Les mises au point prononcées par la Commission des sondages, on le sait, ne font pas l’objet de beaucoup de publicité. Pourtant, lors de ces élections régionales, qui se situent dans un contexte nouveau du fait de la fusion des régions et pour lesquelles ont été publiées un certain nombre d’enquêtes d’intentions de vote, plusieurs erreurs ont pu être soulevées par la Commission, donnant lieu au prononcé de mises au point.
Il semblerait donc que la Commission des sondages ait décidé de revenir un peu sur son rôle de « régulateur paisible » au profit d’une mission de police plus sévèrement exécutée. Il reste que le défaut traditionnel de cette méthode, à savoir le caractère peu compréhensible des mises au point, est confirmé.
Les mises au point de la Commission des sondages
La Commission des sondages a, à ce stade, prononcé trois mises au point.
La première est une mise au point du 3 novembre 2015 concernant BVA, s’agissant de la réalisation, entre le 6 et le 15 octobre 2015, pour le compte de l’Union de la presse régionale, de douze sondages relatifs aux élections régionales qui auront lieu les 6 et 13 décembre 2015, publiés par divers organes de presse le 23 octobre 2015. La Commission a soulevé des défauts méthodologiques, considérant qu’« alors même que la méthode retenue pour l’ensemble des douze sondages apparaît, à certains titres, discutable, la commission a décidé, compte tenu des justifications apportées par l’institut, de n’ordonner, sur le fondement de l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977, de mise au point qu’à l’encontre de trois d’entre eux. Les sondages relatifs aux régions Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Ile-de-France et Nord-Pas-de-Calais apparaissent en effet entachés d’un défaut de méthode qui ôte à leurs résultats leur caractère significatif ». La critique est assez sévère s’agissant de régions, notamment la région Nord-Pas-de-Calais Picardie, bien sûr essentielles du point de vue politique.
La deuxième mise au point a été rendue le 25 novembre 2015 contre un plus petit institut, Elysées consulting. La mise au point concerne un sondage relatif aux élections régionales en Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées, rendu public le 19 novembre lors d’une conférence de presse de M. Philippe Saurel. Elle dispose que « Les résultats de ce sondage sont dépourvus de caractère significatif en raison d’un défaut de méthode dans les modalités de constitution par un prestataire de l’institut de l’échantillon des personnes interrogées qui lui retire son caractère représentatif ». C’est donc ici un problème de constitution de l’échantillon dans le cadre d’une sous-traitance qui a posé problème.
Une troisième mise au point a été rendue le 26 novembre 2015 contre TNS-Sofres, un autre grand institut. Cette fois la mise au point est plus précise, puisque ce qui est sanctionné est le changement de méthode de redressement entre deux sondages de la même nature : « L’examen du sondage relatif aux rapports de force nationaux aux élections régionales, publié le 24 novembre 2015 par le Figaro, RTL et LCI, a permis de constater que l’institut n’avait pas appliqué pour ce sondage les mêmes méthodes de redressement que celles qu’il avait retenues pour le sondage réalisé le 29 octobre sur le même objet. Un tel changement de méthode a conduit TNS à publier des résultats différents de ceux qu’il aurait établis sur le fondement de la méthode antérieurement utilisée, faisant ainsi obstacle à toute comparaison entre les deux sondages ainsi qu’à toute évaluation pertinente d’éventuelles évolutions des intentions de vote entre les deux enquêtes ». Il s’agit ici d’une application d’un principe de constance dans les méthodes scientifiques dégagé de longue date par la Commission des sondages (Rapport de 2005, mise au point de la Commission des sondages du 31 mai 2011, Le Nouvel observateur / TNS-Sofres).
Une Commission des sondages plus sévère
Ces trois mises au point sont intéressantes car elles marquent un retour de la Commission des sondages à une plus grande sévérité. Même si, pour BVA,« la commission des sondages tient à souligner la bonne foi de l’institut et l’absence de toute manœuvre de sa part dans l’établissement des résultats publiés », et pour Elysées Consulting, » La commission ne met pas en cause la bonne foi de l’institut qui a réalisé le sondage », il reste que celle-ci a décidé de procéder à des mises au point, c’est à dire son pouvoir de sanction administrative le plus coercitif (même s’il s’agit du seul, puisque sinon la Commission n’a pour seul pouvoir que de saisir le juge pénal).
Ces mises au point sont par ailleurs remarquables notamment parce qu’elles visent des grands instituts, comme BVA et TNS Sofres. Ce n’est pas trahir un secret d’Etat que de dire que la Commission des sondages cherche à entretenir des relations cordiales avec les instituts de sondage, surtout les grands, et que cela la conduit souvent à préférer la négociation, la « régulation paisible » pour prendre les termes de son dernier rapport, que la sanction de la mise au point. La Commission des sondages revient donc ici à une plus grande sévérité, ce qui semble souhaitable surtout à propos d’élections nouvelles et difficiles à mesurer, aux enjeux politiques extrêmement forts, et pour lesquelles il convient donc mieux d’être prudents. De la régulation à la police. Une problématique décidément d’actualité.
Cette évolution est d’autant plus remarquable que dans un arrêt Avrillier de fin décembre 2014, le Conseil d’Etat a reconnu en dehors de la loi l’existence d’un pouvoir d’édiction de simples « communiqués » ne présentant pas la qualité de mises au point et donc n’ayant pas le caractère de sanction administrative. Le fait que la Commission des sondages n’ait pas utilisé en l’espèce ce pouvoir d’édiction de communiqués mais son pouvoir de mise au point traditionnel est très révélateur de ce retour à une certaine forme de sévérité.
Des sanctions restant inefficaces du point de vue de l’opinion publique
Si l’on peut estimer positivement ce retour à la police des sondages, il reste que les mises au point édictées par la Commission des sondages ne sont pas exemptes de toutes critiques. Celles que l’on peut faire sont habituelles.
En effet, si la mise au point est une sanction pour les instituts de sondages, elle est aussi et surtout en principe un moyen pour les citoyens, pour l’opinion publique, d’être alertée sur la mauvaise qualité d’un sondage, l’opinion publique étant en droit de savoir pourquoi. Or force est de constater que les mises au point en cause ne remplissent pas cet objectif.
Ainsi de la mise au point BVA. Tout d’abord, on peut noter que dans ce cadre la commission des sondages « a par ailleurs été saisie de trois réclamations qu’elle a décidé de rejeter », ce qu’il est difficile de comprendre en lisant la mise au point puisque celle-ci est effectivement prononcée. Surtout, le motif de mise au point n’est pas du tout explicité : « alors même que la méthode retenue pour l’ensemble des douze sondages apparaît, à certains titres, discutable, la commission a décidé, compte tenu des justifications apportées par l’institut, de n’ordonner, sur le fondement de l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977, de mise au point qu’à l’encontre de trois d’entre eux ». Il n’existe donc ici ni explication ni justification.
La mise aupoint Elysée Consulting n’est pas plus détaillée. Quant à la mise au point TNS, s’il est vrai qu’elle explique que le problème est lié à un changement proscrit de méthode de redressement des échantillons d’un sondage à l’autre, cependant, secret des affaires oblige, elle ne dit rien des critères de redressement en cause.
Un constat malheureusement classique. Il est donc heureux que la Commission ait décidé de revenir à plus de vigilance. Cependant cela ne suffira pas, car la pleine acceptation des sondages par les citoyens dépend aussi de la transparence de leur réalisation.
Romain Rambaud