La Commission des sondages exerce une veille vigilante sur les sondages réalisés à l’occasion des élections municipales, tout comme elle l’a fait avec succès pour les élections présidentielles et pour les élections législatives.
Son contrôle vient de donner lieu à sa première sanction, qui ne sera peut-être pas la seule dans les mois à venir. Notamment, certains problèmes et rumeurs commencent à courir concernant la ville de Marseille, le site Marsactu.fr menant l’enquête. Mais ceci est un autre sujet, sur lequel le blog du droit des sondages reviendra.
Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, il faut célébrer non seulement la première mise au point de la Commission des sondages, d’une très grande clarté, mais aussi son utilisation médiatique, intelligente. Autant de points qui montrent que le droit des sondages est fort et qu’il s’avère un auxiliaire indispensable de l’art de sonder en démocratie.
Une première mise au point de la Commission des sondages
Prolongeant son affirmation commencée lors de l’élection présidentielle à l’occasion de la polémique sur l’interdiction de diffusion des résultats avant l’heure, la Commission des sondages vient de rappeler son rôle central dans le dispositif du droit des sondages en prononçant sa première mise au point dans le cadre des élections municipales de 2014.
En effet, dans l’édition du samedi 9 février 2013, page 3, le Midi Libre a publié une mise au point de la Commission des sondages concernant un sondage réalisé par l’institut J2M+ pour l’élection municipale de Narbonne et publié dans le journal le 26 janvier. Un procédé dissuasif tant pour l’institut qui se voit ainsi mis en question que pour le journal ayant publié le sondage, et un problème récurrent en ce qui concerne les petits instituts.
Mais ce qu’il faut souligner dans cette affaire, autant que cette première mise au point, c’est le caractère nous semble-t-il exemplaire de la façon dont on a été publiée cette mise au point… et les débats qui ne manqueront pas d’y faire suite.
Une mise au point particulièrement claire
La Commission des sondages peut adresser une mise au point aux organes d’information qui auraient publié ou diffusé un sondage réalisé en violation de la loi de 1977 et des textes réglementaires applicables (Article 9 de la loi 77-808 du 19 juillet 1977). La mise au point est concrètement un texte envoyé à l’institut et au média, après analyse d »un sondage, et qui vise à alerter l’opinion publique lorsqu’il n’est pas possible, en raison du non respect de la méthodologie et des règles de droit, d’accorder une valeur aux résultats de ce sondage. Cette mise au point doit être publiée par le journal qui a publié le sondage.
Or, en l’espèce, la mise au point de la Commission des sondages est particulièrement claire : elle indique ainsi de manière particulièrement pédagogique les erreurs commises par l’institut, qui n’a pas respecté les règles de base de la construction du sondage électoral selon la Commission des sondages.
Ainsi la Commission relève que « Le sondage relatif à l’élection municipale 2014 à Narbonne, dont les résultats ont été publiés le 26 janvier, présente deux défauts d’ordre méthodologique. En premier lieu, l’échantillon de personnes interrogées n’a pas été constitué auprès des seules personnes inscrites sur les listes électorales. En second lieu, la question d’intention de vote a été précédée, lors de l’enquête, de questions d’opinion susceptibles de biaiser les réponses qui y ont été apportées. En l’absence de toute manoeuvre de la part de l’institut J2M +, la Commission des sondages relève le défaut de caractère significatif des résultats publiés ».
Deux erreurs ont donc été commises par l’institut, qui auraient pu être évitées si l’institut avait eu une meilleure connaissance du droit des sondages électoraux (et nous nous permettrons ici de renvoyer à notre ouvrage pour l’exposé exhaustif de l’ensemble de ces règles de fond) :
- En premier lieu, l’institut a interrogé des personnes non inscrites sur les listes électorales. Or, pour qu’un sondage d’intention de vote soit valide du point de vue méthodologique, il ne peut comporter dans son échantillon représentatif, bien sûr, que des personnes inscrites sur les listes électorales et donc susceptibles d’aller voter. Ce principe est ancien, puisqu’on le trouve pour la première fois dans un communiqué de la Commission des sondages du 29 avril 1981, Groupe Bernard Krief / Le progrès de Lyon. Il a été confirmé récemment dans une mise au point du 5 mars 2010, Antenne Réunion / Abaksys. Il faudra désormais ajouter à cette liste la mise au point Midi Libre/J2M+ du 9 février 2013.
