02/05/2016 : Les règles électorales d’investiture du candidat républicain : de la complexité en Amérique [par un nouvel auteur, Pierre-Maxime Sarron]

« L’élection du Président est une
cause d’agitation, non de ruine. »
Tocqueville

téléchargement (4)Les amis de la langue de Shakespeare l’ont compris, TRUMP signifie en anglais « atout ». Un paradoxe pour une large partie des cadres du parti de Lincoln et de Reagan qui voient dans ce trublion des primaires conservatrices un échec assuré à la présidentielle. Avec une succession de victoires fin avril, TRUMP efface les hésitations des primaires du Wisconsin, restreint les espoirs de l’outsider Ted CRUZ et invite les stratèges à revoir leurs copies.

Pour autant les jeux sont-ils faits ? Rien de moins sûr dans ce système de nomination aussi inventif et imprévisible que la Nation qui l’a produit. Les rebondissements ne cessent de se succéder et la « convention contestée » imaginée dans la saison 4 de House of Card semble faire pâle figure face à la réalité des cliffhanger électoraux du Grand Old Party.

téléchargement (6)Afin de comprendre ce processus séquentiel de la primaire, topique du système bipartisan américain, un temps descriptif revenant sur le vocable et les modalités techniques de ces élections est nécessaire avant de se focaliser sur les stratégies à la disposition du candidat TRUMP pour imposer son investiture lors de la Convention Nationale. Le présent article sera consacré à la description du système des primaires. Un autre article publié très bientôt reviendra sur ces stratégies.

Les règles électorales de la « saison des primaires » : de la diversité en Amérique.

téléchargement (5)Aux Etats-Unis, 56 Etats et territoires participent à ce processus démocratique. Tous les quatre ans, les deux grands partis américains nomment leurs candidats à l’élection présidentielle, tous les quatre ans les électeurs et les médias s’interrogent sur la complexité de ces primaires américaines : « Pourquoi de telles différences entre Etats fédérés ? Pourquoi une telle atomisation? Pourquoi des caucus plutôt que des primaires ? Quel poids pour les délégués du Texas? Quel mode de scrutin dans le Tennessee ? … ». Pour répondre à ces questions, il est impératif de sortir de la vision centralisatrice française pour s’ouvrir aux subtilités et à la diversité du « fédéralisme électoral » américain.

Le système de sélection par primaire est, côté démocrate ou républicain, un processus séquentiel. La première étape prend corps dans l’allocation et la désignation des délégués. Ainsi, primaire ou caucus sont organisés au niveau fédéré. La convention nationale, organisée au niveau fédéral, afin d’élire officiellement le candidat à la présidentielle, sera la seconde étape.

L’évolution du processus des primaires du GOP

imagesLe parti républicain n’a pas le monopole des primaires. Si le GOP[1] est fondé en 1854, les premières conventions nationales de désignation existent depuis les années 1830. Ces événements étaient alors qualifiés de « chambres remplies de fumée » (« smoke-filled rooms ») soulignant par-là l’opacité du processus électif. Au XIXème siècle, les Etats fédérés ont généralisé les primaires afin d’une part de déterminer les engagements des délégués et d’autre part d’indiquer les préférences de l’électorat. Les délégués n’étaient pas liés et les processus étaient qualifiés diversement de « primaires consultatives » (« advisory primaries ») de «concours de beauté» (« beauty contests »), ou encore de « sondages de paille» (« straw polls »).

téléchargement (8)En 1968, en marge de la Convention Nationale Démocratique de Chicago, des mouvements d’extrême gauche souhaitaient imposer leurs poids politique dans les primaires du parti progressiste. Ces évènements ont incité le Parti National Démocrate à réformer son processus de nomination. La nouvelle logique s’inspirait des travaux de la commission McGovern-Fraser qui tendaient à démocratiser et à rendre plus transparents les processus de nomination. Dynamique qui aura une influence jusque dans le camp républicain sans toutefois que le GOP ne nationalise les règles ou que la proportionnelle devienne une règle.

