(Le droit des sondages sur Facebook, c’est ici !)
La presse italienne, confrontée à une campagne se déroulant à l’aveugle depuis le 8 février dernier, commence à s’interroger sur la pertinence de la règle interdisant de publier des sondages électoraux 15 jours avant l’élection. Un article intéressant du Corriere della Serra en date du 17 février 2013 revient sur l’utilité de cette règle et son effectivité réelle.
L’occasion pour nous d’analyser le principe, le contenu et la sanction de cette interdiction en Italie, et de démontrer que si elle est effectivement appliquée, son évolution a conduit à une appréciation plus souple rendue nécessaire par la force des choses et pose aujourd’hui la question de savoir s’il ne faudrait pas envisager de réduire cette durée.
Le principe de l’interdiction : une interdiction contestée
Le Corriere della Serra remet en cause, dans l’article précité, la pertinence de la règle instaurée par l’article 8 de la loi du 22 février 2000, ce qui montre que la liberté d’accès aux sondages est bien une question commune en démocratie.
L’auteur de l’article s’interroge en effet sur l' »effet paradoxal » de ce « black out » : l’interdiction de publier des sondages prive l’électeur de la possibilité de disposer de ce type d’informations, au contraire des hommes politiques ou des acteurs économiques et financiers, qui disposent des moyens de commander des sondages qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’interdiction dès lors qu’ils ne sont pas publiés. Finalement, ce sont surtout les principaux intéressés, c’est à dire les électeurs, qui se trouvent privés de l’outil. La durée particulièrement longue de l’interdiction rend bien sûr l’argument recevable.
Mais derrière cet argument d’égalité, qui est relatif car la protection du corps électoral est en soi un objectif valide, se trouve une question fondamentale sur la conception même que l’on se fait de la démocratie… et notamment la question de savoir si le citoyen a le droit de se décider aussi en considération de ce que font les autres, lorsqu’il fait un choix purement personnel.
Par ailleurs, outre l’argument d’égalité, peut être invoqué l’argument de liberté : la liberté d’expression implique non seulement le droit pour la presse de publier des sondages, mais également le droit, pour les électeurs, d’en recevoir. Et de ce point de vue, il faut souligner qu’en Italie, le contraste entre la durée de la période d’interdiction et la profusion de sondages en temps normal doit être particulièrement saisissante, voire un peu déconcertante !
Le contenu de l’interdiction : une interdiction assouplie
Si le principe même de l’interdiction de publier des sondages est contesté, le Corriere della Serra s’interroge en outre sur la manière dont la loi peut être contournée, relevant ainsi un certain nombre d’allusions récentes à des résultats de sondages réalisées par les hommes politiques en campagne, de Silvio Berlusconi («C’è un avvicinamento alla sinistra che ora è intorno ai due punti di distanza, anche un po’ meno. Mancano meno di due punti…») à Mario Monti («Nei sondaggi la coalizione di Monti è vicina la 10%. Non entreranno in Parlamento. Fini è ridotto a un prefisso telefonico. Lo 0,4%»).
En réalité, un tel évitement de la loi est permis par la pratique décisionnelle de l’AGCOM. Si en principe, l’interdiction s’oppose à la diffusion de résultats de sondages par des hommes politiques ou tout autre acteur, en vertu de l’article 7§2 du règlement de l’AGCOM relatif aux sondages électoraux en vigueur depuis le 9 décembre 2010 (delibera n° 256/10 du 9 décembre 2010), cette règle est appliquée avec souplesse.
Ainsi, selon les décisions de l’AGCOM, la restitution de propos d’hommes politiques ne constitue pas une violation de la loi, même si ceux-ci font référence à des résultats de sondages, dès lors que ne sont pas données des indications statistiques précises et que l’information n’a pas pour objet exclusif un sondage mais s’inscrit dans un contexte plus large. Cette solution résulte en dernière analyse de deux décisions de l’AGCOM relatives à la sanction de l’article 8§1 de la loi de 2000 rendues le 12 décembre 2011 : la delibera n° 312/11 et la delibera n° 313/11.
