d’aide mobilisant un nombre significatif d’opérateurs à destination des électeurs rencontrant des difficultés pour voter par voie électronique. Il résulte de l’instruction que, à l’occasion de ces appels, il a pu irrégulièrement être proposé aux électeurs de voter par internet à leur place en utilisant leurs identifiants et mots de passe. De tels agissements, qui revêtent une particulière gravité, doivent être regardés comme constitutifs d’une manœuvre ». D‘après Le Monde, M. Habib avait emprunté au parti religieux et mizrahi Shass (représentant des juifs du Proche-Orient et du Maghreb) sa puissante plate-forme téléphonique, qui vient en aide aux immigrants français en Israël ». Ces faits sont extrêmement graves, le système de la « collecte » des votes à distance n’étant pas prévu en France et étant source de fraude électorale dans les systèmes où le vote par correspondance avec possibilité de collecte existe (voir sur ce point les articles du blog du droit électoral consacrés au vote par correspondance pendant le Covid). L’annulation pour manœuvre est totalement logique, notamment eu égard au faible écart de voix.
On remarquera cependant qu’en l’espèce, M. Habib n’a cependant pas été déclaré inéligible sur le fondement de l’article LO. 136-3 du code électoral, qui dispose pourtant que « Saisi d’une contestation contre l’élection, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ». En vertu du principe du secret du délibéré, il n’est pas possible de savoir si cette sanction avait été demandée, et pourquoi le Conseil constitutionnel ne l’a pas prononcée, d’office (puisqu’il peut la soulever d’office s’il le souhaite) ou non… On sait pourtant que, dans une autre affaire concernant certes un candidat beaucoup moins « sérieux », le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à faire usage de cette prérogative (v. sur ce blog l’annulation de l’élection partielle de la XVème circonscription de Paris en janvier 2022). Absence de preuve de l’implication personnelle de M. Habib ? Autolimitation du juge électoral ?
En l’espèce, cette inéligibilité n’a pas été déclarée, ce qui peut être manque de sévérité et de caractère dissuasif pour le contentieux électoral. Dommage, car jusqu’ici le contentieux des élections législatives de 2022 avait un caractère irréprochable… Reste à savoir ce que décideront finalement les électeurs.
Romain Rambaud