Alors que tous les repères classiques semblent perdus dans cette élection présidentielle, que peut-on penser d’Emmanuel Macron ? Au delà de l’aspect politique immédiat, la candidature de M. Macron interroge le système français au sens où celui-ci fait une place de choix aux partis politiques et à l’Etat dans le financement des campagnes électorales. Comment Emmanuel Macron finance-t-il cette campagne et surtout ce financement est-il facilement conciliable avec le système français ? Emmanuel Macron n’est-il pas une manifestation éclatante de l’avancée de la démocratie du public, au sens de Bernard Manin, en France ? Analyse par un nouvel auteur, Julien Bonnivard, étudiant du Master 1 de droit public à l’Université de Grenoble. Merci à lui et bonne lecture !
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L’académicien Jean d’Ormesson déclarait début 2017 avec un ton malicieux que, « Macron c’est le grand flou. Entre l’électeur de gauche et l’électeur de droite qui votent pour Macron, l’un des deux, forcément, sera cocu, mais toute l’intelligence de Macron est de faire croire à l’un que ce sera l’autre et inversement ». Quoiqu’il en soit, ce personnage sibyllin attise sciemment les fantasmes sur son ascension politique grâce au flou de sa campagne. Mais un certain mystère règne également autour des conditions de financement de sa campagne électorale, alors même que son profil (absence de rattachement ancien à un parti politique, soutien par des personnes physiques aisées) cadre mal avec ce que l’on a l’habitude de voir en France, pays où le financement politique est très réglementé.
Dans un horizon de transparence financière, les articles L52-4 et L52-12 du Code électoral, exigent que tout candidat déclare, en préfecture, un mandataire unique, chargé de tenir un compte bancaire unique dans lequel figurent les recettes et les dépenses de campagne. La loi organique du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel régit cette élection et prévoit l’application de certaines dispositions du code électoral, notamment l’article L52-4 prescrivant l’obligation au mandataire de retracer les recettes et dépenses du candidat un an avant le mois de l’élection, soit pour cette fois le 1er avril 2016 (la durée du contrôle financier est restée de 1 an pour l’élection présidentielle en application de la loi du 25 avril 2016, alors qu’elle a été diminuée à six mois pour les autres élections). Les recettes d’une campagne électorale proviennent directement de financements privés et indirectement de financements publics car les partis politiques reçoivent entre autres l’aide publique d’Etat calculée en fonction des résultats aux élections législatives et du nombre de parlementaires qui déclarent s’y rattacher. Emmanuel Macron se vante d’être un candidat « hors système » parce que son parti est nouvellement créé : aucun élu ne porte donc ses couleurs et par conséquent il ne dispose pas de cette aide publique. Mais qu’adviendra-t-il s’il atteint le siège du pouvoir ? Sa future majorité parlementaire lui procurera ce précieux sésame. Mais dans l’attente, il doit pour sa campagne faire avec l’encadrement législatif français.
Les dons
Tout d’abord, l’article 52-9 du Code électoral affirme que les dons ne peuvent être encaissés que par l’intermédiaire du mandataire, soit à partir du 1er avril 2016, dans le respect de la loi organique précitée. Ils peuvent être directement destinés à sa candidature ou dirigés envers la formation politique qui le soutient. Selon l’article 52-8 du Code électoral, conformément à la loi organique du 6 novembre 1962, une personne physique peut uniquement accorder un don maximal de 4600€ à un candidat pour toute l’élection présidentielle quelle que soit la candidature soutenue. Ces mêmes dispositions rappellent que les dons numéraires confiés aux partis politiques par une personne physique se plafonnent à 7500 € par an et depuis la loi du 11 octobre 2013 par donateur, dans un objectif d’endiguer le financement par le biais de micros partis. Ces généreuses intentions offertes au candidat et à son parti politique sont cumulables par une même personne physique. De ce fait, les personnes physiques sont légalement invitées à financer la campagne. Cependant, on notera une spécificité de l’élection présidentielle qui pourrait gêner M. Marcon : la loi de 1962 prohibe les hypothétiques prêts d’un candidat contractés auprès d’une personne physique, ce qui limite le champ d’intervention possible des grands donateurs.