Par ailleurs, il n’y a pas non plus de violation de la loi de 2000 lorsque ces mêmes hommes politiques se contentent de reprendre des informations de sondages qui avaient été publiés antérieurement à la période d’interdiction et en conformité avec la loi. Rappelé par la delibera n° 313/11 du 12 décembre 2011 précitée, ce principe est désormais acté dans l’article 7§2 du règlement de l’AGCOM précité.
Ainsi, sans que l’application effective de l’interdiction ne soit remise en cause, force est de constater qu’elle a été sensiblement assouplie. Sans doute, cet assouplissement est-il lui-même lié à un délai d’interdiction trop long au regard des habitudes et des logiques informationnelles et démocratiques contemporaines.
La sanction de l’interdiction : une sanction dissuasive
Enfin, le Corriere della Serra s’interroge sur l’effectivité de l’interdiction au regard de sa sanction, considérant que la sanction prévue par l’article 10 de la loi de 2000 est insuffisante. Cette appréciation doit être relativisée.
L’article 10§ 7 de la loi de 2000 prévoit en effet qu’en cas de violation de l’article 8 de la loi, l’auteur de la violation doit déclarer « cette circonstance » sur le même moyen de communication et avec la même importance. Concrètement, cela signifie qu’en cas de violation de la loi, la personne incriminée doit reconnaître publiquement qu’elle a violé la loi. Le principe de cette sanction, dont on trouve les premières application en 2004, a été confirmé en dernière analyse dans la delibera n° 313/11 du 12 décembre 2011 précitée.
Bien loin d’être inefficace, cette sanction semble au contraire dissuasive, car elle expose le média à devoir reconnaître publiquement une violation de la loi, ce qui est fort mauvais pour son image… en témoigne le nombre relativement faible de sanctions prononcées pour violation de la loi sur ce point.
Par ailleurs, l’efficacité de cette sanction est d’autant mieux assurée qu’elle peut aller plus loin. En effet, selon la pratique décisionnelle de l’autorité confirmée en dernière analyse par la delibera n° 313/11 précitée, le non-respect de l’injonction précédente est sanctionné par une sanction administrative pécuniaire, prévue à l’article 1§31 de la loi n° 249 du 31 juillet 1997, comprise entre 20 et 500 millions de lires, soit entre 10000 et 250000 euros, c’est à dire une somme considérable !
Ce système semble efficace et ingénieux : se fondant d’abord sur une dissuasion douce juridiquement mais très forte politiquement, celle-ci se renforce grandement en cas d’inexécution par le biais de l’instrument de la sanction administrative.
Sur ce point, on peut penser que ce système est plus efficace que celui de la sanction pénale en France, dont on attend toujours qu’il fasse effet concernant les dernières élections présidentielles… ce qui va dans le sens, avantage de la comparaison, de la proposition de mettre en place un système de sanctions administratives que l’on a faite dans notre ouvrage.
Conclusion
En somme, confronté à une durée d’interdiction particulièrement longue, le système italien a trouvé un point d’équilibre.
L’AGCOM a privilégié une interprétation souple du contenu de l’interdiction, rendue nécessaire par le décalage entre cette durée d’interdiction et le maniement courant et habituel des sondages par les acteurs politiques et l’électorat. Le principe de réalité s’impose donc malgré tout.
Pourtant, et la mission est sans doute délicate, l’AGCOM a réussi jusqu’à aujourd’hui à maintenir le principe d’interdiction, malgré sa durée, en mettant en place un système efficace de sanction, fondé sur la mise en oeuvre de sanctions administratives. De quoi relativiser l’argument, défendu en France lors des dernières élections, selon lequel l’interdiction des sondages est pratiquement impossible aujourd’hui. Néanmoins, il est possible que l’élection actuelle pose des problèmes particuliers de ce point de vue et il faudra donc suivre ces questions dans les semaines à venir.
Enfin, c’est aujourd’hui le principe même d’une interdiction aussi longue qui fait l’objet de remise en question. Sur ce point, le droit comparé des sondages pourrait présenter un intérêt pour les italiens eux mêmes, et devrait les conduire à privilégier une durée d’interdiction plus réduite, se rapprochant ainsi des standards européens.
Romain Rambaud