En ce lendemain d’élection se repose la question de la diffusion des résultats avant 20 heures, dont nous avons déjà discuté sur ce blog pendant les présidentielles. Cette problématique se pose désormais pour les législatives, ce qui pose d’intéressantes questions pratiques et théoriques. Une nouvelle fois, c’est Ségolène Royal qui tient le rôle principal du mélodrame qui se joue ici.
Ségolène Royal diffuse les résultats avant 20 heures, et entraîne les médias avec elle.
De façon tout à fait inédite, notamment eu égard à l’impact médiatique qu’a eu l’affaire hier, un candidat de premier plan aux législatives a diffusé des résultats ou estimations de résultats et réalisé un commentaire sur ceux-ci avant 20 heures : Ségolène Royal a en effet pris la parole vers 19h50 afin d’annoncer la victoire de son rival et de manière particulièrement… politique, puisque son discours, que l’on pourra retrouver en suivant le lien ici, a été consacré à la question théorique et pratique de la trahison.
Pensait-elle, d’ailleurs, à la seule trahison du candidat socialiste, ou pensait-elle plus largement aux trahisons qui ont émaillé sa carrière politique depuis 2007 et qui ont empoisonné sa campagne législative ? Seule elle pourra le dire. Peut-être en tout cas ces évènements ont-ils participé au climat politique et affectif particulier de ces élections et expliquent-ils que Ségolène Royal et son équipe aient oublié l’interdiction précitée, et ont donc créé cette situation inédite.
Cette dernière est d’autant plus particulière que Ségolène Royal a fait une déclaration télévisée, et que les médias, à sa suite, ont du décider ce qu’il convenait de faire. Fallait-il diffuser ce discours en direct, au risque de violer la loi, ou fallait-il ne pas le faire, pour rester dans les clous du droit au risque de ne pas diffuser une information capitale, et de rester à la traîne de la concurrence ? En effet, le fait, pour les chaînes de télévision, de diffuser ce discours risquait de les conduire à violer elles-mêmes la loi.
Cela a conduit à imbroglio invraisemblable où les chaines de télévision ont réagi de trois façons : soit elles ont diffusé la vidéo sans commentaires au risque de violer la loi, soit elles l’ont diffusé en totalité ou partiellement tout en déclarant ne pas diffuser ces résultats pour (essayer ) ne pas violer la loi, soit elles ont attendu 20 heures pour diffuser la vidéo.
Le lecteur de ces lignes pourra retrouver cet imbroglio de manière claire, complète et didactique sur le site d’Europe 1 en suivant le lien suivant. La question est bien posée : Ségolène Royal a-t-elle conduit les médias à violer la loi ?
La loi va-t-elle être sanctionnée ?
La question se pose de savoir quelle est l’infraction ainsi commise par Ségolène Royal et les médias et si des poursuites pénales seront engagées.
L’infraction pénale commise par Ségolène Royal : violation de l’article 11 de la loi de 1977 ou de l’article L. 52-2 du code électoral ?
Deux situations sont possibles ici. Trancher la question n’est pas facile car il existe un certain recoupement entre deux dispositions législatives différentes. Sans aucun doute, c’est au juge pénal qu’il reviendra de faire la part des choses, et il y aura là une intéressante question de qualification des faits dans laquelle ne manqueront pas de s’engouffrer les hommes de loi qui auront à connaître de cette affaire dans les prétoires.
1) Soit l’on considère que Ségolène royal a violé l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977, selon lequel » La veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er. Cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l’objet d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin. Elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date (…) L’interdiction ne s’applique pas aux opérations qui ont pour objet de donner une connaissance immédiate des résultats de chaque tour de scrutin et qui sont effectuées entre la fermeture du dernier bureau de vote en métropole et la proclamation des résultats ».
Cet article interdit donc la publication de sondages et la publication nouvelle de sondages anciens. Par ailleurs, cet article est en général lu a contrario, comme interdisant les opérations qui ont pour objet de donner une connaissance immédiate des résultats de chaque tour de scrutin et qui sont effectuées avant la fermeture des derniers bureaux de vote, ce que l’on appelle des estimations de résultats, et qui ont été le problème principal de l’élection présidentielle.
C’est dans ce cadre là que se trouve le plus probablement Ségolène Royal. En effet, il faut ici revenir sur ce que Mme Royal dit exactement dans la vidéo : elle donne le résultat en disant que son adversaire a été élu avec 75 % des votes de la droite, sans donner les résultats exacts : ici, elle semble publier un sondage ou une estimation de résultats davantage que les résultats partiels ou définitifs de l’élection. Par ailleurs, ce qui prime surtout est le commentaire que fait Ségolène Royal, qui ne se contente pas de donner des résultats. C’est la solution la plus probable, et aussi la plus dissuasive, comme on le reverra.
