Les primaires Les Républicains sont donc un grand succès médiatique et populaire. La formule, semble-t-il, fonctionne et la France s’y fait, malgré les institutions de la Vème République qui, au moins le croyait-on au début, semblaient s’y opposer. Au contraire, tout semble indiquer que, les habitudes ayant la vie dure, cette pratique tende à renforcer la présidentialisation de notre système.
De façon peut-être moins fondamentale mais néanmoins importante, le succès de la formule tient aussi du fait que les primaires permettent dans une certaine mesure de contourner les règles – et surtout en France les interdictions – classiques du droit des campagnes électorales. La réglementation française étant encore focalisée sur les candidats, les partis ont pu s’engouffrer dans la brèche. Pour le dire très simplement, les primaires ouvertes permettent donc de faire campagne au delà de ce qu’il est possible de faire lorsqu’on n’organise pas de primaires ouvertes, ce qui participe de leur succès.
Les primaires, contournement des interdictions de propagande
Le droit français des campagnes électorales est très restrictif. S’il existe un principe de liberté, dans la mesure où les candidats bénéficient de la liberté d’expression et de réunion, de nombreuses techniques de propagande sont interdites six mois avant le premier jour du mois d’une élection.
En vertu de l’article L. 50-1 du code électoral, pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, aucun numéro d’appel téléphonique ou télématique gratuit ne peut être porté à la connaissance du public par un candidat, une liste de candidats ou à leur profit. En vertu de l’article L. 51, tout affichage relatif à l’élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l’emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu’en dehors des panneaux d’affichage d’expression libre lorsqu’il en existe. En vertu de l’article L. 52-1, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. Par ailleurs, à compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin.
Six mois avant le mois de l’élection, de nombreux instruments de campagne électorale ne peuvent donc normalement être utilisés. Cependant, dans une certaine mesure, il semble que les primaires puissent échapper à cette interdiction au sens où l’élection primaire n’est pas une élection officielle visée par le code électoral. Et ce n’est même pas une question de délai, puisque les interdictions commençant six mois avant le mois de l’élection, les interdictions de propagande applicables à l’élection présidentielle ont commencé à courir le 1er octobre 2016. En pratique, toute publicité commerciale relative à la campagne électorale d’un candidat à la présidentielle est donc d’ores et déjà interdite.
Cependant, la veille du scrutin, on a pu trouver dans des journaux des publicités appelant clairement à aller voter à la primaire. Ce fut le cas notamment dans la presse quotidienne régionale. Une telle pratique serait clairement prohibée pour un candidat, mais elle est réalisée pour un parti politique. Un exemple de contournement des interdictions de propagande électorale. Mais ce que le premier.
Les primaires, contournement de la régulation des temps de parole
On le sait, pour l’avoir déjà vu sur ce blog, les temps de parole font l’objet d’une régulation spécifique pendant la campagne électorale. Or, les primaires échappent à cette régulation, comme vient de le démontrer la primaire Les Républicains qui a été l’objet d’une véritable saturation médiatique, mais comme l’a auparavant révélé, comme on avait pu le souligner sur ce blog, la recommandation n°2016-2 du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du Président de la République.
En effet, alors que la régulation des temps de parole commençait depuis 1995 à partir du 1er janvier – elle commença même en décembre en 2007 – le CSA ne fait commencer cette période de régulation que le 1er février 2017 pour la prochaine élection présidentielle. Ce changement a très certainement un lien avec les primaires et les difficultés à les intégrer pour le moment dans le système de régulation.
En effet, la question des primaires n’est pas résolue par le CSA, alors que dans la mesure où elles anticipent les élections et « polarisent » l’attention des médias, la mise en place d’une régulation de celles-ci présente un enjeu fondamental. De ce point de vue, il n’est pas certain que la période actuellement prise en compte par le CSA pour la régulation suffise, car cela conduit à placer le débat des primaires hors période électorale, sachant que la régulation applicable hors période électorale est beaucoup plus souple et se fonde sur la représentation parlementaire plus que sur une logique de démocratie continue.
Dans un moment où les primaires se généralisent, le CSA aurait pu le prendre en compte en remontant encore dans le temps sa période de régulation : suite à la présidentielle de 2012, il avait engagé une réflexion sur cette question. Cependant, il a reçu de la part des médias une sorte de fin de non-recevoir, comme il l’indique dans un rapport de 2015 : « à ce titre, la concertation engagée par le Conseil n’a pas suscité de demandes formelles de la part de ses interlocuteurs tendant à ce qu’une régulation spécifique aux élections primaires soit mise en œuvre. Toutefois, certains d’entre eux ont suggéré que le Conseil puisse exercer, à la demande des intéressés, un rôle de bons offices ».
