Le 3 juin 2012, le journal le Dauphiné a publié une mise au point de la Commission des sondages concernant un sondage relatif à la troisième circonscription de la Savoie réalisé par l’institut In-Fusion. Ce sondage est disponible en cliquant sur le lien ici.
Or la publication de ce sondage a soulevé et soulève plusieurs problèmes juridiques sur lesquels il est intéressant de s’attarder ici.
De la présentation des résultats du 2nd tour sans considération de ceux du 1er tour
On peut ici noter au passage que certaines hypothèses de second tour testées sont très farfelues, par exemple un duel PS/FN. Cela pose la question des hypothèses de second tour présentées et du respect des règles régissant celles-ci, à savoir la nécessité de ne pas tester d’hypothèses de second tour déconnectées des résultats du 1er tour.
Toutefois, cela est dit en passant mais ce n’est pas la problématique qui nous retiendra aujourd’hui.
Des problèmes de publication des mises au point : l’étrange pratique du Dauphiné
Le problème sur lequel nous allons nous attarder est celui des modalités de publication des mises au point de la Commission des sondages, problème récurrent du droit positif.
En effet, la réalisation de ce sondage posa problème, notamment au regard des méthodes utilisées pour redresser les résultats bruts : nous avions déjà pu souligner le problème posé par la réalisation de sondages par de petits instituts sur ce blog, une mise au point ayant déjà été prononcée par la Commission dans ce type de circonstances dans la 10 ème circonscription du Nord.
Cette fois, et sans que l’on ait malheureusement de détails sur les méthodes utilisées pour la réalisation de ce sondage, la Commission a prononcé la mise au point suivante :
« La méthode utilisée par l’institut In-Fusion pour établir les scores publiés a soulevé des interrogations de la part de la commission des sondages. Invité à délivrer des informations complémentaires, l’institut de sondage a fourni des explications qui n’ont pas paru suffisantes à la commission qui n’a pas été mise à même de vérifier la cohérence de la méthode utilisée pour redresser les résultats bruts. Dans ces conditions, la commission estime que les résultats de ce sondage sont dépourvus de tout caractère significatif . Toutefois, lors de la réunion du 1er juin au cours de laquelle elle a entendu les responsables de l’institut, la commission a pris acte de leur engagement de rectifier leur méthode à l’avenir. »
Or, il est intéressant de constater ici est que la lecture de cette mise au point n’est pas disponible en tant que telle sur le site du dauphiné, qui la réserve à ses seuls abonnés ! Comme on le constatera en suivant le lien url suivant en cliquant ici…
On peut légitimement s’intérroger sur la validité de cette solution : n’y a-t-il pas quelque chose d’illogique à restreindre la publication de la mise au point aux seuls abonnés, alors que le sondage est visible de tous ? En effet, la mise au point a en principe une visée et un effet correcteurs : indiquer à l’opinion publique que tel ou tel sondage n’est pas fiable. Comment ce principe pourrait-il être respecté en l’espèce ?
Pourtant, ce type de pratiques est récurrente : les médias sont en général réticents à publier des mises au point, comme la Commission des sondages l’a souligné à de nombreuses reprises dans ses rapports annuels.
Le respect de cette exigence est pourtant fondamental, du point de vue de l’équilibre du droit des sondages et dans la mesure où la mise au point à autant un effet correcteur vis-à-vis de l’opinion publique qu’un effet sanctionnateur vis-à-vis des médias et instituts de sondage. Alors, que dit le droit ?
La faiblesse des règles encadrant la publication des mises au point
La loi ne prévoyant pas initialement la forme que devait prendre la mise au point, la Commission des sondages a dès 1979 posé le principe selon lequel la mise au point devait suivre les mêmes règles que le droit de réponse en droit de la presse, c’est-à-dire occuper la même place, et dans les mêmes caractères, que le sondage lui-même.
Le législateur a consacré partiellement cette pratique en 2002 en renforçant, dans la loi, les obligations en matière de publication de la mise au point de la Commission.
Concernant les sondages publiés pendant la période des deux mois précédant le scrutin, la mise au point doit en vertu de l’article 11 de la loi de 1977 être diffusée « sans délai » et « de manière à ce que lui soit assurée une audience équivalente à celle de ce sondage, ou insérée dans le plus prochain numéro du journal ou de l’écrit périodique à la même place et en mêmes caractères que l’article qui l’aura provoquée et sans aucune intercalation » , ce qui constitue une consécration législative des principes posés par la Commission.
Toutefois, dans la période antérieure aux deux mois précédant le scrutin, la loi ne prévoit rien, ce qui constitue un recul vis-à-vis des principes posés précédemment par la Commission des sondages, mais le problème ne se pose même pas en ces termes ici.
En effet, en toute hypothèse, force est de constater que cette obligation n’a pas été respectée au cas présent : le fait de réserver la lecture de la mise au point aux seuls abonnés du journal alors que le sondage est visible par tous constitue une violation flagrante de la loi de 1977.
Dès lors, le Dauphiné doit-il être sanctionné, et comment ?
L’article 12 de la loi prévoit que les personnes ayant refusé de publier les mises au point de la commission encourent une sanction pénale, de 75000 euros pour des personnes physiques et 375000 euros pour les personnes morales (la peine prévue par la loi multipliée par 5 car il s’agit d’une personne morale en vertu du code pénal).
Théoriquement, cette petite infraction pourrait donc couter très cher.
En pratique toutefois, la saisine du parquet et du juge pénal pour une mauvaise publication d’une mise au point a été très rare dans la pratique décisionnelle de la Commission des sondages car finalement ce sont des solutions beaucoup trop sévères eu égard à la nature de l’infraction.
On rejoint ici le problème de l’inadaptation du droit pénal dans la majeure partie des situations en droit des sondages électoraux et la nécessité de trouver des modes alternatifs de sanction : voir sur ce point notre ouvrage, à partir de la page 234 : le problème de la sanction du droit des sondages est sans doute aujourd’hui la principale faiblesse du droit positif. On peut regretter que la proposition de loi des sénateurs Sueur et Portelli n’ait rien prévu sur cet aspect en renforcant, à contrecourant de ce qu’il faudrait faire, la solution du droit pénal.
A suivre !
Romain Rambaud