Chers lecteurs, c’est avec grand plaisir que nous publions ci-dessous la première contribution au blog du droit électoral de Romain Bourrel, maître de conférences en droit public à l’Université Grenoble-Alpes, et membre, comme nous autres, du Centre de recherches juridiques (groupe de recherche sur l’Etat, l’administration, et le territoire). Bonne lecture !
Le bureau politique de l’UMP du 7 avril 2015 a adopté les modalités d’organisation de la primaire en vue de la désignation du candidat de la droite et du centre pour 2017. La droite française n’avait probablement pas anticipé un changement aussi radical dans les modalités de désignation de son candidat à l’élection présidentielle, tant les primaires semblent éloignées de ses habitudes. En effet, jusque là, soit le candidat de la droite s’imposait naturellement soit, comme en 1995 avec les candidatures concurrentes d’Edouard Balladur et de Jacques Chirac, les électeurs choisissaient au premier tour de la présidentielle le candidat qu’ils souhaitaient voir accéder au second tour.
Les primaires sont issues de la culture américaine dans laquelle les deux grands partis, le Parti démocrate et la Parti républicain, utilisent cette modalité de désignation de leurs candidats pour la course à la Maison blanche. En France, évoquer les primaires renvoie au processus mis en place par le Parti socialiste en 2011 et ouvert à l’ensemble des sympathisants de gauche.
L’organisation d’une primaire à droite en vue de 2017 se rapproche de ces deux exemples dans la mesure où elle a pour objectif de faire désigner un candidat unique de la droite républicaine par tous les sympathisants de droite, d’éviter ainsi la dispersion des voix et une éventuelle et humiliante élimination au premier tour par le Front national. Cette primaire est dite « ouverte » dans la mesure où elle permettra, sous certaines conditions, à l’ensemble des sympathisants de la droite et du centre de s’exprimer, à la différence de la primaire interne à l’UMP organisée en janvier 2007 en vue de la désignation de Nicolas Sarkozy qui n’était ouverte qu’aux adhérents du parti (Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs été désigné avec 100% des suffrages exprimés puisqu’il était l’unique candidat !)
La méthode d’élaboration de la charte
Les modalités d’organisation de la primaire pour 2017 ont été élaborées par un groupe de travail dirigé par le député Thierry Solère et auxquels participaient des représentants des candidats potentiels : s’agissant des prétendants les plus sérieux, Brice Hortefeux représentait Nicolas Sarkozy, Edouard Philippe représentait Alain Juppé, Bernard Accoyer représentait François Fillon et Damien Meslot représentait Xavier Bertrand. Pour l’essentiel, le bureau politique du 7 avril a repris les propositions du groupe de travail. Les règles retenues doivent être analysées à l’aune de la primaire organisée à gauche en 2011 et aux éléctions à la tête de l’UMP en novembre 2012 et novembre 2014. Plusieurs éléments sont à souligner.
Tout d’abord, le choix de la date de la primaire : elle aura lieu les dimanches 20 et 27 novembre 2016 (si deux tours sont nécessaires). Ce choix n’a rien d’anodin dans la mesure où la désignation du candidat marquera le début de la campagne de la droite : politiquement, débuter une campagne trop tôt peut-être préjudiciable, car elle peut s’essouffler avant le premier tour de la présidentielle ; débuter un campagne trop tard laisse la possibilité à ses adversaires de prendre un avantage indéniable difficile à rattraper par la suite (d’autant que Marine Le Pen est certaine d’être la candidate du Front national et qu’elle débutera sa campagne dès début 2016, une fois les éléctions régionales terminées).
Ensuite, les conditions pour présenter sa candidature ont été précisées par le bureau politique de l’UMP. Ces conditions sont essentielles car leur respect peut empêcher certains prétendants de candidater. Cependant, elles semblent suffisamment souples pour n’entraver aucune candidature sérieuse : tout candidat devra obtenir le parrainage de 20 parlementaires, le soutien de 250 élus d’au moins 30 départements ainsi que de 2500 adhérents à jour de cotisation (le nombre d’adhérents à jour de cotisation est sensiblement inférieur aux 270 000 adhérents revendiqués par le Parti). La seule modification notable par rapport aux propositions formulées par le groupe de travail concerne le nombre de parrainages de parlementaires qui avait été initialement fixé à 25. L’abaissement de ce seuil a été approuvé par le bureau politique à la demande de Xavier Bertrand et de Nathalie Kosciusko-Morizet qui craignaient de ne pas réunir le nombre de parrainages suffisants pour présenter leurs candidatures.