Mais il y a une autre possibilité, plus favorable à Mme Royal. Ici, la loi est sans doute mal faite car l’on passe du coq à l’âne sans que cette solution ne se justifie du point de vue pratique ou du point de vue théorique.
2) Soit l’on considère que Ségolène Royal a violé l’article L. 52-2 du code électoral, selon lequel « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain ».
En l’espèce, Ségolène Royal a donné un résultat, certes. Mais la façon dont il est donné indique au minimum que les résultats d’un sondage – 75 % des voix de droite, 25 % des voix de gauche – ont été publiés concomitamment à la publication des résultats. Par ailleurs, Ségolène Royal ne s’est pas contentée de donner les résultats, elle a produit un commentaire, dont on a vu la nature. Elle n’a pas donné les résultats précis partiels ou définitifs du scrutin dans cette vidéo.
A priori, c’est donc plutôt dans le cadre de la première infraction que se situe Ségolène Royal, mais il existe une incertitude du point de vue juridique. Cette incertitude est préjudiciable à l’équilibre des élections, d’autant qu’elle est d’importance car elle a un impact direct sur le montant de la sanction pénale.
On peut d’ailleurs s’inquiéter de cette différence de traitement dont on comprend mal la logique eu égard aux objectifs de la loi. Un alignement du montant des sanctions pénales entre ces deux infractions serait sans doute souhaitable. Vers le haut, probablement, pour maintenir l’effet dissuasif de la loi qui serait largement remis en cause si la sanction pénale n’était que de 3750 euros, puisque c’est la sanction attachée à l’article L. 52-2 du code électoral.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’allait la proposition de loi des sénateurs Sueur et Portelli. Ceux-ci entendaient en effet réécrire complètement l’article L. 52-2 du code électoral en créant un régime unique pour la diffusion des sondages et la diffusion des résultats. Il aurait ainsi été réécrit de la manière suivante : « Art. L. 52-2. – I. – En cas d’élections générales, est interdite, la veille et le jour de chaque tour de scrutin, la publication, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage électoral ou de toute indication, même partielle, sur l’issue du scrutin ». L’ensemble étant sanctionné par 75000 euros d’amende. C’est bien dans ce sens là qu’il faudrait aller. Pourtant, l’Assemblée Nationale avait refusé de mettre en oeuvre cette modification. Point sur lequel il faudra donc revenir.
La mise en oeuvre de sanctions pénales et administratives : le problème de l’effectivité de la loi
En effet, l’interdiction de diffuser les résultats est sanctionnée pénalement, et, pour les chaînes de télévision, des sanctions administratives peuvent être prononcées par le CSA.
Comme il existe une difficulté concernant le fondement pénal de la sanction, c’est à dire l’infraction considérée, il existe une difficulté juridique dans la détermination de la sanction applicable.
En effet, l’article 11 de la loi de 1977 est sanctionné par renvoi à l’article L. 90-1 du code électoral, soit une peine de 75000 euros. L’article L. 52-2 du Code électoral, lequel renvoie à l’article L. 89 du Code électoral, fixe quant à lui une amende beaucoup plus faible de 3750 euros.
En ce qui concerne les personnes morales, notamment les chaînes de télévision, leur sanction pourrait être multipliée par 5 en application de l’article L. 131-38 du code pénal, soit 375000 d’amende dans le premier cas ou 18750 euros dans le second cas.
Concernant la question de savoir si les chaînes de télévision et plus largement les médias ont violé la loi, la question se discute. D’un point de vue théorique, cela dépend de l’espèce.
Ceux qui auront diffusé la vidéo sans prudence entreront sans doute dans le champ de la loi pénale.
Ceux qui auront parlé de l’évènement sans donner les résultats ou en insistant sur le fait que la loi était en train d’être violée pourraient y échapper, l’élement moral de l’infraction, à savoir la volonté de commettre l’infraction et diffuser les résultats, étant contestable : « après tout, l’information est la violation par Mme Royal de la loi et non les résultats en eux-mêmes, en tout cas, les médias n’avaient pas la volonté de diffuser les résultats mais bien de rendre compte de l’attitude de Mme Royal« . Cela se discute et l’argumentaire devrait être utilisé, le cas échéant, par les avocats si d’éventuelles poursuites étaient engagées. Reste à savoir, ce qui est une autre affaire, si cela pourrait emporter la conviction des juges.
Ceux qui auront attendu 20 heures vont échapper à l’application de la loi.
