L’affaire a d’abord été révélée par Mediapart mardi 21 octobre, mais elle est désormais aussi repris par les mass medias et notamment par le Nouvel Observateur, qui publie le mercredi 22 octobre un article « intitulé Dieudonné et Soral créent leur parti : dernier délire de deux antisémites ». Dieudonné et Soral seraient en train de créer un parti politique.
Et effectivement, ce n’est pas la première fois que ces deux personnes tentent de se lancer en politique, puisqu’en 2009, Dieudonné et Alain Soral avaient été candidats lors des élections européennes en se présentant sur la liste d’Ile-de-France du Parti antisioniste. Mais ils veulent désormais aller plus loin, en créant leur propre parti.
Ainsi que le révèle Mediapart, la future organisation s’appellera Réconciliation nationale, référence explicite à l’association d’extrême droite d’Alain Soral : Egalité et réconciliation.
L’association Egalité et réconciliation existe déjà, sous la forme d’une loi de 1901 : d’après Médiapart, Egalité et réconciliation compterait aujourd’hui déjà 12.000 personnes, et s’organiserait déjà comme un véritable parti politique : elle s’est structurée en « antennes » régionales et en « sections » locales. Des « pôles de compétences » ont même été créés : militantisme, événement, localisme-écologie, communication, idées et formation théorique, relations extérieures.
Une nouvelle structure, Réconciliation nationale, serait créée. Elle disposerait parallèlement d’une association de financement au sens de l’article 11 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. Cette association aurait, conformément aux dispositions de la loi, « pour objet exclusif de recueillir des fonds » et de bénéficier des aides publiques en cas d’élection. Les deux hommes préparent déjà leur demande d’agrément auprès de la commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), selon « Mediapart », prévu par l’article 11-1 de la loi. C’est donc par l’intermédiaire exclusif de cette association que l’argent transitera, en vertu de l’article 11-8 de la loi.
Cette double structure aurait pour effet de créer un parti politique. En effet, d’après la jurisprudence du Conseil d’Etat, un parti est une personne morale de droit privé, une association, qui s’est assigné un but politique et qui, soit relève des articles 8, 9 et 9-1 de la loi de 1988, c’est à dire bénéfice de l’aide publique, soit s’est volontairement soumise aux articles 11 à 11-7 de la loi, c’est à dire au fait de ne recueillir des fonds que par l’intermédiaire d’un mandataire, soit une personne physique, soit une association de financement agrée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) (CE, Ass, Elections municipales de Fos-Sur-Mer, 30 octobre 1996, n°177927). La création de Réconciliation nationale et de son association de financement devrait donc donner lieu à un nouveau parti politique.
La création de ce parti est, pour eux, un moyen de pousser plus loin encore leur antisémitisme. D’après Médiapart, Dieudonné entendrait répondre, avec la création de ce parti, aux » larbins du Congrès juif mondial », « cette organisation mafieuse et sataniste », qui a « fait plier le Conseil d’Etat » en faveur de l’interdiction de son spectacle en janvier dernier (les fameuses ordonnances Dieudonné, du 9, 10 et 11 janvier 2014, que tous les professeurs de droit de France font commenter à leurs étudiants). Pour Soral, la création de ce parti est une manière d’occuper politiquement l’extrême-droite en se dissociant du Front national, de « rouler pour lui-même, en tant que parti politique », dans la mesure où les prises de position « pro-israéliennes » du conseiller international de Marine Le Pen et eurodéputé Aymeric Chauprade, lors de l’université d’été du FN, ne lui ont pas plus… même si elles ont été condamnées par la suite par Marine Le Pen elle-même.
Par ailleurs, si Dieudonné et Soral veulent créer un parti politique, ce n’est pas seulement pour des raisons idéologiques, mais également en raison des avantages, nombreux, associés à ce statut.