- En second lieu, l’institut a commis une erreur méthodologique en ne respectant pas l’ordre des questions. En effet, selon une pratique constante de la Commission des sondages, la question d’intention de vote doit toujours être posée en premier, et nous avons pu vérifier de visu que cette règle est respectée au moins dans un grand institut. Les autres questions, relatives à la popularité des candidats ou toutes autres questions susceptibles d’influencer l’intention de l’élection, ne doivent jamais intervenir avant les questions d’intention de vote. Ce principe est également ancien puisqu’il a été posé dans une mise au point de la Commission des sondages du 6 février 1989, Prisme / BVA, confirmée en dernière analyse par une mise au point du 6 mars 2008 France Antilles / Qualistat.
Toutefois, la Commission des sondages prend bien de soin de relever que l’institut n’a pas entendu commettre ces erreurs volontairement. Il n’y a donc pas de « manoeuvre » de la part de l’institut, ce qui aurait donné lieu à une sanction beaucoup plus sévère de la Commission des sondages (Mise au point du 31 mai 2011, Le Nouvel-Observateur / TNS-Sofres), mais simplement une erreur.
Raison pour laquelle la Commission des sondages relève seulement que les résultats publiés n’ont pas de caractère significatif.
Il faut saluer la clarté de la mise au point de la Commission des sondages. Alors que, parfois, les mises au point ne sont pas forcément très compréhensibles par le public, la Commission des sondages marque clairement ici sa volonté de faire faire à la mise au point ce pourquoi elle a été créée : éclairer l’opinion publique sur la mauvaise réalisation d’un sondage. C’est une excellente chose. Ce faisant, la Commission remplit pleinement son office et plus précisément encore l’office de la mise au point tel que définit, en dernière analyse, par le Conseil d’Etat dans son arrêt Mélenchon du 8 février 2012 : la mise au point de la Commission des sondages vise à remédier à l’“[…] atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions légales et réglementaires dont elle a pour mission d’assurer l’application en compromettant, préalablement à des consultations électorales, la qualité, l’objectivité ou la bonne compréhension par le public de ce sondage”.
La clarté de la mise au point ici permet une parfaite compréhension par le public du caractère non significatif des résultats du sondage. Il semble en outre qu’il y ait eu d’autres griefs soulevés, mais ceux-ci n’ont pas été retenus par la Commission des sondages, soient qu’ils aient été infondés, soit que les précédents suffisaient à invalider le sondage. Il faut dire que les erreurs commises étaient graves.
L’action de la Commission des sondages est donc fort positive. Mais il faut saluer également le travail du Midi Libre, dont le traitement de la mise au point nous semble particulièrement intéressant.
Un traitement médiatique de la mise au point exemplaire
Dans le passé, la Commission des sondages a soulevé à de nombreuses reprises dans ses rapports annuels la mauvaise volonté de certains médias dans la publication des mises au point ; et on avait pu le constater, par la pratique, lors des élections législatives.
Force est de constater que cette fois, dans la publication de la mise au point, le Midi Libre a procédé de manière très professionnelle et satisfaisante, en tout cas selon notre conception.
La loi ne prévoyant pas initialement la forme que devait prendre la mise au point, la Commission des sondages a dès 1979 posé le principe selon lequel la mise au point devait suivre les mêmes règles que le droit de réponse en droit de la presse, c’est-à-dire occuper la même place, et dans les mêmes caractères, que le sondage lui-même (Rapport de 1978-1979, pp. 6-7).
Le législateur a consacré partiellement cette pratique par la loi n° 2002-214 du 19 février 2002 modifiant la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977, en renforçant les obligations en matière de publication de la mise au point. Ainsi, dans la période antérieure aux deux mois précédant le scrutin, la loi ne prévoit rien, ce qui constitue un recul vis-à-vis des principes posés précédemment par la Commission des sondages. En revanche, concernant les sondages publiés pendant la période des deux mois précédant le scrutin, la mise au point doit être diffusée « sans délai » et « de manière à ce que lui soit assurée une audience équivalente à celle de ce sondage, ou insérée dans le plus prochain numéro du journal ou de l’écrit périodique à la même place et en mêmes caractères que l’article qui l’aura provoquée et sans aucune intercalation », ce qui constitue une consécration législative des principes posés par la Commission. (Article 11 de la loi du 19 juillet 1997). Toutefois, cette distinction temporelle n’a pas de raison d’être et il serait bon de l’abandonner, conformément aux principes posés par la Commission et en conformité avec ce que proposait la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur.