Bien sûr, il sera difficile de faire la part des choses entre ces différents intervenants, et c’est au parquet, puis au juge, qu’il reviendra de distinguer. Les autorités administratives, comme le CSA et la Commission des sondages, pourraient également entrer dans la danse, même si le premier semble aujourd’hui vouloir faire d’une indulgence assez contestable du point de vue du principe de l’égalité devant la loi.
Le CSA a prévu de se réunir le mardi 18 juin pour se saisir de l’affaire. Il pourrait, en application des articles 42 et 42-1 de la loi du 30 septembre 1986, prononcer une amende forfaitaire qui devait alors se combiner avec l’amende pénale.
On attendra donc ici l’attitude du parquet : va-t-il poursuivre et qui ? Le parquet dispose en effet de l’opportunité des poursuites. Sur ce point, force est de constater que l’application concrète de la loi va poser un certain nombre de problèmes d’effectivité, mais il faut maintenir le principe de la sanction intact.
Certes, l’affaire ici n’est pas d’une immense importance d’un point de vue électoral, puisque de toute façon Mme Royal a perdu. Toutefois, la loi est la même pour tous et doit donc être sanctionnée de la même manière pour tous : ainsi, comment justifier que l’AFP et des sites belges soient pousuivis pour avoir diffusé les résultats pendant la campagne présidentielle mais que Ségolène Royal et les médias français ne le soient pas pour les élections législatives ?
Par ailleurs, l’absence de sanction créerait un précédent dans lequel ne manquerait pas de s’engouffrer les médias et il sera très difficile par la suite d’éviter que ce type d’initiative ne se multiplie.
Affaire à suivre, donc. En attendant, cet évènement pose de nouveau la question de la pertinence de la loi mais dans un cadre nouveau, celui des élections législatives.
La loi est-elle pertinente ?
Il est toujours fascinant de voir le lien entre la matière du droit des sondages électoraux et la politique. Une nouvelle fois, ce sont les modifications politiques et électorales qui conduisent à s’interroger sur la pertinence de la loi.
Celle-ci, en effet, ne distingue pas entre les différentes élections. Ainsi, ni l’article 11 de la loi de 1977 ni l’article L. 52-2 du code électoral ne font une différence entre l’élection présidentielle et les élections législatives. De ce point de vue, la rédaction de l’article L. 52-2 du code électoral est significative. Il dispose : « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain ».
C’est donc bien l’ensemble du territoire métropolitain qui est ici la référence, et l’heure concernée est donc 20h.
Pourtant, en Charente-Maritime et dans la circonscription de Ségolène Royal, tous les bureaux de vote ont fermé à 18h, de sorte que l’opinion publique ne paraissait plus pouvoir être manipulée à cette heure. Faudrait-il alors considérer que pour les élections législatives, qui sont autant d’élections locales, la règle devrait être modifiée et le territoire national cesser d’être la référence ?
Si cette solution pourrait eut avoir ses partisans, elle présente tout de même des difficultés. Tout d’abord, à élections locales enjeu national. Il n’est pas impossible que la diffusion de centaines de résultats locaux aient des conséquences dans d’autres parties du territoire et bouleversent ainsi l’équilibre de la loi : la protection de la solennité du vote de chacun et la rupture d’égalité entre les citoyens.
Par ailleurs, on imagine aisément le capharnaüm qui résulte d’une telle solution : dès 18heures, des résultats fuseraient de pourtant, les duplex se multiplieraient, l’ensemble donnant lieu à un joyeux bazar dont on peut douter de l’utilité. Par ailleurs, cela poserait des problèmes importants dans l’hypothèse où les votes seraient serrés, donnant lieu à des annonces à la contestation des résultats – que l’on songe ici à Mme Le Pen – alors que d’autres personnes seraient en train de voter sur le territoire. Une violation du droit au silence qui permet aux élections de dérouler de manière satisfaisante.
Enfin, une telle solution connaîtrait un obstacle théorique important. En effet, en France, les députés représentent la Nation et non leur seule circonscription en vertu de la théorie de la souveraineté Nationale qui prévaut depuis la révolution française. Accepter la diffusion de sondages, d’estimations de résultats ou de résultats locaux conduiraient à atteindre cette règle. A la rigueur, cela se discute. Mais dans ce cas, c’est l’ensemble de l’édifice théorique constitutionnel qui serait à reconstruire et non le seul droit des sondages ou le droit électoral. Un travail en profondeur, donc, de nature à freiner une éventuelle évolution du droit sur ce point.
Une logique d’ensemble, en définitive, qui explique que remettre en cause ce point et opérer une distinction entre les élections législatives et l’élection présidentielle n’ait jamais été envisagé.
Romain Rambaud