C’est par un communiqué de presse publié le 21 décembre dernier que la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique a annoncé qu’elle transmettait les dossiers de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen au procureur de la République financier, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
Qu’est-ce que reproche la Haute Autorité à M. et J.-M. Le Pen ?
Depuis la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les parlementaires européens ont l’obligation de transmettre une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts à la Haute Autorité, qui en assure la vérification, le contrôle, et pour la déclaration d’intérêts, la publicité.
Dans le cadre de ce contrôle, et à la suite d’une procédure contradictoire, elle a estimé qu’il existait un « doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité des déclarations, du fait de la sous-évaluation manifeste de certains actifs immobiliers détenus en commun par M. Jean-Marie Le Pen et Mme Marine Le Pen et, par ailleurs, de l’omission de biens mobiliers par M. Jean-Marie Le Pen ».
L’Obs croit ainsi savoir que le reproche fait aux Le Pen porte sur une sous-estimation d’environ 60% de leur patrimoine, la fraude atteignant ainsi plusieurs centaines de milliers d’euros pour la présidente du Front National et plus d’un million d’euros pour son président d’honneur. Par ailleurs, il semblerait également que la Haute Autorité reproche à Jean Marie Le Pen de ne pas avoir déclaré un compte qu’il possèderait en Suisse, ainsi que des lingots d’or. Notons que l’affaire des lingots d’or avait déjà été révélée par Mediapart en avril dernier, qui expliquait alors qu’une enquête avait été ouverte à la suite d’un signalement Tracfin.
Qu’est-ce que risquent M. et J.-M. Le Pen ?
Il est tout d’abord nécessaire de rappeler, tout en le déplorant, que la Haute Autorité ne dispose pas du pouvoir de sanctionner les responsables publics qui auraient produit une déclaration mensongère. En effet, le législateur a fait le choix de ne lui conférer aucune prérogative particulière et c’est donc sur le seul fondement du droit commun que la Haute Autorité peut agir en matière de sanctions. Elle doit ainsi, comme elle l’a fait, transmettre les dossiers qu’elle estime illégaux au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale qui prévoit que « le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ». Ce même article dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Il reviendra donc au procureur financier d’apprécier les suites à donner aux dossiers que la Haute Autorité lui a transmis. En toute hypothèse, dans le cadre de la procédure de contrôle des déclarations patrimoniales, les sanctions sont définies par l’article 26 de la loi du 11 octobre 2013. Il en ressort ainsi que le fait de d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou d’en fournir une évaluation mensongère est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende. A titre complémentaire, le tribunal peut prononcer l’interdiction des droits civiques pour une durée maximale de 10 ans.
S’agit-il d’une décision politique ?
A l’annonce de la décision de la Haute Autorité, Marine et Jean Marie Le Pen n’ont pas hésité à critiquer leur mise en cause au motif qu’elle serait politique. Marine Le Pen dénonça ainsi « une volonté de nuire désormais systématique et outrancière », son père, lui, « un harcèlement républicain, social et psychologique ». Cette rhétorique, désormais classique dès lors qu’un élu est mis en cause, ne semble cependant pas résister à l’analyse.
En effet, le bilan de la Haute Autorité permet de constater que les personnalités publiques mises en causes portent des étiquettes politiques variées. C’est ainsi que Yamina Benguigui, alors ministre déléguée socialiste chargée de la Francophonie, a été mise en cause en mars 2014, tout comme les députés Les Républicains Bernard Brochand et Lucien Degauchy ou encore le sénateur Bruno Sido en novembre 2014 et, plus dernièrement, le couple Balkany en mai 2015. A ce jour, ce sont donc treize dossiers qui ont été transmis à la justice par la Haute Autorité. Un seul d’entre eux, celui de Yamina Benguigui, a, à l’heure où nous écrivons ces lignes, fait l’objet d’un jugement. Ainsi, l’ancienne ministre a-t-elle été déclarée coupable par le tribunal correctionnel de Paris, tout en étant dispensée de peine, une décision qui contraste avec la volonté du parquet qui avait requis trois mois de prison avec sursis et 15 000€ d’amende. Il convient de noter que le parquet a fait appel de ce jugement, appel qui est encore pendant à ce jour.
En définitive, il est donc très clair que l’accusation de manipulation politique formulée par les Le Pen tient davantage de la rhétorique politicienne que de la réalité juridique. Au contraire, cette décision n’est qu’une confirmation supplémentaire de l’intérêt et de la pertinence du travail de la Haute Autorité qui devrait d’ailleurs voir ses prérogatives étendues dans le cadre du projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires.
Mehdi Taboui