C’est au nom de l’opinion publique, comme on l’avait souligné, que le référendum anglais sur la sortie de l’Union européenne qui pourrait être organisé entre 2015 et 2017 a été proposé. Pourtant, sur ces questions, cette opinion publique semble bien insaisissable, en France comme en Angleterre. A moins qu’ils ne s’agissent que des hésitations des sondeurs, au regard des différences inquiétantes d’un sondage à un autre ! Divergences qui interrogent une nouvelle fois les systèmes d’encadrement des sondages.
Résultats des premiers sondages britanniques : les anglais hésitent, les conservateurs progressent, et les sondages divergent !
Bien entendu, il faut rappeler à titre liminaire le sacro-saint principe en matière de sondages : le sondage n’est qu’une photographie à un instant T de l’opinion et n’a aucune valeur prédictive. Dès lors, il faut se garder de tirer des conclusions hâtives des sondages réalisés en Angleterre depuis quelques jours.
Ceci étant dit, il reste que ceux-ci dégagent des tendances qui ne sont pas positives pour la construction de l’Union européenne. Ainsi, la consultation du site UK Polling Report, qui recense les résultats de sondages récents (mais qui est aussi le site d’un institut de sondage, ce qu’il est préférable de savoir), permet de dégager plusieurs enseignements.
Tout d’abord, la position des britanniques vis à vis de la sortie de l’Union européenne n’apparaît pas du tout stabilisée, au regard des divergences des résultats des différents sondages, en fonction de la question qui est posée… ce qui révèle l’imbroglio politique qu’a crée Cameron et montre l’influence que peuvent avoir au stade actuel les enquêteurs sur la façon dont on construit l’opinion publique… et dont on peut se méfier au regard des questions qu’ils choisissent de poser.
Trois sondages réalisés le 26 janvier et publiés le dimanche 27 janvier ont donné des résultats très contrastés. Selon un sondage You Gov pour le Sunday Times, dans l’hypothèse où Cameron renégociait et appelait à voter oui, 50 % des britanniques resteraient, tandis que seulement 25 % souhaiteraient partir. Dans un sondage Angus Reid pour le Sunday express, la question est différente : dans l’hypothèse où Cameron arriverait à rapatrier des compétences, 34 % resteraient et 34 % sortiraient. Dans un sondage Survation pour le Mail of Sunday, 50 % des sondés voudraient quitter l’Europe, 36 % souhaiteraient rester.
Deux sondages réalisés le 25 janvier donnaient des résultats légèrement en faveur d’une sortie de l’Union : un sondage YouGov donnait 40 % de sortants et de 38 % de restants, tandis qu’un sondage réalisé par Populus trouvait 40 % de sortants et 37 % de votants.
En somme, on note une forte hésitation des anglais mais une tendance qui confirme leur méfiance vis à vis de l’Union européenne. Il est difficile d’en tirer de réels enseignements… mais il faut espérer que ces données ne serviront pas à alimenter le chantage de Cameron vis à vis de l’Union européenne. On peut se demander, en outre, pourquoi l’hypothèse de la non-renégociation n’a pas été posée… mais il est vrai que Cameron, lui-même, n’a envisagé l’hypothèse du référendum lui-même qu’après une potentielle renégociation…
A l’imbroglio politique succède donc l’imbroglio sondagier. De ce point de vue, la très grande différence de résultats entre les sondages doit être soulignée… ce qui pose la question de l’encadrement des sondages en Angleterre, qui consacre un système d’autorégulation pris en charge par le British Polling Council. Il faudra, dans des recherches ultérieures, prononcer à une analyse de son efficacité.
En revanche, les résultats sont plus nets en ce qui concerne les intentions de vote, même si l’on peut gloser sur le rapport entre les évolutions des côtes d’opinion et les intervalles de marges d’erreur. Les sondages montrent en effet, même si les travaillistes restent largement en tête, que les conservateurs progressent. Ils profitent donc de l’effet référendum.
Ainsi, le sondage Augus Reid/Sunday express donne les conservateurs à 30 % en hausse de trois points et les travaillistes en baisse de deux points. Le sondage ComRes/Ios pour le Sunday Mirror donne les conservateurs à 33% en hausse de 5 points, et les travaillistes à 39 %, stables. Le sondage Survation pour le Mail on Sunday donne les conservateurs à 31 % en hausse de deux points, les travailles stables à 38 % et l’UKIP en baisse à 14 %. Enfin, le sondage YouGov pour le Sunday Times donne les conservateurs à 35 % en hausse de deux points, les travaillistes à 41 % en baisse de deux points et l’UKIP à 7 % en baisse de deux points.
