La ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire du 2 mars 2012 – qui pour certains représentent la consécration juridique, à un niveau fondamental, de l’austérité – ne manquera pas d’occuper la place majeure de l’actualité dans les semaines qui viennent.
Le traité budgétaire européen et la Souveraineté
Tant d’un point de vue théorie que pratique, il est clair qu’il pose un problème de souveraineté : si ce traité devait être adopté, il figurerait en bonne place de la Constitution économique de la France qui, on ne peut s’en cacher, est aujourd’hui largement d’origine européenne.
Le concept de Constitution économique est l’idée selon laquelle un système juridique consacre un ensemble de règles fondamentales, de rang constitutionnel et donc de rang souverain, qui dessinent un modèle économique précis et déterminé qui va contraindre, guider, empêcher, les pouvoirs publics dans la mise en oeuvre de leur politiques publiques. Qui pourrait prétendre que, face à ce traité, nous ne sommes pas dans cette situation là ?
Le Front de gauche a ainsi appelé à une manifestation le 30 septembre pour réclamer un référendum. Le Front National, de son côté, a prévu d’organiser une grande campagne politique aux mêmes fins : exiger un référendum pour la ratification de ce traité.
Il faut nous rappeler des fondamentaux : » La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958. Le « principe » de la République est : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Article 2 de la Constitution.
Quant à la révision de la Constitution, elle suit le même principe, selon l’article 89 de la Constitution : « La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès « . Par principe, c’est donc le peuple qui devrait être appelé à approuver une révision de la Constitution et par exception le Congrès. On sait ce qu’il en est en pratique…
L’appel à l’organisation d’un référendum semble donc légitime puisqu’il en va de la Souveraineté économique de la France et donc de la Souveraineté de la France tout court. Pourtant, ce n’est pas en ce sens que le Conseil constitutionnel a apprécié la situation.
Celui-ci, en effet, a été saisi par le Président de la République le 13 juillet 2012, en application de l’article 54 de la Constitution, de la question de savoir si l’autorisation de ratifier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, signé à Bruxelles le 2 mars 2012, devait être précédée d’une révision de la Constitution.
Dans cette décision, le Conseil a considéré que les stipulations du nouveau traité ne faisaient que reprendre, en les renforçant, les stipulations des traités européens déjà en vigueur relatives à la politique économique et budgétaire, c’est à dire les articles 120 à 126 TFUE.
Dès lors, ce nouveau traité ne procède selon le Conseil à aucun transfert de compétence nouveau en matière de politique économique ou budgétaire et n’autorise pas de tels transferts. Par ailleurs, pas plus que les engagements antérieurs de discipline budgétaire, celui de respecter ces règles de rigueur ne porte atteinte aux conditions essentielles de la Souveraineté nationale. Ce qui signifie que, en tant que telle, la ratification du traité ne nécessite aucune modification de la Constitution ! En somme, ce traité est considéré comme un prolongement naturel du traité de Maastricht qui avait été ratifié après modification de la Constitution.
Il en est d’ailleurs de même concernant les autres dispositifs relatifs à la convergence des politiques économiques ou à la gouvernance de la zone euro. Ils ne constituent que des mesures d’application des traités de l’Union européenne et il n’existe aucune clause nouvelle qui serait contraire à la Constitution.
Dans la suite de son raisonnement, en ce qui concerne la transcription juridique de ces règles en droit interne, le Conseil distingue deux hypothèses, puisque le traité laisse le choix. Toutefois, sa solution conduit à éviter de reconnaître les questions que pose ce traité en termes de Souveraineté :
Soit ces règles sont mises en oeuvre par leur inscription dans la Constitution, ce qui suppose nécessairement une révision de celle-ci.
Soit elles sont mises en oeuvre par un moyen pareillement contraignant, et dans ce cas, le Conseil considère que l’adoption d’une loi organique de l’article 34 de la Constitution peut suffire, d’autant qu’il existe, conformément aux exigences du traité, une institution indépendante en charge du contrôle de l’application de ces règles et qui est… le Conseil constitutionnel lui-même ! Il n’est alors nul besoin d’une modification de la Constitution.
