06/06/2012 : Hollande ne veut plus faire de sondages ou le retour de l’affaire des sondages de l’Elysée – Doit-on gouverner sans sondages ?

François Hollande veut vraiment, mais alors vraiment, trancher avec le style de son prédécesseur… au point de faire des annonces qui laissent, c’est le moins que l’on puisse en dire, un peu dubitatif.

Notamment, cette annonce assez inattendue selon laquelle, c’est dit, François Hollande ne commandera plus de sondages à l’Elysée : cette nouvelle, qui a fait les titres du 20h hier, pourra être utilement retrouvée sur le site du monde.fr en suivant le lien url suivant.

 

Trancher avec Sarkozy : le précédent de l’affaire des sondages de l’Elysée

 

L’affaire des « sondages de l’Elysée » avait fait grand bruit en 2009, l’Elysée n’hésitant pas à commander et en l’asbsence de toute procédure de mise en concurrence, des sondages à un institut de sondage dirigé par Patrick Buisson, qui n’est nul autre que celui qui commanda la campagne de Nicolas Sarkozy avec le succès que l’on sait.

Cette affaire avait donné lieu à un rapport très critique de la Cour des comptes sur ces pratiques en 2008 : sans s’interroger sur la qualité scientifique de ces sondages, elle n’avait pas manqué d’épingler des pratiques contraires aux principes de la commande publique au profit d’un très proche du pouvoir. Une Commission d’enquête avait failli été mise en place, mais cela n’avait pas abouti pour des raisons qu’on comprendra facilement.

 

Au passage, l’affaire avait couté très cher au contribuable. Elle a d’ailleurs eu une suite judiciaire très récente. Après un recours en justice devant le tribunal administratif de Paris et la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs, un militant écologiste grenoblois, Raymond Avrillier, a obtenu les factures des sondages commandés par l’Elysée entre 2007 et 2012. Il y aurait ainsi eu plus de 300 études d’opinion, pour une facture 9,4 millions d’euros.

Selon la Tribune, par exemple, et l’on pourra suivre le lien url ici, « Sur les plus de 300 sondages et études commandés, 66 l’ont été entre début 2010 et le 30 avril 2012, parmi lesquels figurent des sondages réalisés à une fréquence hebdomadaire. Ces 66 sondages ont été facturés 3,04 millions d’euros à l’Elysée, et viennent s’ajouter aux 264 sondages commandés entre 2007 et 2009 pour un montant de 6,35 millions d’euros, que le militant écologiste, également maire adjoint honoraire de Grenoble, avait rendu publics en avril. »

 

M. Avrillier ne serait d’ailleurs pas contre une suite judiciaire à cette affaire du point de vue électoral : ainsi, toujours selon l’article de la Tribune, il aurait « saisi la Commission nationale des comptes de campagne pour qu’elle intègre une partie des sondages commandés par l’Elysée dans les comptes de campagne du candidat Sarkozy ». Peu de risques toutefois que cette saisine ne conduise à une remise en cause rétroactive de l’élection de Nicolas Sarkozy. Néanmoins, l’argument n’est pas sans portée juridique, puisqu’il est de jurisprudence constante qu’un sondage doit être intégré dans les comptes de campagne dès lors qu’il est utilisé soit dans le cadre de la propagande électorale soit pour établir les arguments de cette dernière dans le cadre d’une campagne. L’argument est donc loin d’être absurde d’un point de vue théorique. De là imaginer une conséquence contentieuse réelle, il y a un pas impossible à franchir.

 

L’absence de contrôle des sondages commandés par l’Elysée : l’immunité à tous les étages

 

Il y a sans doute là une faille du droit des sondages. En effet, cette affaire a donné lieu à une immunité à tous les étages.

 

Du point de vue scientifique, le fait de s’interroger sur la qualité des sondages commandés par l’Elysée se pose dans la mesure où ils vont servir à construire la politique de la Nation et où ils échappent à tout contrôle : n’étant pas publiés, ils n’entrent pas dans le champ d’application de la loi de 1977 et ne sont donc pas contrôlés par la Commission des sondages. Cette dernière l’avait d’ailleurs rappelé au moins implicitement par un communiqué du 23 juillet 2009 dans lequel elle estimait ne pas être compétente pour contrôler ces sondages, faisant une application rigoureuse des termes de la loi. Elle rappellait en revanche dans le même communiqué que tout sondage publié dans la presse tombait alors dans le champ de son contrôle.