Même si les sondages donnent des résultats divergents, la dynamique commune est donc à la progression des conservateurs, lesquels récupèrent une partie de l’électorat de l’UKIP. D’une certaine manière, la stratégie de Cameron semble donc payante. Toutefois, outre les seuls jeux politiciens, ces évolutions montrent l’envie des britanniques de se positionner sur l’Europe, posant la question de savoir si les travaillistes seront contraints de suivre Cameron dans sa stratégie politique. Sur ce point, les britanniques ne sont pas différents des français, qui, également, semblaient préférer l’organisation d’un référendum sur l’Europe à l’occasion de la ratification du TSCG.
Les premiers sondages anglais sont donc difficiles à interpréter, même s’ils semblent plutôt défavorables à l’Union européenne. Toutefois, il faut se garder d’en tirer des conclusions politiques nettes : les sondages ne valent qu’à l’instant T, et il y a déjà eu un précédent en la matière. En 1975, par référendum, les anglais ont décidé de rester dans l’Union européenne alors que les sondages, très en amont, prévoyaient le contraire ! Enfin, il faut souligner qu’en l’état, les travaillistes sont donnés gagnants et que s’ils gagnent… ils n’organiseront pas de référendum… pour l’instant.
Force est de constater qu’en France, la situation n’est pas plus claire, voire qu’elle est peut-être pire.
Résultats des premiers sondages en France : des résultats complètement contradictoires !
Les journaux et les sondeurs ne manquent jamais d’imagination… et ont la liberté de poser des questions qui juridiquement n’ont aucun sens, mais qui politiquement sont très significatives. Néanmoins, les résultats produits par les sondages français peuvent être interrogés… car ils sont complètement contradictoires !
Un premier sondage publié par le Parisien/Aujourd’hui en France le dimanche 27 janvier et réalisé par BVA donne 52 % des français favorables à une sortie du Royaume -Uni de l’Union européenne. Résultat par ailleurs repris en Une du Monde.fr, et donc à l’audience très forte.
Un tel résultat traduirait une méfiance croissante des français vis à vis de l’Angleterre, dans la mesure où 68 % des Français avaient dit « oui » lors du référendum de 1973 portant sur l’entrée de la Grande-Bretagne – ainsi que du Danemark, de l’Irlande et de la Norvège – dans l’Union européenne. Il est bien sûr préoccupant pour le sentiment national européen.
Néanmoins, un second sondage, réalisé par l’IFOP pour le JDD du 27 janvier 2013, donne un résultat complètement contraire. Selon les résultats de ce sondage, 58% des français souhaiteraient que le Royaume-Uni reste dans l’UE, quand 42% des personnes interrogées préféreraient qu’il la quitte à l’horizon 2015-2017. Autre résultat intéressant du point de vue français, l’Europe « à la carte » voulue par David Cameron, est rejetée par 62 % des français. Un résultat conforme à la conception intégrationniste classique en France.
Toutefois, dans ce sondage, la méfiance des français est confirmée : 47 % des personnes interrogées juge que l’appartenance de la France à l’Union européenne lui rapporte moins qu’elle ne lui coûte, un français sur cinq (20%) pense le contraire quand un sur trois (33%) estime que c’est du donnant-donnant.
Il faut bien dire que ces résultats contradictoires sont assez inquiétants pour les sondages et les instituts, et ne manqueront pas de susciter des critiques. Et cela l’est d’autant plus que cette variabilité des sondages sur les questions européennes a déjà été constatée ici.
Dès lors, ceci est une nouvelle occasion de s’interroger sur le champ du droit des sondages en France. Ces deux sondages, n’étant pas liés à une élection, échappent au contrôle de la Commission des sondages… une position conforme à la législation française, logique constitutionnellement, mais qu’on peut interroger aujourd’hui, surtout après l’examen de la législation italienne.
On peut également poser la question en termes de transparence. Car si la notice du sondage du JDD est, comme toujours pour ce journal, disponible sur le site, ce n’était pas le cas pour le sondage du parisien. Une situation qui une nouvelle fois, au passage, contraste fortement avec ce que l’on pourrait presque qualifier de « modèle italien »…
Dans tous les cas, cet ensemble de sondages démontre la très grande complexité et la très grande difficulté que posent les rapports entre l’Union européenne et l’opinion publique. Une question fondamentale qu’il faudra suivre de très près dans les années qui viennent.
Romain Rambaud