Les décisions de la CNCCFP relatives aux comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle ont été publiées au Journal officiel du 27 janvier 2023, ce matin donc. Sans entrer à ce stade dans le détail de chacune de ces décisions, on pourra ici faire un certain nombre de commentaires sous l’angle particulier du droit électoral.
Comptes de campagne validés = institutions stabilisées
Comme on pouvait s’y attendre en l’absence de fuite notable depuis la fin du mois de décembre, la CNCCFP devant statuer sur ces comptes au 24 décembre 2022 au plus tard, aucun rejet de compte de campagne n’a été décidé. Seules des réformations de dépenses ont été prononcées, comme cela est très couramment le cas. Les 12 comptes de campagne sont donc validés. Ces derniers avaient été publiés sous une forme sommaire et tels que déclarés par les candidats au JO du 19 juillet 2022.
Une analyse des différents comptes de campagne et décisions a été proposée par la presse ce matin, par exemple dans cet article de Laura Motet du Monde, à laquelle pour l’instant on renverra pour le moment. Une analyse du même type pourra venir sur le blog du droit électoral si le temps le permet ou dans le cadre d’un prochain article de fond publié, sachant cependant qu’il n’est pas possible à l’auteur de ses lignes de s’exprimer sur le compte de campagne d’Emmanuel Macron puisque, comme indiqué sur le blog du droit électoral à l’époque et comme cela est précisé sur la page CV de ce blog, j’ai participé en tant que chargé de mission bénévole auprès de LREM directement et personnellement à la campagne du candidat Emmanuel Macron et suis, de ce point de vue, autant dans une position de conflits d’intérêts que d’obligation de confidentialité.
En tout état de cause il n’y aura donc pas, cette année, de problème comparable à celui qu’avait connu en 2012 Nicolas Sarkozy avec le rejet de son compte de campagne, prémices de l’affaire Bygmalion. Il n’y aura pas non plus, à ce stade à tout le moins, de problème s’agissant du Président élu, puisque son compte de campagne a été validé. Sur ce point, on rappellera que la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel prévoit dans son article 3.III que « Les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques mentionnées au II du présent article peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat concerné, dans le mois suivant leur notification ». Cela signifie que seul le candidat concerné peut faire un recours devant le Conseil constitutionnel en cas de rejet ou de réformation de son compte de campagne, et non les autres candidats ou des électeurs. Cette règle très claire a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-173 PDR du 11 juillet 2019 Recours du parti « Les Républicains » contre la décision de la CNCCFP du 21 décembre 2017 relative au compte de campagne de M. Emmanuel Macron, selon lequel « Ces dispositions réservent ainsi au candidat la possibilité de contester la décision de la commission portant sur son compte de campagne ». Il avait ainsi jugé à l’époque, à propos du recours des Républicains contre le compte de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, que « dès lors que les dispositions précitées font obstacle à ce que le parti « Les Républicains » puisse contester la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques relative au compte de campagne de M. Emmanuel Macron, la requête présentée par ce parti est irrecevable ». Il en va donc cette année comme en 2017 : les décisions de la CNCCFP sont définitives et sur le plan administratif pour le moins, les choses sont définitivement acquises.
Cela ne préjuge pas sur le plan juridique du volet pénal de la question. On sait, en effet, que concernant les comptes de campagne de 2017 et même de 2022 d’Emmanuel Macron, une enquête a été ouverte par le Parquet National Financier. D’après le communiqué de presse de ce dernier, « Suite à plusieurs signalements et plaintes d’élus et de particuliers, une information judiciaire a été ouverte le 20 octobre 2022, notamment des chefs de tenue non conforme de comptes de campagne et minoration d’éléments comptables dans un compte de campagne, portant sur les conditions d’intervention de cabinets de conseils dans les campagnes électorales de 2017 et 2022 » (PNF, communiqué de presse du 24 novembre 2022). Il s’agirait ici d’une implication, non pas à titre individuel de personnes travaillant pour le cabinet de conseil McKinsey, mais de la personne morale elle-même, par l’implication de ses salariés pendant leurs horaires de travail et avec les moyens de celle-ci. On sait que sur ce fondement une perquisition a déjà été effectuée au siège de LREM. Sur ce point, on notera que si le retour aux comptes de campagne de 2017 est classique, l’ouverture d’une enquête dans le cadre des comptes de campagne de 2022 l’est moins puisque celle-ci a été faite alors même que la CNCCFP était en train de les examiner et n’avait alors pas encore rendu sa décision. En tout état de cause, l’ouverture d’une enquête ne préjuge à ce stade de rien et n’aura jamais de conséquence sur le Président de la République en fonction, en raison de son immunité présidentielle, de sorte qu’il n’y a pas de menace sur les institutions.