En définitive, qu’on soit favorable ou défavorable à la ratification de ce traité, les raisonnements juridiques qui l’entourent sont contestables, en tant qu’ils considèrent qu’il n’y a pas d’atteinte à la Souveraineté et facilitent l’évitement de l’organisation d’un référendum. Egalement, le fait que le Conseil constitutionnel s’attribue le contrôle de ces dispositions qu’il a lui-même considérées comme ne posant pas de problème de Souveraineté peut laisser penser pensif…
Du point de vue de la démocratie directe, on pourrait craindre une capture. Une situation proche de celle que l’on a connu lors de l’adoption du traité de Lisbonne, suite au rejet de la Constitution européenne par référendum…
C’est alors que revient l’intérêt du sondage d’opinion, ainsi que le sondage publié par l’Humanité le démontre.
Sondage de l’humanité : les français favorables à l’organisation d’un référendum. Intérêt du sondage et intérêt du contrôle.
Selon le journal, 72 %des Français souhaitent qu’un référendum soit organisé pour ratifier le traité européen qui « instaure à l’échelle du continent la règle d’or chère à Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ». Et si les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle sont les plus nombreux à le souhaiter, c’est également le cas des deux tiers des électeurs socialistes. Un résultat pas forcément confortable pour le pouvoir en place qui, on le sait, se gardera bien d’organiser un référendum… au risque de connaître des difficultés avec sa propre majorité.
Ce sondage est intéressant du point de vue démocratique : il montre aux adversaires des sondages que loin d’être un instrument de manipulation de l’opinion publique et de dévoiement de la démocratie, le sondage est surtout une manière de donner la parole à l’opinion publique et au peuple, y compris dans des domaines où le pouvoir politique ne souhaite pas, pour une raison ou pour une autre, lui « rendre » sa parole.
Il confirme donc que les analyses simplistes en matière de sondages ne sont pas pertinentes : M. Mélenchon irait-il se plaindre, maintenant, de la publication d’un sondage contenant de telles informations alors qu’il se plaignait, avant, de la publication d’un sondage qui ne lui était pas favorable lors de l’élection présidentielle et demandait, comme conséquence, l’interdiction de la publication de ce sondage et la saisine du juge pénal ? (Voir sur ce point notre article à la RFDA – Sondages électoraux : la solution controversée du Conseil d’Etat)
Le sondage est donc un outil qui, bien construit et bien contrôlé, permet une amélioration de la démocratie en renforçant le pouvoir du peuple en tant que contre-pouvoir. Il sera d’ailleurs très intéressant de porter son attention aux sondages d’opinion qui ne manqueront pas d’être réalisés concernant la campagne menée par le Front de gauche et le Front national contre le traité européen et demandant l’organisation… d’un référendum.
Alors, une question se pose : existe-t-il un contrôle de ce sondage ? Car, une nouvelle fois, c’est seulement si le sondage est bien réalisé, répond à des impératifs scientifiques, et donc bien contrôlé, qu’il est utile à la démocratie. Sinon, il en devient un terrible ennemi, de quelque bord politique que l’on soit. La réalisation de sondages demandant au peuple s’il souhaite l’organisation d’un référendum pourrait être, si ces sondages étaient manipulés, extrêmement préjudiciable à la démocratie.
Et là se situe un point difficile du droit des sondages, car, on l’a déjà vu ici à de très nombreuses reprises, les sondages contrôlés sont les sondages électoraux, c’est à dire, en vertu de l’article 1er de la loi de 1977, les sondages d’opinion « ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu’avec l’élection des représentants au Parlement européen ».
Ici, c’est bien entendu la formule de sondage « ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum » qu’il faut retenir. Peut-on aller jusqu’à lire la loi pour qu’elle s’applique à l’organisation d’un référendum… qui ne sera pas organisé, mais dont on souhaiterait qu’il soit organisé ? D’un référendum… potentiel ? Si l’on suit une interprétation stricte de la loi, la réponse à cette question sera négative.
Mais la question d’une interprétation plus souple de la loi se pose et doit être posée à la Commission des sondages. Car un sondage visant à demander aux français s’ils souhaitent s’exprimer eux-mêmes sur un texte aussi fondamental du point de vue électoral et du point de vue démocratique est forcément particulier car il s’agit d’une demande du peuple visant à exprimer sa propre souveraineté. Comment penser autrement, et lire la loi autrement, dès lors que l’article 2 de la Constitution dispose que le principe de la République est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ?
Alors, disons-le ici et nous plaiderons en ce sens : il faut lire l’article 1er de la loi de 1977 comme soumettant à l’application de la loi et au contrôle de la Commission des sondages les sondages par lesquels on sonde la volonté du peuple français de s’exprimer par référendum. Il en va de l’intérêt même de la démocratie, au sens de plus direct du terme.
Romain Rambaud