C’est en ce sens qu’est allé Le Midi Libre. Qu’on en juge : la mise au point est reproduite dans un encart dédié, mis en valeur, mais au delà, un article entier, couvrant la moitié d’une page, et encore la page 3 du journal, est consacré à cette mise au point, avec un titre parfaitement clair « Le sondage J2M+ épinglé » et un sous-titre qui l’est tout autant « La Commission des sondages pointe deux erreurs dans la méthodologie. Un torpillage orchestré par Patrice Millet… ». Par ce simple fait, le Midi Libre est allé au delà de ses obligations légales strictement interprétées, et c’est une excellente chose.
Mais Le Midi Libre a fait bien plus, et l’on veut le souligner d’autant qu’un tel traitement nous semble aller dans le sens des propositions que nous avions faites dans notre ouvrage pour une meilleure pédagogie des sondages et des mises au point : à savoir permettre le débat et l’explication dans le respect des mises au point de la Commission des sondages afin de renforcer la pédagogie et la maîtrise par l’opinion publique de l’instrument.
En effet, autour de la mise au point, le Midi Libre consacre un article explicatif du contexte dans lequel la Commission s’est prononcée, notamment en soulignant que la réclamation est venue des adversaires politiques de la personne ayant commandé le sondage. Cette contextualisation aide à la compréhension et à la relativisation tant du sondage que du recours intenté contre le sondage.
De la même manière, il est très positif que le sondeur puisse s’expliquer dès lors qu’il ne remet pas en cause la décision de la Commission des sondages, qui est la seule légitime car elle procède du droit. Il est dès lors bon pour lui et pour les autres que l’institut reconnaisse ses torts. « Nous n’avons pas posé en premier la question de l’intention de vote, précise une source en interne, parce que nous ne savions pas que le sondage serait rendu public, mais nous le ferons à l’avenir systématiquement. Nous prendrons aussi désormais la précaution de ne garder que les personnes présentes sur les listes électorales dans l’échantillon. Ici, cela ne concernait que 5 à 10 personnes sur 602 ». Au passage, cela démontre la force clairement dissuasive de la mise au point pour cet institut. Il est bon qu’il adapte ses méthodes pour se mettre en conformité avec le droit.
Il est aussi bon que M. Mouly, qui avait commandé le sondage, puisse s’exprimer. Toutefois, en l’espèce, on peut se demander si, sur le fond, le silence n’aurait pas été le bienvenu.
M. Mouly a-t-il lui aussi besoin d’une mise au point ?
Selon M. Mouly, avocat, le procédé utilisé par son adversaire politique serait « déloyal ». On voit mal toutefois, comment le fait de saisir une autorité administrative indépendante selon les modalités prévues par la loi, pour une question qui relève de sa compétence et aux fins de faire appliquer la loi, serait déloyal. Ce n’est pas déloyal. Ce n’est pas « procédurier ». C’est pleinement légitime.
En outre, on peut s’étonner du fait que M. Mouly semble remettre en cause la solution même de la Commission des sondages, ce qui ne paraît guère acceptable au regard de l’évidence des manquements commis. Selon M. Mouly, le sondage « reste un outil de travail, je crois d’ailleurs savoir que de nombreuses critiques exprimées par M. Millet dans son recours ont, elles, été rejetées ». Ce qui est doublement faux, parce que ce sondage, dépourvu de caractère représentatif, ne peut précisément pas être un outil de travail et parce que le fait que certaines critiques aient pu être rejetées ne change rien à ce fait là, les deux premiers griefs suffisants à rendre le sondage invalide.
M. Mouly, sans doute pour des raisons politiques, semble chercher à remettre en cause la solution retenue par la Commission des sondages, selon une pratique qu’il ne serait pas bon de voir se développer. La Commission devrait faire preuve d’une certaine sévérité vis-à-vis de ces pratiques, car son autorité ne doit pas être mise en cause, a fortiori de la part de personnes qui n’ont aucune légitimité, juridique ou technique, pour le faire.
M. Mouly compte-t-il faire un recours contre la décision de la Commission ? Voilà qui serait plus utile, s’il entend contester sa décision : le faire dans le cadre des procédures prévues à cet effet.
Conclusion
Cet exemple pratique illustre fort bien le rôle et l’action de la Commission des sondages dans les élections à venir, qui doit être pleinement assumé.
Il illustre ce qui constitue notre principale hypothèse. A l’heure où les citoyens tendent à se méfier des sondages et à ne plus voir le lien entre la démocratie et le sondage, comme l’a montré une étude intéressante de l’IFOP sur laquelle on reviendra sans doute, et comme il est normal que l’opinion publique s’interroge sur la réalisation et les effets des sondages, on peut soutenir que loin d’être une contrainte pour les sondeurs, le droit des sondages leur permet au contraire de mieux s’insérer dans la société.
Ce qu’il faudra continuer de démontrer.
Romain Rambaud