Les précautions
Trois autres précautions essentielles ont été prises. Premièrement, tous les membres de la direction du parti candidats à la primaire devront démissionner pour éviter toute suspicion de fraude. Cette démission devra intervenir avant le 9 septembre 2016, date limite de dépôt des candidatures. Entre le 30 juin et le 16 octobre 2011, Martine Aubry s’était simplement « mise en réserve » de sa fonction de première secrétaire du PS, qu’elle avait pleinement retrouvée à l’issue du second tour de la primaire perdu face à François Hollande (Harlem Désir l’avait alors remplacée en tant que premier secrétaire délégué). Deuxièmement, le vainqueur de la primaire proposera les conditions de gouvernance du parti jusqu’à l’élection présidentielle. L’UMP veut éviter la situation dans laquelle le PS s’est retrouvé entre octobre 2011 et mai 2012 : François Hollande menait la campagne présidentielle, alors que Martine Aubry dirigeait encore le parti et, à ce titre, était chargée de l’organisation des élections législatives.
Troisièmement, la Haute autorité fera partie intégrante du processus puisqu’elle officialisera les noms des candidats ayant satisfait aux conditions évoquées ci-dessus le 21 septembre 2016. Cette autorité est composée de 9 membres, parmi lesquels Anne Levade, professeur de droit public à l’Université Paris-Est de Créteil qui la préside, et Bernard Maligner, ingénieur d’études au CNRS et spécialiste de droit électoral. Elle avait été mise en place le 25 janvier 2014, à la suite du fiasco de l’élection du président de l’UMP de novembre 2012, qui s’était soldée par un affrontement de plusieurs mois entre les partisants de Jean-François Copé et ceux de François Fillon. Son fonctionnement et son rôle dans l’organisation et la proclamation des résultats de l’élection du président de l’UMP avait été salués fin 2014.
Enfin, les conditions de déroulement du scrutin ont été actées par le bureau politique. Celles-ci sont essentielles pour éviter les fraudes, ou les soupçons de fraude, telles que celles qui ont émaillé la désignation du président de l’UMP en 2012. Le vote se déroulera par bulletin de vote papier dans les 10 000 bureaux de vote répartis sur le territoire en fonction des circonscriptions électorales et des zones où la droite a réalisé ses scores les plus élevés en 2012. Deux modalités complémentaires de répartition des bureaux de vote ont donc été retenues, en vue notamment de prendre en considération la division partisane du territoire. Les bureaux de vote de la primaire organisée à gauche en 2011 avait été plus également répartis sur le territoire, chaque canton devant disposer d’au moins un bureau de vote. A l’issue de ce scrutin et au plus tard le 20 décembre 2016, chaque candidat devra déposer son compte de campagne auprès de la Haute autorité. Cette dernière le rendra public. Un plafond de dépenses sera fixé. En revanche, deux éléments restent en cours de définition : le montant du plafond de dépense et l’éventuel octroi par le parti d’une somme d’agent aux candidats.
En outre, les électeurs devront s’acquitter de deux euros à chaque tour de scrutin et signer la déclaration suivante : « J’adhère aux valeurs de la droite et du centre. Je m’engage pour l’alternance et pour le redressement de la France ». Une telle déclaration semble superfétatoire : le risque de voir des électeurs de gauche participer à la primaire en vue de la saborder est quasi inexistant !
A suivre…
Comme lors de la primaire socialiste en 2011, c’est donc bel et bien le principal parti de la droite et du centre qui a fixé les règles du jeu de la primaire ouverte, à laquelle pourront participer s’ils le désirent des candidats issus de l’UDI ou du MODEM. L’UMP a d’ailleurs prévu le cas échéant « de discuter avec eux » de règles qui leur seraient propres. Une telle participation n’est pas anodine s’agissant des deux candidats les plus sérieux à la vue des sondages : une participation du centre, et donc de ses électeurs, semble en effet de nature à favoriser Alain Juppé, alors que la participation des seuls sympathisants de l’UMP constituerait un avantage indéniable pour Nicolas Sarkozy. L’UMP espère d’ailleurs secrètement faire aussi bien en termes de participation que le PS et ses alliés en 2011 : 2,5 millions de personnes avaient voté au premier tour et 2,8 millions au second.
Plus proche de nous et s’agissant de la seule UMP, la prochaine grande étape sera le congrés du 30 mai 2015 au cours duquel le parti devrait décider – sous la pression de son actuel président – de changer de nom : le choix du parti se portera vraisemblablement sur l’appellation « Les Républicains » puisque celle-ci a d’ores et déjà été déposée à l’Institut national de la propriété intellectuelle. D’aucuns diront que l’UMP pourrait s’appeler le Parti de Sarkozy, mais le sigle « PS » est déjà pris !
Romain Bourrel