 

Dans le même communiqué, on peut noter qu’elle estimait également ne pas devoir exiger, outre le nom de la personne ayant acheté le sondage, le nom du commanditaire du sondage : sous-entendu, ici, l’Elysée. Cette retenue avait été critiquée, cette critique ayant été reprise dans le cadre du rapport des sénateurs Sueur et Portelli. Néanmoins, la position de la Commission des sondages a depuis évolué : par deux décisions du 19 janvier 2010, la Commission des sondages a estimé que devaient figurer, parmi les mentions accompagnant le sondage, le nom du commanditaire de celui-ci. Certes, ce principe n’est pas systématiquement sanctionné mais il pourrait à l’avenir être mis en oeuvre notamment dans l’hypothèse où seraient publiés des sondages commandés par un institutionnel et non destinés à l’origine à être publiés. Il y a là un progrès à souligner.

Toutefois, il faut le dire et le redire : dans le cadre actuel de la loi, les sondages publiés sont les seuls sondages à être contrôlés, à l’exclusion donc des autres. C’est l’équilibre de la loi. On peut imaginer un changement de la loi, mais ce serait un changement complet de système qui reste à penser.

 

Ainsi, il n’est pas interdit de faire des sondages pour les institutionnels et ceux-ci ne sont pas contrôlés s’ils ne sont pas publiés. Néanmoins, il faudra respecter les règles des marchés publics, même si les collaborateurs du président de la République avaient à l’époque été protégés de maière assez remarquable par l’immunité présidentielle largement étendue : on pourra suivre par exemple ici, pour retrouver l’affaire, le lien suivant.

Un précédent fort facheux, donc, pour une solution juridique franchement contestable.

 

Dans le cadre de la présidence « normale » de Francois Hollande, on comprend donc la volonté franchement assumée de rompre avec ce type de pratiques. Pourtant, vouloir rompre avec les excès de certaines pratiques en matière de sondage signifie-t-il qu’il faut tomber dans l’excès inverse, à savoir prétendre que l’on ne fera plus de sondages pour gouverner. Cela est-il possible ? Voire, cela est-il souhaitable ?

 

 L’Elysée ne fera donc plus de sondages : info ou intox ?

 

Faut-il croire à l’idée que l’Elysée ne fera plus de sondages ? Franchement, il y a de quoi douter.

Tout d’abord, toujours selon l’article du Monde, s’il n’y aura pas de sondages commandés, il y aura toujours l’étude des sondages publiés par ailleurs. Ainsi, M. Paul Bernard, conseiller du Président de la République, sera en charge de l’étude des enquêtes d’opinion. Gouverner sans l’étude de l’opinion publique, voilà qui semble aujourd’hui bien illustoire…

Alors, l’idée que l’Elysée ne commandera pas de sondages semble peu réaliste. Peut-on gouverner sans savoir ce que pensent les français ? Et, au delà, faut-il gouverner sans sondages, c’est à dire faut-il gouverner sans savoir ce que pensent les français, en tout cas tel que cela ressort des sondages ?

 

Cette question est fondamentale car elle interroge la conception même que l’on a de la démocratie. Est-ce mal de gouverner en sachant ce que pense le peuple ? Après tout, cela ne signifie pas automatiquement qu’il faille gouverner selon ce que pense le peuple.

Aujourd’hui, la démocratie n’est pas seulement représentative, la démocratie n’est pas seulement élective dans le sens où la démocratie, ce n’est pas un blanc-seing pour cinq ans. La démocratie aujourd’hui c’est aussi la démocratie continue, c’est à dire la prise en compte permanente de l’opinion publique, et il faut avoir le courage de dire que c’est un bien.

 

Alors, bien sûr, il faut se prémunir des excès, et M. Buisson était sans aucun doute, et à tous les niveaux, un excès. Toutefois, ne pas confondre le principe et les modalités, c’est aussi ce que nous apprend le droit. Ne plus faire de sondages, ce n’est pas forcément un bien en soi.

 

La présidence normale, pourquoi pas ? A condition qu’elle ne se transforme pas en démagogie… Et en matière de sondages, cette dernière ne se cache manifestement pas toujours là où serait tenté de le penser à première vue.

 

A bon entendeur… Salut !

 

Romain Rambaud