De plus, afin de marginaliser les candidats extrémistes, la règle des « super délégués » fut instaurée à partir des années 80 chez les démocrates. Ces « unpledged party leader and elected official delegates[2] sont des délégués nommés automatiquement du fait de leur statut dans le parti. Cette prime aux cadres adoucit mécaniquement « les passions » politiques. Fort de ces réformes, les primaires de 1972 apparaissent comme la première campagne de l’ère «moderne» de la politique présidentielle.

téléchargement (9)Côté républicain, si des réformes ont également été adoptées, les inclinations philosophiques du parti n’ont jamais favorisé une logique allant à l’encontre de la diversité des choix des Etats fédérés. Le parti a donc persévéré avec des règles « buttom up » favorisant les plébiscites populaires mais avec une variable majeure : l’électorat républicain était réputé très discipliné et donc soutenant son establishment. C’est pourquoi la montée de D. TRUMP est historique et marque une certaine rupture.

Ainsi, en permutant les modalités des primaires des démocrates et des républicains, il y a tout lieu de penser que B. SANDERS (candidat d’obédience socialiste) serait plus proche de la nomination et D. TRUMP plus éloignée.

L’année 2016 marquera l’entrée en vigueur de nouvelles règles lors des primaires du GOP[3]. Ainsi, l’introduction de la proportionnelle pour les Etats votant avant le 16 mars et la volonté de retarder les scrutins en « winner takes all/most » ont favorisé le suspens que connait la primaire 2016. Toutefois le processus républicain est encore incroyablement bigarré et sa rationalisation peu probable dans un avenir proche[4].

Nombre de délégués par Etat[5]

Carte 1
Nombre de DN par Etats  pour 2016

Déterminé en amont des primaires et des caucus et réglementé par les règles du parti républicain[6], le nombre de délégués Nationaux à la Convention est obtenu pour chaque Etat de la manière suivante :

(A ) 10 par Etat fédéré, (moins pour les territoires)

+ (B ) 3 par district du Congrès,

+ (C ) 3 membres des comités nationaux , (3 cadres)

+ (D ) une variable pour le nombre de républicains élus localement.

Cette addition se base en partie sur la démographie et sur le poids électoral du GOP dans l’Etat.

En 2016 le nombre de délégués est de 2 472 au total. Ces derniers seront alloués aux candidats à l’investiture républicaine encore en campagne. Là encore, les règles ne sont pas uniformes et doivent être analysées Etat par Etat.

Carte 3

Usuellement les modes d’allocation sont les suivantes :

-Par proportionnelle : l’allocation sera majoritairement proportionnelle aux résultats à l’échelle fédérée. Une combinaison avec des résultats par districts, reste possible.

-Par proportionnelle avec « Trigger » : proportionnelle avec des effets de déclanchement.

-Avec la règle « Winner- takes-all » : l’Etat attribuera l’ensemble des délégués au gagnant.

-En hybride : la répartition suivra une forme de « winner-takes plan ». (Winner- takes-all par district ou le “winner takes most)

Primaire, caucus, convention : quelles différences ?

Durant la « primery saison » les États et territoires utilisent deux méthodes de base pour élire les Délégués Nationaux; la primaire et le caucus. Ce premier temps ouvrira sur le second : la convention nationale.

Pour les républicains, le parti national définit certains paramètres généraux pour le processus de nomination mais laisse une liberté importante aux États fédérés. Par conséquent, il y a une variation importante dans la manière dont chaque État élit ses délégués à la Convention Nationale .