Bien sûr, c’est d’abord une question d’argent, puisque le fait d’être un parti politique permet de bénéficier des aides publiques de l’Etat accordées aux partis politiques (mais il faut remplir les conditions fixées par la loi, notamment des résultats de 1% sur 50 circonscriptions aux élections législatives), de bénéficier de la réduction fiscale de 66 % pour les dons (c’est peut-être ce qui intéresse le plus Dieudonné ici), et de pouvoir financer une campagne électorale, puisqu’en France le financement des campagnes électorales par des personnes morales est interdit sauf pour les partis politiques. Sur ce point, le site d’Egalité et réconciliation est clair, puisqu’il propose de « Soutenir Alain Soral dans les épreuves qui l’attendent en faisant un don par Paypal »
Enfin, on aurait tendance à l’oublier mais la question est d’importance dans le contexte actuel, la dissolution de partis politiques par le juge pénal, suite à la commission d’une infraction, est interdite par l’article 131-39 du Code pénal. Ce qui n’est pas neutre, pour des personnes qui font l’objet de tant de poursuites pour incitation à la haine raciale… D’après Mediapart, « La création du parti coïncide avec une série de poursuites judiciaires visant les contenus antisémites des publications et des vidéos de Soral, et le déclenchement d’enquêtes financières sur la nébuleuse Dieudonné. Le 17 octobre, alors qu’il comparaissait à Paris pour « incitation à la haine et la discrimination » après ses propos sur le journaliste Frédéric Haziza, le site d’Alain Soral recensait avec fierté ses litiges judiciaires – une quinzaine – en chiffrant à 476 792 euros les dommages et intérêts réclamés par ses adversaires. Il vient d’être condamné en appel pour ses injures contre l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë. Le mois prochain, Alain Soral doit aussi comparaitre en appel pour la publication de cinq livres antisémites par sa maison d’édition Kontre Kulture. Le tribunal correctionnel de Bobigny a interdit l’Anthologie des propos contre les juifs, le judaïsme et le sionisme de Paul-Éric Blanrue, et ordonné le retrait de passages de quatre autres livres parmi lesquels La France juive d’Edouard Drumont. De son côté, Dieudonné, déjà condamné pour des propos antisémites, a été mis en examen en juillet pour fraude fiscale et abus de biens sociaux. Le juge Renaud Van Ruymbeke s’interroge en particulier sur les fonds envoyés par l’humoriste au Cameroun (400 000 euros depuis 2009) ».
Dès lors, une question juridique se pose : peut-on créer un parti politique antisémite ? Le droit permet de répondre à cette question, et offre deux manières de contester un tel parti.
D’une part, il est possible de mettre en oeuvre une dissolution judiciaire, sur le fondement des articles 3 et 7 de la loi de 1901. La dissolution par voie judiciaire intervient sur demande des pouvoirs publics ou à la requête de toute personne y ayant un intérêt légitime, dans les cas suivants, notamment lorsque l’association a un objet illicite ou connaît des dérives sectaires. Mais la dissolution judiciaire n’est pas utilisée pour dissoudre les partis politiques, notamment en raison de la longueur (c’était en tout cas un argument applicable en 1936) de telles procédures.
D’autre part, c’est donc la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et aux milices armées, aujourd’hui article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, qu’il est possible d’utiliser : c’est à dire la dissolution administrative par décret en Conseil des ministres. D’après l’article L. 212-1 du Code de la sécurité, dont le Conseil d’Etat vient d’acter la constitutionnalité dans l’arrêt Envie de rêver du 30 juillet 2014 (n° 370306, 372180 ; commentaire de votre serviteur à paraître bientôt dans l’AJDA) :
« Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :
1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;
4° Ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;
5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ;
6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;
7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.
Le maintien ou la reconstitution d’une association ou d’un groupement dissous en application du présent article, ou l’organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l’organisation d’un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ».