La candidature d’Emmanuel Macron entraîne une certaine fascination de la part des commentateurs politiques, il multiplie, les rencontres à New York, à Londres, à Paris et à Beyrouth afin de lever les financements nécessaires à sa campagne électorale. Ce virtuose de la finance passe par les levées de fonds privés ce qui serait une première pour un candidat ayant plutôt une position satellitaire à l’égard du parti socialiste. Il pratique une démarche de campagne assez impétueuse par rapport à la doctrine suivie originellement par ce camp. Il est indéniable que sa candidature s’inscrit sur un engouement partisan qui lui a permis de réunir une coquette somme de 3,9 millions d’euros, soit 14 000 donateurs dont 220 auraient donné plus de 5000 euros selon son porte parole Sylvain Fort.
L’apport personnel
A partir de la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel, tout candidat obtient une avance forfaitaire de 153 000 euros versée par l’État. Pour le reste, notre ancien ministre devrait contracter un prêt de 8 millions d’euros pour les uns et 9 millions pour les autres portant ainsi un budget conséquent de 11,9 à 12,9 millions d’€. Ce choix est très important mais il est rationnel car fixé sur la base des remboursements attendus donnés par l’Etat : en effet le remboursement des dépenses de campagne prévu par la loi est de 4,75% du plafond des dépenses électorales pour les candidats présents au premier tour ayant recueilli moins de 5% des suffrages exprimés, soit 800000 euros environ, mais il s’élève à 47,5% du plafond dès lors que le candidat obtient 5% des suffrages exprimés ou naturellement s’il est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, soit 8,5 millions pour le premier tour et 11 millions pour le candidat qui accède au second tour. En contractant des prêts de ce montant, Emmanuel Macron démontre qu’il compte dépasser le seuil des 5% des suffrages exprimés.
Cependant, cela risque d’être insuffisant pour mener le combat électoral jusqu’à son terme, que ce soit le premier tour ou le second tour. En effet, le plafond légal est fixé par le décret du 30 novembre 2009 cantonnant les dépenses pour le premier tour à 16,851 millions d’euros et à 22,509 millions d’euros pour le second tour. En l’occurrence ces fonds seront-ils assez suffisants pour mener la campagne jusqu’à sa fin ? Cette dernière ne s’essoufflera-t-elle pas aux vues des différents péchés de gourmandise autour de ses précédents meetings ? En effet, son grand meeting et ses trois autres réunions au Mans, à Strasbourg et à Montpellier ont coûté 400 000 et 300 000 euros.
Sans doute, Emmanuel Macron continuera à solliciter des dons auprès de nombreux sympathisants tous aussi diversifiés qu’ils soient. Mais encore, il peut alors prendre le risque d’augmenter le montant de son emprunt, ou peut-être hypothéquer une partie de ses biens fonciers sachant qu’une partie de ceux-ci servent déjà à gager son prêt.
Les autres recettes
Pour redonner un souffle, de la vigueur financière pour les fins de campagne qui s’annoncent rudes, va t-il s’adonner à la vente de produits dérivés ? Un florilège de mugs, de goodies, de pin’s et autres posters à son effigie vont-il venir enrichir sa campagne ? Ces particularités de financement sont prévues par la loi et trônent aux côtés des dons comme d’autres recettes d’une campagne électorale. De plus, à ce jour, il n’y a pas de gains tirés de l’adhésion des 185 966 adhérents car l’adhésion au mouvement « En marche » est gratuite. De même, la contribution des élus est quasi inexistante puisqu’il n’y a pas d’élus aux couleurs de ce rassemblement politique ; bon nombre d’entre eux sont encore membres du parti socialiste. Mais, pour les quelques élus issus des formations politiques de gauche et de droite, ils peuvent verser tout ou partie de leur indemnité envers ce parti politique formé il y a fort peu ; celle-ci n’est pas soumise au plafond. Par ailleurs, tout mouvement politique peut être désigné comme légataire d’une libéralité, cette dernière consiste à transmettre gratuitement un ou plusieurs biens d’un défunt, qui est faite de son vivant par testament et ne prend effet qu’à son décès. Le défunt parrain d’Emmanuel Macron et mécène de la deuxième gauche, Henry Hermand, aurait pu transmettre une intention testamentaire à ce jeune mouvement politique.