Carte 2

  • Primaire (82% des délégués) :

La primaire est une élection gérée par le l’administration de l’Etat fédéré, payée par les contribuables, et réglementée en partie par le système électoral de l’État en tant que joint-venture (co-entreprise) entre le parti et le gouvernement. Les électeurs inscrits sur les listes électorales participent à la sélection du candidat à l’investiture du parti comme dans une élection traditionnelle. Les primaires enregistrent un meilleur taux de participation[7] et nécessitent moins de temps pour l’électeur que pour les Caucus.

La typologie des différents types de primaires repose sur une distinction des corps électoraux impliqués dans les différentes primaires :

-Primaires fermées (Closed Primary): les électeurs peuvent voter uniquement s’ils sont membres inscrits du GOP. Ex : Florida, Kansas, Kentucky, New York

CNN-Photo-candidats-primaire-Primaires ouvertes (Open Primary): un électeur inscrit sur les listes électorales peut voter indépendamment de son appartenance à un parti. C’est « free for all ». En raison de la nature ouverte de ce système, une pratique connue sous le vocable de « party raiding  »  (traduisible par « jeu de maraudage ») est observable. Il s’agit d’une tactique électorale où des opposants au parti organisateur tentent de peser dans la désignation afin d’imposer un candidat plus faible ou prolonger les concurrences fratricides. Ce procédé fut utilisé notamment lors des primaires conservatrices de 2012, où de nombreux électeurs démocrates du Michigan ont voté pour Rick SANTORUM plutôt que pour le futur leader Mitt ROMNEY[14]Ex :Hawaii, Michigan, Georgia

-Primaires semi-fermées (Semi-Closed Primary) : s’il reprend les principes des primaires fermées, il permet toutefois aux électeurs non affiliés de participer au scrutin. Ex : Colorado, Iowa, Kansas, Massachusetts

-Primaires semi-ouvertes (Semi-Open Primary): un électeur inscrit sur les listes électorales ne doit pas déclarer publiquement son choix avant de rentrer dans l’isoloir. Dès lors, les partis politiques n’ont pas accès aux informations facilitant le démarchage et le ciblage électoral.

-Systèmes mixtes : Système ad hocEx : Virginie-Occidentale

Run–off primary – two-round system: en règle générale, cette élection est organisée si aucun candidat ne recueille la majorité des voix dans l’élection de la primaire. Ici, le bulletin de vote se limite aux deux meilleurs candidats favoris. Ex : Carolina du Sud, Alabama

  • Caucus (18% des délégués) :

images (1)Le caucus est une élection gérée par des bénévoles du parti républicain. Les membres du parti se réunissent localement et engagent leur soutien à leur candidat présidentiel favori à travers une série de réunions. Avec cette technique, la liberté d’organisation est plus grande et le processus de désignation plus lent[8].

Si dans certains caucus les participants écrivent simplement leur préférence sur un papier, les participants expriment généralement leur choix en se joignant à des groupes durant la réunion. Les partisans du candidat à la présidentielle élisent ensuite les délégués du groupe au niveau supérieur, habituellement aux conventions de comté, où le même processus est répété. Les délégués au congrès nationaux sont habituellement élus au niveau du district.

Les-Simpsons-imaginent-un-debat-gentil-et-joyeux-pour-les-primaires-americaines (1)Le format du caucus favorise les candidats qui ont une base militante organisée. En effet, un petit groupe de bénévoles dévoués peut exercer une influence disproportionnée[9] dans le choix final des délégués[10].

Cependant, deux arguments viennent plaider en faveur  des caucus :

  1. le coût : une primaire coûterait environ 2 millions $ au contribuable[11] pour un Etat comme le Kansas. Toutefois il est possible de combiner la primaire avec une autre élection afin de rationaliser les frais de votation. Mais cela n’est que rarement possible au vu du calendrier électoral de certains Etats.
  2. « Building Party» : Le parti politique utilise le processus du caucus pour engager des volontaires et obtenir des informations sur les électeurs actifs. Un atout important dans le maillage militant post-primaire et dans la dynamique de la campagne présidentielle.

