08/09/2017 : La publication des comptes de campagne présidentielle : un exercice de transparence démocratique renouvelé ? [M. Sannet]

Au cœur de l’été (JO du 03/08/2017) sont parus les comptes de campagne des candidats à la dernière élection présidentielle.

I – Un enjeu de campagne avant d’être une publication légale

Compte-tenu des précédents scrutins et du contexte politique, le financement de la campagne électorale des candidats s’est révélé un thème de débats voire de polémiques, notamment autour de la notion de conflit d’intérêts.

En vue de prévenir la critique, les principaux candidats ont ainsi (succinctement) communiqué sur leur budget et leurs sources de financement (ou leurs difficultés de financement) au fil de la campagne(voir par ex. http://www.liberation.fr/politiques/2017/04/10/comment-les-candidats-financent-ils-leur-campagne_1561826).

En droit commun, l’art. L. 52-12 du Code électoral prévoit : « La commission [la CNCCFP] assure la publication des comptes de campagne dans une forme simplifiée », sans autre stipulation. Seule l’élection présidentielle obéit à un régime spécifique défini par l’art. 2 de la loi organique n°2006-404.

Aussi, « Par dérogation au quatrième alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral, les comptes de campagne des candidats [aux élections présidentielles] sont publiés par la commission [la CNCCFP] au Journal officiel dans le mois suivant l’expiration du délai prévu au deuxième alinéa du même article L. 52-12 [délai de dépôt du compte de campagne et de ses pièces justificatives à la CNCCFP, soit 18 heures le 10ème vendredi suivant le premier tour de scrutin] ».

Aucune donnée financière n’est donc officiellement portée à la connaissance de l’électorat pendant la campagne.

II – Une forme simplifiée

La publication des comptes de campagne présidentielle prend une forme simplifiée arrêtée par la CNCCFP, à savoir, pour chaque candidat :

  • Page de garde du compte de campagne signée du candidat (engageant par là-même sa responsabilité juridique quant aux informations fournies) et de son mandataire ;
  • 4ème de couverture du compte de campagne comprenant l’identification du mandataire, du compte bancaire de campagne et le visa de l’expert-comptable ayant assuré la mission légale de mise en état d’examen du compte de campagne ;
  • Annexe 1 du compte (état des recettes de campagne) ;
  • Annexe 12 du compte (état des dépenses de campagne) ;
  • Et, novation depuis la loi organique n°2016-506, « chaque compte comporte en annexe une présentation détaillée des dépenses exposées par chacun des partis et groupements politiques qui ont été créés en vue d’apporter un soutien au candidat ou qui lui apportent leur soutien, ainsi que des avantages directs ou indirects, prestations de services et dons en nature fournis par ces partis et groupements».

En application des art. 2 et 4 de la loi n°2006-404, la CNCCFP se prononcera sur les comptes dans les 6 mois de leur dépôt. Les décisions de la Commission seront publiées (en cas de recours, la responsabilité de la publication incombe au Conseil Constitutionnel) et feront état des réformations éventuellement retenues dans une forme condensée.

III – Quelques enseignements

Outre la rentabilité de la dépense électorale, évaluée à l’aune des suffrages obtenus (voir notamment http://lelab.europe1.fr/benoit-hamon-a-depense-658-pour-chaque-voix-obtenue-a-la-presidentielle-3406403), plusieurs aspects peuvent être mis en exergue à l’occasion de cette première publication officielle (avant examen par la CNCCFP).

Seuls 18 partis sur environ 340 reconnus (soit 5 %) auraient participé à cette campagne, pourtant clé de voûte du système électoral français, à savoir :

DUPONT AIGNAN LE PEN MACRON HAMON ARTHAUD POUTOU CHEMINADE ASSELINEAU LASSALLE MELENCHON FILLON
DLR FN EM PS LO NPA S&P UPR Aucun Annexe non publiée au JO FORCE REPUBLICAINE
AGIR AU QUOTIDIEN AVEC NICOLAS DUPONT-AIGNAN RBM MODEM ELPIS LR
ENTREZ EN RESISTANCE COTELEC ECOLOGISTE !
DLF LES JEUNES AVEC MACRON

Un seul d’entre eux aurait contribué au financement de deux campagnes : Debout la République/Debout la France (Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen).