L’interdiction des financements par des personnes morales
Par ailleurs, en ce qui concerne le financement octroyé par des personnes morales, l’article 11-4 alinéa 3 de la loi du 11 mars 1988 dispose que seuls les partis politiques sont autorisés à financer une campagne électorale, ainsi toute contribution d’une autre personne morale est formellement interdite. L’alinéa 2 de l’article 52-8 interdit tout don ou fourniture de biens, de services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués émanant de toute personne morale à l’exception des partis politiques. Il pèse sur l’ex-inspecteur des finances publiques, une accusation non dénuée d’intérêt concernant une affaire dite des « frais de bouche ». Aux prémices de l’année 2016 alors qu’il préparait sa pré-candidature, il se serait servi de 80% de l’enveloppe ministérielle, de ses conseillers, pour orienter ses déplacements et interventions en vue de la prochaine campagne présidentielle, soit 120 000 euros sur un total de 150 000 euros annuels. Les preuves de ce possible financement par une personne publique sont difficiles à rapporter, à retracer. Concrètement, la Cour des comptes, chargée de contrôler le seuil de ces dépenses, sanctionne les dépassements manifestes et n’apprécie aucunement le bien fondé des dépenses. Si ces allégations seraient avérées, notre ex-ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique pourrait-il assister au rejet de ses comptes de campagne par la CNCCFP ?
Pour ce faire, il faudra procéder à une vérification précise de la date des faits, sachant que sa démission du gouvernement remonte au 31 août 2016. En effet, Emmanuel Macron a lancé son mouvement politique le 6 avril 2016 pour être en corrélation avec l’encadrement juridique du contrôle financier de la campagne présidentielle et pouvoir récolter des dons à cet effet, à partir du 1er avril. En conséquence, lorsqu’il était encore ministre, des démarches informelles dans ses déplacements ministériels dans l’optique de récolter de futurs fonds pour sa future campagne ont pu être prodiguées avant le 1er avril 2016. Sans doute, la construction des fondations de son parti en dépendaient. Mais la commission sur cette date n’exerce aucun contrôle et Emmanuel Macron peut s’exposer à des poursuites pénales sur le fondement du détournement de fonds publics, mentionnées à l’article 432-15 du Code pénal. Ce délit est puni d’une peine de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros. Mais ses comptes de campagne pourraient ne pas être impactés… En revanche, si ces démarches informelles apparaissent après le 1er avril, le contrôle de la CNCCFP est effectif.
Emmanuel Macron, figure de proue de la « démocratie du public » ?
En somme, cette candidature inattendue bouscule les quelques habitudes de financement des partis politiques traditionnels. Par ailleurs, elle posera également des difficultés au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel s’agissant de la régulation du temps de parole puisque prédomine une équité entre les candidats et ce jusqu’au début de la campagne officielle, qui sera le 10 avril, et que Emmanuel Macron caracole à la tête de nombreux sondages.
Plus globalement, Emmanuel Macron par sa candidature et qui plus est, s’il était élu, ne donnerait-il pas une assise définitive à la démocratie du public, conceptualisée par Bernard Manin ? De façon révélatrice, il a déclaré récemment au journal du dimanche que « c’est une erreur de penser que le programme est au cœur d’une campagne électorale. La dimension christique, je ne la renie pas ; je ne la revendique pas ». Pour lui la politique c’est « mystique ». Il est vrai que pour le moment son travail de persuasion repose sur des déclarations vagues et un programme politique laconique. Notre ancien locataire de Bercy incarne pour le moment, une candidature principalement personnifiée. Sur ce point, la candidature d’Emmanuel Macron pourrait bien représenter le conflit entre un ancien modèle, celui de la démocratie des partis, dont rendrait compte le fonctionnement actuel du financement des campagnes, au nouveau modèle de la démocratie du public.
Quel système l’emportera ?
Julien Bonnivard