Le choix des primaire ou des caucus et laissé à la diligence du parti local. Ainsi, dans l’Etat du Nebraska le parti démocrate organise des caucus et le parti républicain des primaires.

La Convention Nationale[12]:

Botsford_TRUMP_FL_16_03_05_13711457232251

Si le Washington District of Columbia brouille le vocable en nommant son caucus « Convention »[13], le terme de convention est principalement utilisé pour la grande réunion des délégués qui se réuniront à Cleveland lors de la Convention Nationale Républicaine du 18 au 21 juillet.

Au cours de la Convention Nationale, les Délégués Nationaux devront élire à la majorité absolue le candidat représentant le GOP à la présidentielle.  C’est lors de cette convention que le candidat investi par le parti républicain sera annoncé officiellement au public. Toutefois contrairement à la primaire 2016, cette nomination est souvent résolue en amont de la Convention, au cours de la saison des primaires, dès qu’un candidat peut prétendre à une majorité des délégués. Le rôle des conventions modernes est donc de ratifier officiellement les résultats de la saison des primaires et, par leur dimension souvent cérémonielle et médiatique, de marquer le début du processus d’élection présidentielle.

Conclusion

Le fédéralisme électoral américain est donc d’une très grande complexité. Il recèle alors autant de subtilités permettant aux candidats de développer leurs stratégies… qui seront étudiées dans le prochain article.

Pierre-Maxime Sarron

172f52c

 

 

Notes

[1] Grand Old Party : surnom du parti républicain américain

[2] Les grands électeurs représentent approximativement 1 délégué sur 6. « DELEGATE SELECTION RULES »

http://s3.amazonaws.com/apache.3cdn.net/3e5b3bfa1c1718d07f_6rm6bhyc4.pdf

[3] Rule 16(c)(1), The Republican National Committee, The Rules of the Republican Party, As Adopted by the 2012 Republican National Convention, Tampa, FL, August 27, 2012, amended by the Republican National Committee on April 12, 2013, January 24, 2014, May 9, 2014, and August 8, 2014, https://s3.amazonaws.com/prod-static-ngop-pbl/docs/Rules_of_the_Republican+Party_FINAL_S14090314.pdf.

[4] La plupart des plans de rationalisation sont imaginés via une logique régionale qui devrait être imposée par le législateur (Regional Presidential Primaries Plan,ichigan Plan, Ohio Plan…). Toutefois il existe une difficulté constitutionnelle entravant une action du Congres dès lors où les partis politiques sont des associations privées indépendantes consacrées par le 1er amendement.

[5] GOP: https://www.gop.com/

[6] Règle 14 de la “The Rules of the Republican Party » adoptée lors de la “Republican National Convention” de 2012

[7] United States Election Project, George Mason University, “2012 Presidential Nomination Contest Turnout Rates,” available at http://www.electproject.org/2012p.

[8] Exemple, les caucus républicains 2016 de l’Iowa a eu lieu 1er Février; la convention de comté le 12 Mars ; le caucus du district du Congrès le 9 Avril ; et la convention de l’Etat aura lieu le 21 mai.

[9] D. BELKIN “Paul Aims to Build on Caucus Groundwork”, 4/01/2012

http://www.wsj.com/news/articles/SB10001424052970204368104577139133911441356?mod=WSJ_hp_LEFTTopStories&mg=reno64-wsj&url=http%3A%2F%2Fonline.wsj.com%2Farticle%2FSB10001424052970204368104577139133911441356.html%3Fmod%3DWSJ_hp_LEFTTopStories

[10] TRUMP a critiqué cette dimension pour certains caucus tel que celui de Louisiane. TRUMP attire de nouveaux militants peu au fait des « us et coutumes » des caucus.

http://www.cnbc.com/2016/04/25/are-the-gop-rules-really-rigged-against-donald-trump-commentary.html

[11] Source GOP KANSAS

[12] https://www.ohiogop.org/