Cet article pourrait donc s’appliquer aisément au nouveau parti de Soral, d’autant qu’il a déjà été utilisé à de nombreuses reprises pour dissoudre des associations et des partis politiques d’extrême-droite, dans les années 30 (Action française par décret du 13 février 1936, JO du 14 février 1936, p. 1882 ; les Croix-de-Feu par décret du 18 juin 1936, JO 19 juin 1936, p. 6427, et décret du 23 juin 1936, JO du 24 juin 1936, p. 6587 ; le Parti National Populaire, Le Parti franciste, et le Parti National Corporatif Républicain, par trois décrets du 18 juin 1936, JO prec.), pendant les événements d’Algérie, (par ex. Le Front d’action nationale, Mouvement Jeune Nation, la Phalange française, et le Parti patriote révolutionnaire par quatre décrets du 15 mai 1958, JO du 16 mai 1958, p. 4720 ; le Front national pour l’Algérie française par décret du 23 décembre 1960, JO du 24 décembre 1960, p. 11663, ou encore l’Organisation de l’armée secrète, par décret du 7 décembre 1961, JO du 8 décembre 1961, p. 11293), dans les années 70-80 (Ordre nouveau par décret du 28 juin 1973, JO du 29 juin 1973, p. 6957 ; Fédération d’action nationale et européenne par décret du 17 septembre 1987, JO du 19 septembre 1987, p. 10890 ; Heimattreue Vereinigung Elsass, Association de fidélité à la patrie alsacienne, par décret du 2 septembre 1993, JO du 4 septembre 1993, p. 12441 ; Unité Radicale par décret du 6 août 2002, JO du 8 août 2002, p. 13582 ; Elsass Korps par décret du 19 mai 2005, JO du 20 mai 2005, n°23 ; Tribu Ka par décret du 28 juillet 2006, JO du 29 juillet 2006, n°2 ; Jeunesses Kémi Seba par décret du 15 juillet 2009, JO du 16 juillet 2009, n°16). Cet été encore, Manuel Valls n’a pas hésité à l’utiliser lors de l’affaire Clément Méric, pour dissoudre les groupes Troisième Voie, Jeunesses nationalistes révolutionnaires et Envie de rêver, par un 12 juillet 2013 ( la dissolution d’Envie de rêver a toutefois été annulée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Envie de rêver précité), puis deux organisations non directement impliquées dans la mort de Clément Méric (Œuvre française et Jeunesses nationalistes par deux décrets du 25 juillet 2013, JO du 26 juillet 2013, n°15 et 16).
Sans aucun doute, ce dispositif pourrait s’appliquer au parti de Dieudonné et Soral :
– D’une part, en raison de son antisémitisme viscéral, qui a déjà servi de fondement à une dissolution et est visé par le 6° de l’article L. 212-1 CSI.
– D’autre part, en raison du fait que Réconciliation nationale, s’appuyant sur Egalité et réconciliation, pourrait également constituer une milice visée par le 2° de l’article L. 212-1 CSI. En effet, d’après le Nouvel Observateur, Egalité et réconciliation organise des stages commandos dans la formation de Fontainebleau qui pourraient conduire l’administration à y voir une organisation paramilitaire susceptible de faire l’objet d’une mesure de dissolution.
La dissolution d’Egalité et Réconciliation avait d’ailleurs été évoquée cet été, notamment lorsque le groupe a pris position position en faveur de Gaza lors de la guerre de cet été. Le problème, dans une telle hypothèse, aurait été de devoir sans doute dissoudre de façon parallèle la Ligue de défense juive (Le Monde, 31 juillet 2014). Difficilement envisageable, dans le contexte de l’époque. Cet obstacle ayant été levé, le gouvernement décidera-t-il de dissoudre cette organisation et Dieudonné et Soral sauront-ils utiliser la faille dans le dispositif de l’arrêt du 30 juillet 2014 (voir notre commentaire à venir), à savoir créer une structure de portage suffisamment diversifiée pour échapper à la dissolution et ainsi, conserver ce qui est finalement, peut-être plus que la politique, le but de tout ça… l’argent ?
A suivre, notamment, puisque nous nous autorisons à faire un peu de PUB ici, en lisant notre commentaire de l’arrêt Envie de rêver, très prochainement, dans l’AJDA !
Romain Rambaud