Notons que plusieurs de ces formations sont bien connues du grand public et traduisent la coloration politique et les accords électoraux passés par les candidats (ex. du Modem avec le candidat Emmanuel Macron).

A l’inverse, certaines de ces formations, plus confidentielles, apparaissent davantage comme liées au candidat soutenu.

Il est à relever que les 2 candidats présents au second tour sont ceux ayant été soutenus par le plus grand nombre de formations politiques (4).

Ainsi, pour la campagne d’Emmanuel Macron, 4,2 M€ de dépenses ont été directement réglées par les formations politiques, 5 M€ ont transité par les partis politiques (sur un budget de campagne de 16,7 M€).

La contribution des formations politiques semble alors, dans bien des cas, décisive à l’atterrissage budgétaire de la campagne. Dans une certaine mesure, ces flux financiers sont un démenti à ceux qui annoncent la mort prochaine des partis politiques. Mais en sont-ils pour autant un signe suffisant de vitalité, en particulier démocratique ?

Le recours à l’emprunt a été également déterminant (de 15 à 94 % des recettes de campagne). Cette source de financement n’est minoritaire que pour 3 candidats : F. Fillon (financement principalement issu d’une contribution définitive du parti Les Républicains) ; J. Cheminade (importance relative de l’avance forfaitaire octroyée par l’Etat) et N. Dupont-Aignan (importance relative des dons de personnes physiques et des concours en nature des formations politiques).

Les candidats ont emprunté à titre personnel et/ou auprès des partis politiques.

D’où les nouvelles mesures de transparence en matière d’origine des fonds édictées par la loi du 6 mars 2017 et applicables à toutes les élections autres que présidentielles (dans l’attente d’une loi organique sur le sujet).

La revue des dépenses de campagne, abondamment commentée par la presse (cf. par exemple http://www.leparisien.fr/politique/les-petits-secrets-des-comptes-de-campagne-09-08-2017-7183284.php), apparaît quant à elle comme un révélateur de la mutation dans le temps des pratiques politiques. Dépenses de conseils en communication ou propagande audiovisuelle sont ou deviennent des postes de dépenses de premier ordre, et ce concurremment à la propagande imprimée et aux réunions publiques. Ces derniers, bien qu’avec une technique parfois renouvelée – ex. des hologrammes – demeurent en effet des canaux d’expression incontournables pour les candidats.

L’examen des dépenses traduit des différences notables entre les stratégies de campagne, conditionnées par le budget dont a pu disposer chaque candidat et la « barre » des 5 % de suffrages exprimés (dont le dépassement équivaut, en vertu de l’art. 3 de la loi organique n°62-1292, à un remboursement des dépenses de campagne exposées à hauteur maximale de 47,5 % du plafond applicable).

Conclusion

Comme à chaque scrutin (et avec une résonance médiatique d’autant plus forte qu’il s’agit d’une élection présidentielle), les comptes de campagne ont donné lieu à fantasmes et commentaires.

Pour en réduire la portée, deux objectifs mériteraient d’être mieux conciliés :

  • Eclairer l’opinion avant son vote sur la stratégie financière de campagne des candidats ;
  • Objectiver et fiabiliser l’information communiquée.

La première publication des comptes déposés, a posteriori de l’élection et avant examen par la CNCCFP, ne répond pas à cette double problématique.

Mais l’accélération du rythme des campagnes présidentielles permet-elle une meilleure transparence, dans un contexte dépassionné et en amont de l’élection ?

A ce stade, la question demeure posée.

Matthieu Sannet