Sachant cela, alors que les primaires socialistes se tiendront les 22 et 29 janvier 2017, comment interpréter le fait que le début de la régulation ait été déplacé du 1er janvier au 1er février 2017 autrement que par rapport aux primaires ? Trois considérations ont pu conduire à cette décision: accorder une plus grande liberté aux médias suite au mouvement impulsé par le Conseil constitutionnel, respecter une sorte de principe d’égalité en n’appliquant pas aux primaires socialistes une régulation qui n’aurait pas été appliquée aux primaires des Républicains de novembre 2016, mais aussi, et en cela la décision du CSA est plus contestable, éviter une confrontation avec les médias, ce qui pose le problème de la polarisation de ceux-ci sur les primaires et l’avantage qu’elle procure dès lors aux partis qui en organisent au détriment des autres. Dans nos sociétés médiatiques, il s’agit d’un avantage comparatif très important des primaires.
Les primaires, contournement de la loi sur le financement des campagnes
Dans une certaine mesure, et même si cela tend à se réduire, les primaires accordent un avantage comparatif du point de vue financier. Et cela, sans même parler du bénéfice que les Républicains tireront des deux euros fois par tour et par votant et qui bénéficiera au vainqueur…
La réglementation sur le financement de la campagne présidentielle commence 1 an avant le mois de l’élection, soit pour l’élection présidentielle à partir du 1er avril 2016, c’est à dire bien avant la primaire. Aujourd’hui (et contrairement à la situation qui prévalait en 2012, la CNCCFP ayant sur ce point fait évoluer sa position), l’intégration des dépenses liées à l’élection est primaire est large pour le candidat vainqueur. Dans le dernier guide pour l’élection de 2017 mis en ligne le 4 mai 2016, la CNCCP considère que « Les dépenses exposées par le candidat désigné à l’issue d’une primaire, ouverte ou non, visant à sa promotion personnelle et à celle de ses idées auprès de personnes autres que les seuls adhérents du ou des partis organisateurs de cette primaire seront considérées comme des dépenses électorales devant être intégrées, ainsi que leur contrepartie en recettes, dans son compte de campagne de candidat à l’élection présidentielle ».
En somme, toutes les dépenses de propagande directe effectuées par François Fillon ou Alain Juppé devront figurer au compte de campagne pour l’élection présidentielle. La Haute autorité pour les primaires a fixé le montant maximum à 1,5 millions d’euros pour la primaire… ce qui est déjà bien au delà des 330.000 euros imputés au compte de campagne de François Hollande pour 2012. Il faudra voir aussi en 2017 de quelle façon la CNCCFP impute ces dépenses en pratique.
En revanche, il existe deux limites à cette imputation qui permettent à la primaire de dépenser beaucoup d’argent sans que cela ne soit nécessairement imputé dans les comptes de campagne du candidat à la présidentielle.
D’une part, le guide précise que « Les dépenses engagées, pour leur propre compte, par les autres « pré- candidats » durant la période considérée n’ont pas à figurer au compte de campagne du candidat désigné ». C’est à dire l’ensemble que les dépenses effectuées par l’ensemble des autres candidats (de Nicolas Sarkozy à Frédéric Poission) ne seront pas prises en compte, alors même que ces personnes accorderont ensuite leur soutien au vainqueur. En somme, la propagande des autres candidats constitue pour le candidat vainqueur de la propagande gratuite du point de vue du compte de campagne, solution qui par exemple serait différente dans le cadre d’un scrutin de liste.
D’autre part, les différents frais d’organisation (acquisition des listes électorales, locations de salles, informations sur la primaire, matériel de vote, etc.) restent à la charge du parti et n’ont pas à figurer dans le compte de campagne du candidat vainqueur. Si cette solution est conforme à la jurisprudence au sens où ces dépenses ne sont pas directement engagées pour convaincre les électeurs, force est de constater que pour la primaire ces dépenses ne sont guère souterraines mais très visibles, d’autant qu’elles constituent la réplique d’un rituel républicain, comme nous l’avons dit la semaine dernière sur ce blog. Il s’agit donc d’un autre moyen de se faire beaucoup de publicité sans que ces dépenses ne figurent dans le compte.
En somme, il est clair que l’état du droit positif conduit à n’imputer sur le compte de campagne du candidat vainqueur qu’une faible partie des dépenses de la primaire… cette solution est-elle encore pertinente ?
Conclusion
Phénomène nouveau et caractéristique de la démocratie continue, les primaires ont donc bien du mal à être domestiquées par notre régime juridique restrictif des campagnes électorales. Elles permettent de contourner dans une certaine mesure les interdictions de publicité commerciale, la régulation des temps de parole, les règles sur les dépenses électorales. Ce faisant, elles donnent un avantage comparatif incontestable aux partis qui en organisent au détriment des autres, ce qui participe sans doute de leur succès. De quoi encourager les primaires de la Belle Alliance Populaire ?
Romain Rambaud