Le recours de Marine Le Pen contre la décision de réformation de la CNCCFP
La seule décision qu’il n’est pas possible de consulter cependant est celle de Marine Le Pen, car celle-ci a fait un recours devant le Conseil constitutionnel ce qui suspend la publication de la décision de la CNCCFP, comme cela avait été le cas pour la décision relative au compte de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012/2013. La décision de la CNCCFP ne sera publiée que lorsque le Conseil constitutionnel aura rendu sa propre décision. Comme l’indique son avis relatif à la publication des décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques relatives aux comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022, la CNCCFP précise que « L’article 3, II, 6e alinéa de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 modifiée relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel a chargé la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques d’approuver, rejeter ou réformer, après procédure contradictoire, les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle et d’arrêter le montant du remboursement forfaitaire de leurs dépenses dû par l’Etat. Les décisions de la Commission peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel dans le mois suivant leur notification (article 3, III, 3e alinéa de la même loi). Mme Marine LE PEN ayant formé un tel recours, la décision relative à son compte de campagne sera publiée par le Conseil constitutionnel dès lors qu’il aura statué (article 3, V, dernier alinéa, de la même loi) ».
C’est seulement dans la presse que l’on a donc pu apprendre que son compte de campagne est bien validé, avec réformation. Cependant, Marine Le Pen entend contester des réformations, c’est à dire en pratique des refus de remboursement, concernant le flocage de ses bus de campagne. Ces flocages sont considérés comme contraires à l’article L. 51 du code électoral qui interdit l’affichage sauf exceptions très strictes dans les six mois qui précèdent le mois de l’élection : « Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l’élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l’emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu’en dehors des panneaux d’affichage d’expression libre lorsqu’il en existe ». La solution est au demeurant la même concernant Jean Lassale qui avait mis en oeuvre le même procédé : la CNCCFP a considéré à son propos que « En application des dispositions de l’article L. 51 du code électoral, pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l’élection est interdit en dehors de l’emplacement spécial réservé aux candidats par l’autorité municipale et des panneaux d’affichage d’expression libre. En l’espèce, le candidat a fait figurer dans son compte une somme de 15 000 euros, correspondant à des frais de flocage d’un véhicule à caractère d’affichage électoral en méconnaissance des dispositions précitées. Le recours à ce type de procédé constituant une dépense irrégulière, il emporte les conséquences exposées ci-après sur le remboursement de l’Etat (…). Il résulte de l’instruction que le compte de campagne comprend un montant de 15 000 euros de dépenses à caractère électoral mais irrégulières au regard des dispositions de l’article L. 51 du code électoral. Le caractère irrégulier d’une telle dépense fait obstacle à ce qu’elle puisse faire l’objet d’un remboursement de la part de l’Etat. Dès lors, c’est à 770 991 euros que doit être fixé le montant du remboursement auquel a droit le candidat ». Fabien Roussel est également dans la même situation.
Cette position était bien connue des candidats avant l’élection présidentielle et Marine Le Pen a donc « pris son risque » en méconnaissant cette règle. Elle essaie d’obtenir gain de cause devant le Conseil constitutionnel, qui devra donc se prononcer explicitement. Cependant, on notera que le Conseil constitutionnel vient de se prononcer sur cette question dans le cadre des élections législatives, comme on l’avait noté sur le blog du droit électoral. En effet, dans sa décision du 2 décembre 2022 relative à la 7ème circonscription de l’Oise, il a affirmé explicitement que « l’utilisation (…) d’un véhicule comportant un affichage électoral (…) est constitutive d’une irrégularité », au regard de l’article L. 51 du code électoral (n°2022-5758 AN). Une solution très claire qu’on anticipait (v. dans le même sens CE, El. Mun. de Colombes, 30 dec. 2021, n°450810), mais qui se voit parfaitement indiquée. Elle devrait être logiquement réitérée dans le cadre de l’élection présidentielle.
Dans l’attente, il n’est donc pas possible de consulter la décision de la CNCCFP la concernant.
Vers une plus grande transparence des comptes de campagne au sens large
Il est possible, enfin, de préciser que la publication des décisions de la CNCCFP n’est qu’une première étape dans le processus de transparence attaché aux élections relatives à l’élection présidentielle.
La loi de 1962 prévoit en effet que « Par dérogation au IV de l’article L. 52-12 du code électoral, les comptes de campagne des candidats sont publiés par la commission au Journal officiel ainsi que dans un format ouvert et aisément réutilisable, dans le mois suivant l’expiration du délai prévu à l’avant-dernier alinéa du V du présent article. Chaque compte comporte en annexe une présentation détaillée des dépenses exposées par chacun des partis et groupements politiques qui ont été créés en vue d’apporter un soutien au candidat ou qui lui apportent leur soutien, ainsi que des avantages directs ou indirects, prestations de services et dons en nature fournis par ces partis et groupements. L’intégralité de cette annexe est publiée avec le compte, dans les conditions prévues à la première phrase du présent alinéa ». La CNCCFP devrait donc procéder à cette publication qui devrait permettre de connaître davantage en détails les comptes de campagne des candidats.
Par ailleurs, il pourra y avoir un accès à la procédure contradictoire. En effet, depuis l’arrêt du Conseil d’Etat Mediapart de 2015, il est possible d’obtenir les procédures contradictoires, c’est-à-dire les échanges entre les candidats et la CNCCFP. Ces procédures contradictoires constituent évidemment une mine d’informations que les journalistes et les spécialistes ne manqueront pas de consulter pour connaître aussi les coulisses de l’élaboration et de la discussion autour des comptes de campagne. A suivre donc.
Romain Rambaud